La semaine prochaine, les librairies accueilleront « Sous le joug du patriarcat », édité par Koukou éditions, un ouvrage qui se penche sur l’un des problèmes sociaux les plus persistants et inquiétants : les violences contre les femmes.
Chérifa Bouatta, professeure des universités et spécialiste en psychologie clinique et sociale, propose ici une analyse rigoureuse et engagée, mêlant expériences cliniques, sociologie, études féministes et psychanalyse.
Le livre commence par dresser un constat accablant : des insultes quotidiennes aux féminicides les plus dramatiques, les violences faites aux femmes se multiplient, et la partie visible de l’iceberg ne représente qu’une fraction de la réalité. De nombreuses victimes se taisent, ne portent pas plainte, ou se voient demander de « pardonner » leurs agresseurs, souvent sous prétexte de « valeurs familiales » rétrogrades et misogynes. Cette normalisation et cette impunité des violences sont au cœur de l’analyse de Bouatta, qui souligne combien le silence social contribue à perpétuer ces comportements.
L’auteure mobilise les notions de patriarcat et de ses mécanismes : la violence symbolique, l’habitus social et la structuration des rapports de domination. Elle montre comment, dès l’enfance, les corps et les esprits sont façonnés pour tolérer certaines formes de violence psychologique, physique ou sexuelle. Cette approche permet de comprendre que les violences contre les femmes ne sont pas seulement des actes isolés : elles sont le produit d’un système social et culturel profondément enraciné, où les normes patriarcales façonnent les mentalités et imposent le silence.
Bouatta adopte également une perspective intersectionnelle, rappelant que toutes les femmes ne subissent pas ces violences de la même manière. L’âge, la classe sociale, l’origine ou la situation familiale influencent la vulnérabilité face aux agressions et l’accès à la justice. Cette dimension souligne la nécessité d’une approche différenciée et adaptée, loin d’une lecture uniforme ou simpliste du phénomène.
Le livre s’inscrit aussi dans une perspective historique et politique. En rappelant les luttes des femmes algériennes pour l’émancipation citoyenne et contre le Code de la famille dans les années 1980, Bouatta met en évidence que les droits obtenus sont le fruit de combats courageux et que leur maintien n’est jamais acquis. Dans un contexte où les reculs démocratiques et les remises en cause des acquis féministes se multiplient, le traitement réservé aux femmes victimes de violences est un indicateur majeur de l’état de nos sociétés.
Directrice du Laboratoire Interdisciplinaire santé et population à l’Université Aboudaou de Bejaïa, présidente de l’Association pour l’Aide, la Recherche et le Perfectionnement en Psychologie (SARP) et membre de plusieurs commissions et réseaux spécialisés, Bouatta s’appuie sur plus de dix ans d’expérience auprès de victimes de violences terroristes et sur ses travaux de recherche pour nourrir son analyse. Son livre ne se limite pas à un constat : il est un appel à la vigilance, à la mobilisation et à l’action pour briser le silence et contrecarrer l’impunité.
Sous le joug du patriarcat est donc un ouvrage essentiel, à la croisée de la sociologie, de la psychologie et des études féministes, qui interroge nos sociétés et invite à un engagement collectif. Dans un contexte où chaque retard se paie au prix de vies brisées, ce livre se veut un outil pour comprendre, prévenir et combattre les violences faites aux femmes.
Mourad Benyahia


