Dans ses réponses, Sylviane Lolo Ngango, auteure du livre La Reine Intouchable, ouvre les portes d’un univers marqué par les épreuves, les rémanences du passé et un combat constant pour la dignité.
Sylviane Lolo Ngango y évoque les silences qui emprisonnent, les voix qui résistent, les blessures que l’on porte comme des cicatrices visibles ou invisibles. À travers son regard et sa parole, La Reine Intouchable apparaît non seulement comme un récit, mais comme un espace de vérité, de réparation et d’humanité profonde. Ses mots tracent une trajectoire où la douleur n’éteint pas la lumière, où chaque mémoire est une force qui demande à être entendue. Et dans cette traversée, elle rappelle que témoigner n’est jamais un geste simple : c’est une manière de tenir debout, d’éclairer l’obscur et de redonner souffle à ce qui semblait perdu.
Publié aux Éditions La Réforme du Burkina Faso et disponible également sur Amazon, le roman circule déjà à travers plusieurs continents, comme une parole précieuse qui cherche ceux qui ont besoin d’elle.
Le Matin d’Algérie : La Reine Intouchable s’inspire d’un destin bien réel. Quel a été le déclic initial qui vous a convaincue que cette histoire méritait d’être portée par la littérature plutôt que laissée dans le silence ?
Sylviane Lolo Ngango : Le déclic est né d’un choc que je n’ai jamais oublié. Pendant des années, j’ai été témoin de la souffrance silencieuse d’une amie confrontée à l’impossibilité de devenir mère, dans une société où la valeur d’une femme se mesure encore trop souvent à sa capacité d’enfanter. Mais ce qui a véritablement bouleversé mon regard, c’est le jour où elle a pris sur elle la responsabilité de proposer à son époux de trouver une femme qui accepterait de lui donner un enfant, une héritière biologique, puisque son propre corps ne pouvait répondre à cette attente.
Il ne s’agissait pas de polygamie, mais d’un acte ciblé : permettre à l’homme qu’elle aimait d’avoir une descendance, sans abandonner sa place légitime. Nous, ses amies, en étions sidérées. Nous l’avons accompagnée, soutenue, écoutée au fil des années.
Un jour, je lui ai dit que son histoire ne pouvait pas rester dans le secret. Elle m’a donné son accord. Le roman est né pour honorer, non pour exposer.
Le Matin d’Algérie : Votre roman interroge la fidélité, l’honneur et les loyautés invisibles. Comment avez-vous travaillé l’équilibre entre douleur intime et dignité dans le parcours de Clarisse ?
Sylviane Lolo Ngango : L’équilibre entre douleur intime et dignité a été le cœur de l’écriture. Je ne voulais ni d’une femme plaintive ni d’une victime figée. Clarisse porte une douleur vraie, mais elle refuse qu’elle devienne son identité. J’ai travaillé autant sur les silences que sur les mots. Clarisse observe, encaisse, vacille parfois, mais elle reste droite. Sa dignité naît de son refus de céder à la bassesse. Elle souffre, oui. Mais elle ne se déshabille pas de sa noblesse.
Le Matin d’Algérie : Clarisse est une femme militaire prise dans un étau où la trahison circule en silence. Pourquoi avoir choisi l’institution militaire comme décor ?
Sylviane Lolo Ngango : Ce choix ne relève pas d’un artifice littéraire. Il est imposé par la réalité : Clarisse vivait réellement dans cet environnement. L’institution militaire, avec sa rigueur, ses codes et ses silences, amplifie le contraste entre discipline apparente et tempêtes intérieures. J’ai simplement transmis cette vérité brute.
Le Matin d’Algérie : Quelles nouvelles dimensions de la psychologie féminine aviez-vous envie d’explorer dans ce récit ?
Sylviane Lolo Ngango : J’ai voulu explorer cette zone trouble où la loyauté glisse vers l’effacement de soi. Clarisse n’est pas une martyre. Elle agit par amour, par culpabilité, par conditionnement social. À travers elle, j’explore la solitude émotionnelle, la peur de perdre sa place, la rivalité imposée entre femmes, et cette capacité paradoxale à transformer la douleur en force silencieuse.
Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous voulu représenter la reconstruction après l’effondrement ?
