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Sur les traces de Mohammed Dib en Finlande

Mohammed Dib

Grâce à la traduction en finnois par Natalia Baschmakoff, de La Grande Maison et L’Incendie, les Finlandais ont, en partie, accès à la littérature algérienne. Une littérature sous tension, qui inscrit nettement son sujet au référent social-historique se mettant comme témoignage et discours, au même titre, que les œuvres des jeunes écrivains de la génération de l’après-guerre d’indépendance.

Mohammed Dib est sans conteste un des piliers de la littérature algérienne. Il est né le 21 juillet 1920 à Tlemcen, dans l’ouest d’Algérie. Il a grandi au sein d’une famille d’artisans, bourgeoise ruinée, un milieu dont il devient un admirateur fervent et nostalgique. Sa trilogie Algérie composée de trois romans: La Grande Maison (1952), L’Incendie (1954) et Le Métier à tisser (1957) parue aux éditions du Seuil, lui a bien consacré, tout en portant, au fur et à mesure, sa contribution à introduire le vécu historique et culturel de son peuple. Un vécu qui a commencé, dès l’indépendance du pays en 1962, à attirer l’attention des grands forums et rencontres littéraires à travers le monde.

En 1975, Mohammed Dib reçoit une invitation pour assister à une grande festivité littéraire en Finlande, organisée par  »Lahti International Writer’s Meeting ». C’est là qu’une grande histoire d’amour entre l’écrivain et ce pays nordique commence. À noter, depuis 1963, cette fameuse festivité se déroule chaque deux ans dans le pays à ce jour.

En outre, le thème de cette rencontre  »La littérature et l’identité nationale » était quelque part sensible à l’égard des attentes des deux grandes puissances qui étaient, à l’époque, en pleine guerre froide. Pendant la même rencontre, divers problématiques omniprésentes, des opinions proposées, discutées et explorées à la fois, en fonction des exigences du système géopolitique international et aussi selon une vision tributaire de la bonne réflexion de différents écrivains qui sont venus à Helsinki.

Des éditeurs et des auteurs venus de l’ex-URSS, Allemagne, France, des pays scandinaves et plusieurs d’autres étaient venus de partout. Selon Natalia Baschmakoff (1), l’intervention de Dib a acquis une grande importance par rapport à ses origines et à son parcours littéraire: Un Nord-Africain instruit dans la langue du colonisateur. Pendant cette occasion, les Finlandais ont découvert la poétisation croissante de chacun de ses mots, des traits bien parus d’union avec son originalité magrébine, de la même façon, son identité littéraire à laquelle il s’était donné.

Attiré par son charisme, Jussi Sorjonen (2) s’est rapproché de Dib. Les éditeurs et les auteurs s’approchent et en sortent des transactions. Selon Baschmakoff  »C’est une bonne occasion pour le marketing ». Ensuite, Juri n’hésitait pas à proposer à Dib la traduction en finnois de ses œuvres. Dib propose, à son tour, à Baschmakoff de s’en occuper. Quant à elle, il paraît que sa maitrise de la langue française et ses séjours entre Helsinki et Paris furent une bonne raison qui poussèrent Dib à lui offrir ce travail aventurier. En 1978, Les Éditions Gumerus présentent au lectorat finlandais un produit littéraire typiquement Magrébin. La traduction de la Grande Maison a été faite avec un titre bien modifié  »Dans la cour ». Baschmakoff justifie ceci par  »le fait que  »la grande maison n’a point de sens dans la notion socioculturelle finlandaise ».

En 1979, Dib se rend en Finlande suite à une invitation par une librairie pour introduire son roman et parler de son parcours littéraire. Dans la même année, une deuxième traduction vient de paraître : L’incendie. Cette fois-ci, l’élite du pays et la presse, toutes les deux, commencent de plus en plus à s’intéresser au style dibien et à la littérature nord-africaine d’expression française. Une littérature qui conjure clairement de préciser les croisements identitaires dans la région.

Ainsi chaque nouveau lectorat consolide l’expérience de l’écrivain, multiplie les variations expérimentales et renforce la perfection que l’on croyait toujours en besoin de maintenir. Et chaque fois l’auteur se met à lancer des liens entre soi-même et son nouveau lectorat une identité où le nouveau univers apparaît, en première instance, comme une attente bien espérée.

