La population, elle, est peu présente dans cette histoire. Il est question surtout quand les exactions du pouvoir deviennent à tel point insupportables qu'elles suscitent lès révoltes des tribus ou les troubles dans les villes.Les généalogies occupent de ce fait une grande place dans l'histoire d'Ibn Khaldoun. 
                                                                                   Krzysztof Pomian             

Les récentes palabres concernant l’histoire de l’Afrique du Nord entachées par un exécrable nationalisme des Etats maghrébins au point que le chauvinisme s’instaure comme diligence d’une civilisation aux piètres performances comparativement aux autres civilisations universelles.

La construction historique qui repose sur les historiographies gréco-latines et arabo-musulmane relève d’une exubérance frôlant le parjure d’une identité amazighe lamentablement ignorée par les habitants de l’Afrique du nord et du Sahara. Certes, les mouvements culturels berbères au travers des différents Etats du Maghreb, tentent tant bien que mal à faire émerger une culture amazighe profondément enfouie dans les entrailles de leur Etre.

Loin s’en faut de remédier à la damnatio-memoriae qui frappe cette culture au gré des dominations étrangères, les débats inachevés entre les nationalistes maghrébins sont le cache misère d’une historiographie tronquée par la mainmise noologique comme facteur déterminant de l’acculturation généralisée des élites maghrébines. Bien que nous ignorons les causes de l’incapacité de cette élite à porter un projet culturel de portée universelle, nous sommes hélas réduits à des querelles de légitimité sur la souveraineté des territoires et des frontières, des monuments et autres héritages culturels teintés d’un syncrétisme dominant.

Au dernières nouvelles et suite à la polémique sur les frontières des Etats post-coloniaux; des polémiques sur l’appartenance de la Koutoubia, site marocain de Marrakech dont le donneur d’ordre a été Abdoulmoumen de la tribu des Koumia du pays des Trara (Algérie), le compagnon de route du mahdi Ibn Toumert de la tribu des Hargha (Maroc) et fondateur de l’Etat almohade.

A voir de plus près, comme tous les Etats nationaux du Maghrébins n’existaient pas sous la forme actuelle, on ne peut que promouvoir l’élément fédérateur de la dynastie almohade. On constate que le creuset tribal comme d’ailleurs pour toutes les Etats-dynasties et les tribus-Etats influentes, est l’élément fédérateur des forces tribales affiliées dans un projet politique du contrôle du pouvoir coercitif de l’Etat central.

A peu près, tous les pouvoirs de l’Etat au Maghreb ont été consacrés par la convergence des intérêts tribaux ou plus exactement des avantages de puissantes chefferies. Ainsi, l’arbitrage de la succession d’Ibn Toumert n’a pu se faire que grâce à l’arbitrage des deux composantes tribales dont sont originaires les deux protagonistes du mahdisme.

On retrouve cette prise du pouvoir et sa cristallisation à toutes les époques de l’histoire des dynasties et des tribus amazighes et du corolaire venu d’ailleurs. Nous ne pourrions aborder ce sujet l’objet délictueux de l’ailleurs comme fondement de la légitimité politique des groupes sociaux mais toujours est-il qu’il faut bien admettre que le simulacre de l’origine accentue le dilemme identitaire.

Dans tous les cas, dire l’origine surtout lorsqu’il s’agit de la généalogie prophétique est une manière de prendre le pouvoir sur ceux qui en sont excluent par nature du fait messianique incarné par Ibn Rostom, Idriss 1er, Ubayd Allah al Mahdi, tous figures de l’ailleurs qui ont été sans exception promus respectivement par les tribus berbères autochtones, les chefs tribaux berbères de Tahert, les Awrab originaires des Aurès et installés au Maroc après la défaite de Koceila, et les Ketamas, dans la formation des Etats-dynasties rostomide, idrisside et fatimide.

Bien que la Koutoubia soit la consécration du pouvoir almohade sous l’instigation de Abdelmoumem, nous retrouvons, le croisé des auspices bienfaisantes dans l’exemple de la mosquée Mansourah de Tlemcen construite par le mérinide Abu Yaqub Yusuf al-Nasr lorsqu’il prit le contrôle de la capitale des Zianides. Malheureusement à la fin du blocus de la ville par les Mérinides, elle fut détruite et il ne reste de la mosquée que le minaret.

Le cas des rivalités entre les Mérinides et les Zianides dont on dit qu’ils sont respectivement originaires du Zab et des Aurès(Algérie) montre bien l’imbroglio de l’histoire des dynasties maghrébines. L’exemple de la dynastie hafcide de Tunis est la marque d’une réorganisation tribale initiée à l’ombre des Almohades par Abou Hafs Omar de la tribu des Hentata du Haut Atlas marocain. On ne saurait s’étendre plus sur les caractères communs d’une population maghrébine tiraillée par les tenants du national-chauvinisme.

Du reste, les larges échos du nationalisme chauvin orchestré par les médias officiels, contribuent à envenimer les relations bilatérales et entretiennent une exécrable animosité d’entre les peuples. De telle sorte que l’idéologie nationaliste mise au service des puissants oblitère le plus souvent les vrais bâtisseurs à la faveur des gouvernants. Ainsi dans le domaine du monumental, le nom des bâtisseurs reste toujours inconnu par le public et effacé de l’histoire au seul profit des souverains.

