4 novembre 2024
spot_img
AccueilCultureTassadit Yacine, une anthropologue engagée

Tassadit Yacine, une anthropologue engagée

Originaire d’At Sidi Vrahem en basse Kabylie dans les Aït abbas, wilaya (département) de Bejaia, Tassadit Yacine est socio-anthropologue, dont les travaux font autorité dans le champ des études berbères. Directrice d’Etudes à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et chercheuse au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS) du Collège de France, elle est membre de l’Académie Ambrosiana de Milan (Italie).

Spécialiste du sous-continent nord-africain, notamment dans sa dimension historico-culturelle amazigh (berbère), on doit à T. Yacine de nombreux travaux d’anthropologie sur la Kabylie, le fait berbère en Afrique du Nord et la question coloniale plusieurs fois millénaires et ses effets délétères sur la construction identitaire complexe post-coloniale et les formes plurielles d’expression culturelle de la société algérienne.

Plus largement l’anthropologue interroge les sociétés maghrébines à partir d’une position à la fois proche et distante en s’appuyant principalement sur l’anthropologie symbolique, un concept forgé par Pierre Bourdieu, et les travaux sur le genre de Sherry Ortner (anthropologue américaine, 1941) et de Françoise Héritier (anthropologue française 1933-2017). Quand bien même les réalités socio-culturelles qu’elle analyse depuis plusieurs dizaines d’années la serrent de très près, elle a su, en tant que chercheuse, garder une distance critique indispensable sur l’objet de ses études.   

Intellectuellement, ses réflexions sont nourries non seulement par son riche savoir académique, accumulé au fil des décennies de recherche, et les outils et concepts façonnés par Pierre Bourdieu et Mouloud Mammeri sur la Kabylie et qui en sont de fins connaisseurs, mais aussi par son expérience et ses observations empiriques de terrain parce qu’elle y est originaire. Une région qu’elle a explorée dans ses moindres recoins.

Ces deux grands auteurs notoirement connus, le premier est sociologue, le second écrivain, ont joué un rôle ô combien décisif dans le parcours et l’œuvre de T. Yacine. À leur côté, elle a participé à la fondation de la revue semestrielle AWAL (parole en berbère) à Paris en 1985(Cahiers d’Etudes berbères (MSH) et dont elle est directrice depuis une quarantaine d’années.

- Advertisement -

En outre, son érudition sur les sociétés maghrébines est largement consolidée par les riches et éclairants travaux sur l’islam de Mohammed Arkoun qui fut l’un de ses plus proches amis. C’est bien auprès de ces trois grands penseurs qu’elle a fourbi ses premières armes de chercheuse en anthropologie culturelle. 

La science qui étudie les sociétés et les conduites humaines et leurs manières de penser à un moment donné de leur histoire. Il s’agit d’une discipline indispensable aussi bien à l’anthropologue et à l’historien qu’aux autres chercheurs en sciences sociales. Elle permet de saisir et d’analyser les phénomènes sociaux de plus près, loin des approches essentialistes qui réduisent les faits sociaux à des réalités de nature constante, or tout ce qui s’inscrit dans le champ culturel est évolutif, et ne saurait être que de l’ordre du changement et non du fixisme.

Intellectuelle engagée dans les deux rives de la Méditerranée, ses premières publications sur la poésie kabyle ont été d’ailleurs préfacées par Mammeri et Bourdieu. Prenant pour point de départ les études sur la Kabylie, son port d’attache, elle n’a pas manqué d’étendre ses travaux à l’ensemble des communautés ethnolinguistiques dominées un peu partout dans le monde pour que leurs droits civiques, culturels ou de genre soient reconnus.

Aussi, son intérêt à l’étude du genre et à la place des femmes au sein des sociétés berbères est incontestable ; elle s’est intéressée aux différents rôles traditionnels des femmes dans ces sociétés, les mutations que ces dernières ont connues et la manière dont les premières évoluent au gré de ces transformations dans un cadre socio-culturel dominé par le patriarcat.