Effectivement, une nouvelle trilogie était à cultiver et un nouveau sujet à évoquer: Du roman qui s’occupe du vécu du peuple algérien avant l’indépendance au roman qui évoque des problématiques philosophiques sur la vie. Autrement dit,  » les thèmes du passé qui doivent s’adapter au présent de l’exilé ».

Dib s’y rend à nouveau en juin 1980. Le journal finlandais  »Uusi Suomi » profite de l’occasion et fait tout un portrait sur l’écrivain. Le 29 juin, le journaliste finlandais Keijo Settunen signe un article important sur Mohammed Dib intitulé: Comment un anticolonialiste devient un porte-parole de son identité nationale?. Une photo pour Dib et Baschmakoff a été prise par Martti Halme quelques jours avant au centre-ville de Helsinki, vient d’illustrer l’article.

Mohammed Dib en Finlande (II)

Dans la même rubrique, Marja Bolgar, journaliste finlandaise résidente à Paris, présente aux lecteurs finlandais les poèmes de Dib comme étant  »des paroles purifiées ». De plus, elle affirme que la revue Europe dont Dib était rédacteur, est devenue incontestablement une grande voix littéraire en Europe. Ses propos représentent une médiation bien interprétée, basée sur le témoignage sur Dib, émis par Piere Gamara, éditeur en chef du magazine littéraire Europe.

La réputation du romancier se multiple de plus en plus en Finlande, cela réside surtout dans l’interaction de la traduction en finnois de ses œuvres et de sa contribution à traduire en français des poèmes d’écrivains finlandais. Cela va durer pendant des années. Dans le même été (1980), Dib et Baschmakoff présentent une contribution sur le poète finlandais Penti Hollappa au profit de  »Books from Finland », elle contient une traduction d’un entretien avec l’écrivain et une traduction en français de ses poèmes.

Déjà à l’issue de ses contributions au profit de la presse finlandaise, Dib manifeste une sensibilité remarquable. Le choix des textes à traduire semble être profond dans le surréalisme, identifie l’accès à un espace des textes qui bien conduit à un univers où se décrit la nature comme étant un sujet essentiel.

L’esquisse des textes de Hollappa dans son recueil de poèmes:  »Cinquante-deux » paru en 1979, est un bon exemple à donner: « Le soleil étincelait … », « Au milieu du champ bleu… », « l’oreiller bleu de glace », « Il y souffle le vent mordant … ». En outre, cette esquisse incarne une trajectoire qui épouse une certaine configuration, où on peut également tirer une suite où domine la description de la nature: «Visage d’étoile dans l’espace… » « Hacher l’arbre tout vif… », etc.

Il reste que cette touche surréaliste et cette reconnaissance d’associer la nature à la description sont toujours sous-tendus par les beaux paysages et la belle nature qui se trouve en Finlande. Cela certainement repose sur l’admiration par Dib de ces objets merveilleux qui dominent la littérature finlandaise.

En 1981, le magazine littéraire Europe, donne dans son numéro 628-629 d’août-septembre une interview de Holappa et plusieurs de ses poèmes. Puis deux ans plus tard, Dib décide de consacrer cette touche en traduisant, toujours avec Baschmakoff, une nouvelle intitulée: « L’hiver sur l’ile » écrite par l’écrivain finlandais Eino Säisä. La présentation de l’écrivain semble aussi être enveloppée par ces traits: « Voix posée, grave, parcourue d’une vibration contenue, la sienne évoque un univers paysan .. ». (3).

En 1984, un évènement littéraire exceptionnel venait de se passer en Finlande. L’écrivain finlandais Pavo Haavikko (1931-2008) enfin nommé pour le prix international Neustadt de la littérature, dont l’écrivain algérien Mouloud Mammeri était membre du jury (Dib classé deuxième après Haavikko). Par conséquent, « Books from Finland » lui consacre une interview réalisée par Philip Binham, dont Haavikkoo affirme que «c’est possible d’être juste un écrivain. Cela dit, s’isoler complètement soi-même du monde extérieur. Par conséquent, c’est important d’avoir un autre travail». (4)

Mohammed Dib ou le besoin de nommer et de montrer l’Algérie

Dans la même édition, Dib et Baschmakoff traduisent une sélection de poèmes écrits par Haavikko intitulée: « Poèmes de la maison d’un marchand de Novgorod » (Poèmes d’un voyage à travers le détroit, 1973). Dans la préface du magazine littéraire Europe (juin, juillet) 1985, Dib introduit la préface du dossier «La littérature de la Finlande» avec un procédé poétique, en contenant une admiration remarquable à  »la terre des limites ».