Dès lors, le paradoxe du maitre et de l’esclave dans le domaine de l’art architectural est toujours problématique dans le domaine de l’appropriation des œuvres collectives au point que les rois et les grands chefs militaires et autant des présidents s’adjugent le droit de nommer un monument au détriment de la sueur des milliers d’ouvriers qui ont contribué à son élévation. Pour peu que cela concerne le Maghreb, l’entrecroisement des tribus, des régions contribue fortement à l’élévation d’une civilisation nord-africaine creuset d’un fonds amazigh répertoire d’une variété culturelle dans tous les domaines de la vie.

Pour ainsi, dire, le costume, la décoration (le zelij), l’architecture, le langage, l’art culinaire, etc., sont l’expression de ce fonds commun qui remonte au Néolithique au cours duquel s’installent les premiers sédentaires au contact permanent avec les pasteurs nomades.

L’agro-pastoralisme en est l’expression socio-économique prédominante à cette époque de l’histoire des populations amazighes. Si au néolithique, l’Etat comme organisation centralisée reste absent dans la forme et le contenu, il indubitablement avéré que le couscous sous ces diverses variantes qui est largement partagé d’Est en Ouest et du Nord au Sud de la Tamazgha, reste une plat caractéristique des premiers Amazighs et qui depuis la domestication du gland de chêne (Belout) et de tant d’autres fruits sauvages, bien avant le blé et l’orge par les premiers agriculteurs et pasteurs nord-africains, traduit de fait la spécificité amazighe; celle de la durée historique ou tout du moins du partage entre les particularismes régionaux ou locaux de l’art culinaire.

Pour revenir à l’histoire qui par bien des aspects, les tribus et les Etats de l’Afrique du nord ont toujours été confrontés à cet impossible empire dont il ne se sont pas fait comme le remarque avec justesse André Adam lorsqu’il écrit: « Pendant des siècles sinon des millénaires, ils n’ont admis que le pouvoir tribal et lorsqu’ils oint créé des empires, ce n’était que par une monstrueuse dilation du tissu tribal; qui d’épuisait vite dans cet usage pour lequel, il n’était pas fait. »

Ni Massinissa, ni Juba II, ni Abdelmoumen et tant d’autres chefs politiques n’ont réussi à unifier consentement les différents populations de l’Afrique du Nord et du Sahara. Au point du non retour, hélas! les Etats nationaux subissent les contre-coups des enjeux géopolitiques.

Au demeurant, la mobilisation par ces mêmes Etats d’une cohorte d’historiens professionnels et amateurs à quoi s’ajoutent des lecteurs des cartes d’une géographie historique aux limites floues et d’une frontière incertaine, nous plonge dans un désolant spectacle. A bien des égards, le mieux c’est de faire une lecture d’Ibn Khaldoun (l’histoire des dynasties musulmanes du Maghreb) sans prendre en compte la généalogie des origines.

Du reste, le discours des origines est une pure manipulation de la filiation dynastique et chefferale qui a servi respectivement plus les Etats-dynasties et seigneuries ou principautés au détriment d’un foisonnement historico-tribal dont la compréhension passe par un méga projet componentiel pour saisir les inputs et les outputs selon la schéma proposé par Jacques Berque (Logiques d’assemblage au Maghreb, Diagramme d’une organisation tribale, L’intérieur du Maghreb, Editions Gallimard, 1978) à partir de la théorie des graphes. De ce point de vue, tous les condominiums, Etats-dynasties et Tribus-états n’échappent à la loi du cycle biologique de l’Etat.

Au fait de l’histoire, seules échappent à la mort, les tribus proprement dites parce qu’elles incarnent le lieu par excellence de la définition de soi et tout du moins le terroir désigné par les expressions Tamurt ou Lbald. De telle sorte que le factuel de l’histoire nous dicte les impératifs d’une historicité certaine des groupes sociaux qui sont généralement les oubliés de la com-mémora-tion des Etats.

Fatah Hamitouche

N. B.

Nous pensons que le schéma du foisonnement des tribus berbères et de leur corolaire venu d’ailleurs est une constante variabilité qui traverse toute l’histoire de l’Afrique du Nord et du Sahara. On peut faire valoir que les prémisses de ce phénomène commence avec l’histoire d’Elissa de Tyr et de son accueil par le chef des Maxitani, tribu qui a cédé une partie de son territoire aux Tyriens.

D’ailleurs Esma Harrouch (Elitta et Iarba’al, Elissa et Iarbas, L’Hymen de la rue et de la force, Editions L’Harmattan, 2006) en tire une histoire qui laisse préfigurer une organisation étatique animée par cette même tribu. D’autant que les nationalisme maghrébins n’échappent pas à cette règle lorsqu’on relève que des animateurs des mouvements indépendantistes maghrébins sont originaires des différentes régions du Maghreb. Le cas le plus connu est celui d du premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella dont les parents sont natifs de Marrakech. Donc, On peut y ajouter à l’infini, le décloisonnement des figures historiques du Maghreb.

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