Ses travaux sont de part en part sous tendus par la problématique de l’identité berbère, ils ont largement contribué à lever le voile sur les mécanismes de marginalisation de la culture et la langue berbères après l’indépendance de l’Algérie au nom d’un nationalisme ethno-confessionnel utilisé à des fins de contrôle et de domination des Algériens. Ses réflexions et analyses mettent en évidence l’intérêt de la reconnaissance linguistique et culturelle des peuples berbères.

Tassadit Yacine est l’auteure de nombreux et intéressants ouvrages, articles et travaux académiques sur la Kabylie et plus largement sur les sociétés d’Afrique du Nord à travers des thèmes divers traitant de l’identité officielle et des résistances identitaires, des pratiques culturelles, des langues et des formes d’expression orale via la poésie, les chants et les contes Kabyles.

Ces différentes formes d’expression orale constituent de puissants modes de création culturelle, de transmission des valeurs, des codes et des mémoires collectives, mais aussi de résistance aux politiques d’« homogénéisation » autoritaire et de domination politique et culturelle.

Ses riches travaux sur la culture, les langues, l’identité et le genre berbères ante et post colonial sont incontournables pour toute recherche académiques sur les sociétés maghrébines. Auteure de nombreuses publications, articles, contributions à des ouvrages collectifs dont, notamment :  

  • «Chacal ou la ruse des dominés » aux éditions La Découverte, 2001.
  • « Autour de l’anthropologie et de Pierre Bourdieu », Awal, numéro spécial, n° 21, 2000, pp. 3-4
  • « L’Algérie, matrice d’une œuvre », in Encrevé, P., Lagrave, R.-M. (sous la direction de), Travailler avec Bourdieu, Paris, Flammarion, 2003, pp. 333-345.
  • « Pierre Bourdieu et la sociologie de l’Algérie », Ethnography, 5, pp. 2004, pp. 487-509.
  • « Si tu m’aimes guéris-moi », Editions Maison des sciences de l’homme (MSH), 2006.
  • « Abdelmalek Sayad et Ourida : l’écrivain public et la militante féministe et porteuse de valise », in femmes en rupture de ban, édité par Eric Fassin et Salima Amari, Editions Raisons d’Agir, Paris, 2021, pp.189-211.
  • « La science en soi », in La vie Savante, sous la direction Nicolas Adell, Paris, Presses universitaires de France, 2021, pp. 255- 283.
  • Pierre Bourdieu en Algérie (1956-1961), Témoignages, Editions du Croquant, 2022.

On lui doit également d’autres publications, articles et entretiens dans Carnets Critiques (Open Édition), des contributions à des publications collectives (édition du Croquant) à la Revue regards sociologiques, Ethnographie française etc…

À l’invitation du Forum de solidarité euro-méditerranéenne (Forsem) en Rhône Alpes, l’anthropologue Tassadit Yacine donnera une conférence dans la salle du Conseil de la Mairie du 1er arrondissement de Lyon le 8 novembre 2024 de 18h00 à 20h00 sur le thème : Pierre Bourdieu et la Kabylie. Un intellectuel engagé qui fut le trait d’union entre la France et l’Algérie où il a effectué son service militaire (1955-1958), au cours de la guerre d’Algérie et où il a enseigné en tant qu’assistant à l’université d’Alger de 1958 à 1960.

Qui plus est, la Kabylie est le champ favori de ses recherches en sociologie et anthropologie au début de sa carrière dans un contexte colonial fortement marqué par la guerre d’Algérie, les rapports de domination et les inégalités sociales et de statut juridique. Et c’est à l’occasion de ses travaux sur les structures sociales et les pratiques culturelles en Kabylie qu’il a forgé l’essentiel des concepts sociologiques comme l’habitus, le champ, l’espace social, le code de l’honneur, la réciprocité, le respect, le capital symbolique…

Ses recherches sur la Kabylie sont fondamentales pour comprendre l’évolution de sa pensée sociologique, et c’est en s’appuyant sur ces travaux qu’il a développé par la suite une sociologie critique des institutions et des pratiques culturelles en France. Bourdieu a coécrit avec son ami et collègue Abdelmalek Sayad un livre majeur : Le Déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en AlgérieLes Editions de Minuit, 1964, Collection Documents, 228 pages

T. Khalfoune

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles

Commentaires récents