Quoi qu’il en soit, dans cet ailleurs du témoignage de Dib, une sensualité bien claire et une figure de style sont un procédé qui agit sur les propos de l’écrivain » : «Terre des limites. C’est la réalité de la Finlande, elle vous accueille dès la cote incertaine, qui surnage à peine de la mer, ou que vous alliez ensuite, vous ne cessez de faire l’expérience de la raréfaction – raréfaction des choses, des êtres: un coup, il y a trop d’espace, l’air est trop léger, le ciel trop vaste. Et le silence». (5)

À côté de Dib, tout un ensemble d’écrivains finlandais a contribué à ce fameux numéro: Matti Klinge, Pekka Suhonen, Pekka Tarkka (Rédacteur de Books from Finland Willner, Markuu Valkonen, Kirsti Simonsuuri. À préciser, cette dernière a donné une lecture importante sur les perspectives de la poésie finlandaise moderne, traduite en français par Baschmakoff. D’autre part, ce qui spécifie ce numéro, c’est le style de la diversité, que ce soit sous forme de nouvelles, de poèmes ou de théâtre, le tout rassemblé en bouquet littéraire.

Cependant, la sélection privilégiée afin d’introduire de meilleurs poèmes finlandais semblait une mission délicate pour Dib. Beaucoup de poètes et de romanciers pour lesquels il montrait de considération, ont été sélectionnés. Or, cet espace littéraire conjugue leur expérience à l’idée de l’interaction des cultures de sorte que chaque expérience sélectionnée soit unique. À noter, Dib s’intéressait tant aux écrits de Pentti Saarikoski et à ceux de Mirkka Rekola dont il aime le style,le procédé et les phrases courtes qui portent bien du sens (6). À vrai dire, Eugene Guillevic a collaboré, de sa part, d’une manière remarquable avec Dib à la traduction de beaucoup de poèmes d’autres écrivains finlandais. Des œuvres uniques.

En effet, plusieurs thèmes dans ces œuvres finlandaises s’affirment comme une préoccupation fondamentale de Dib. C’est une histoire exceptionnelle. Autour de cette histoire unique que se réunissent beaucoup d’écrivains finlandais, tombés amoureux d’une identité qui a tant lutté pour ses racine. C’est une identité typique. Enfin, dans sa trilogie nordique composée de : Les Terrasses d’Orsol (1989), Le Sommeil d’Eve(1989) et Neiges de marbre (1990), Dib présente une œuvre universelle unique qui renforce son parcours littéraire et l’impose, ensuite le nomme au grand prix de la Francophonie de l’académie française en 1994, attribué pour la première fois à un écrivain maghrébin.

Le 7 mai 2003, cinq jours après la mort de Mohammed Dib, le grand journal en Finlande  »Helsingin Sanomat » rend hommage à son ami. Timo Hämäläinen, le rédacteur qui a signé le papier, qualifie la trilogie nordique de « La trilogie finlandaise ».

Hamza Amarouche

Helsinki, Finlande

Renvoi

(1) Écrivaine finlandaise d’origine russe. Elle a traduit en finnois La Grande Maison et L’Incendie. Elle travaillait comme secrétaire au comité d’organisation du meeting de Lahti en 1975.

(2) Journaliste finlandais, éditeur et membre de la commission de traduction pendant le meeting de Lahti en 1975.

(3)  »Book from Finland », Helsinki, N° 17-1. Pages 7-12.

(4)  »Book from Finland » Helsinki, N° 18-2. Pages 49-63.

(5)  »Europe » Paris, (Juin, Juillet, 1985).

(6) Interview donnée à Natalia Baschmakoff. Algérie, En-nasr, N° 14192:

http://www.annasronline.com/index.php?option=com_content&view=article&id=56484&catid=38&Itemid=50

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