Sylviane Lolo Ngango : La reconstruction n’est pas un sursaut héroïque. C’est un chemin intérieur lent. Clarisse se rebâtit pas à pas. Sa résilience naît de la fêlure. Elle traverse la douleur, elle ne la gomme pas. Clarisse ne devient pas reine parce qu’elle a souffert, mais parce qu’elle a compris.
Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous géré la frontière entre fidélité au réel et liberté de création ?
Sylviane Lolo Ngango : J’ai respecté une seule fidélité absolue : la vérité des émotions. La fiction m’a ensuite permis d’amplifier les nuances, de donner voix aux silences, d’explorer les zones inaccessibles du réel. Le roman ne raconte pas une vie ; il traduit une vérité humaine.
Le Matin d’Algérie : Quels passages du livre portent selon vous la plus forte dimension réparatrice ?
Sylviane Lolo Ngango : D’abord, la relation entre Clarisse et les enfants adultérins de son époux. Leur amour devient une lumière. Clarisse découvre une maternité du cœur, choisie. Ensuite, la confession du mari à sa maîtresse : il affirme qu’il ne quittera jamais son épouse, non par pitié, mais par loyauté et respect. Ces moments réparent sans effacer. Ils redonnent sens.
Le Matin d’Algérie : Quelle vision des relations humaines souhaitiez-vous faire émerger à travers ces amitiés troubles et ces rivalités ?
Sylviane Lolo Ngango : Je voulais montrer que toutes les présences ne sont pas des soutiens. Certaines femmes n’étaient pas seulement spectatrices, mais actrices de la douleur de Clarisse. J’explore cette complexité : conseiller tout en jalousant, compatir tout en blessant. Clarisse apprend que se protéger, poser des limites, c’est se respecter.
Le Matin d’Algérie : Trouve-t-on une forme de spiritualité implicite dans La Reine Intouchable ?
Sylviane Lolo Ngango : Oui, une spiritualité douce, discrète. Clarisse trouve un refuge intérieur dans la foi. Elle s’y ancre pour respirer, pour tenir. Sa relation à Dieu est profonde, jamais spectaculaire. Une lumière silencieuse qui l’aide à rester debout.
Le Matin d’Algérie : Votre héroïne incarne un courage silencieux. Est-ce ce silence-là — celui des femmes, celui de l’Afrique — que vous vouliez rendre audible ?
Sylviane Lolo Ngango : Oui. Le silence des femmes n’est pas vide : il est chargé de renoncements, de dignité contrainte. Clarisse incarne ces femmes qui endurent sans spectacle. Ce silence-là est une résistance. À travers elle, j’ai voulu faire entendre ce que l’on impose trop souvent aux femmes de taire.
Le Matin d’Algérie : Comment le public a-t-il réagi aux premières lectures ? Un témoignage vous a-t-il marquée ?
Sylviane Lolo Ngango : Les réactions ont été très positives. Plusieurs professeurs de français ont salué la profondeur du personnage. Mais le témoignage le plus marquant est celui de ma cousine Félicité, qui a vu Clarisse non comme une femme blessée, mais comme une femme froide, cynique, puissante, presque prédatrice. Cette lecture m’a rappelé qu’un personnage échappe toujours à son auteur. Clarisse est complexe. Et c’est tant mieux.
Le Matin d’Algérie : Que souhaitez-vous que les lectrices et lecteurs retiennent de Clarisse en refermant le roman ?
Sylviane Lolo Ngango : J’aimerais qu’on retienne la grandeur de son cœur. Elle avait mille raisons de devenir dure. Elle choisit pourtant l’amour, et accueille les enfants de la trahison comme les siens. Clarisse montre que la douleur n’annule pas la capacité d’aimer. J’aimerais qu’on garde d’elle l’image d’une femme qui a choisi de rester lumière.
Entretien réalisé par Djamal Guettala
Biographie :
Écrivaine camerounaise résidant en Allemagne, Sylviane Lolo Ngango explore les thèmes de la mémoire, de la résilience et de la condition féminine africaine. Autrice de Deux noms, un visage, La Reine Intouchable, Amitiés malfaisantes et Les Petites Vérités Psy – signé Lolo, elle conjugue introspection et engagement. Animatrice d’espaces littéraires tels que Le Bar de Lolo et La Bibliothèque de Lolo, elle s’impose comme une voix qui éclaire, interroge et répare les mémoires.

