La paix diplomatique attendra entre Alger et Paris. À moins d’un mois du soixantième anniversaire des accords d’Évian, les relations entre l’Algérie d’Abdelmadjid Tebboune et la France d’Emmanuel Macron sont à leur paroxysme. En réponse à une question sur sa si attendue visite en France, aamou Tebboune n’a rien trouvé de mieux à dire qu’évoquer une expression de Bismarck.
Les échanges acerbes se multiplient entre l’Algérieofficiellede Tebbouneet la France de Macron. Les petites phrases comminatoires marquent une détérioration alarmante des liens historiques entre les deux nations. Et pour illustrer le malaise, Tebboune n’a rien trouvé de mieux que de botter en touche en invoquant le martyre des Algériens pendant la colonisation. L’argument est trop facile !
Tebboune, qui avait pourtant fait l’éloge de Macron il y a quelques mois, se découvre grand pourfendeur de la France. Eh oui, depuis, il y a eu la sortie de Macron sur le Sahara occidental. Sacrilège pour les autorités algériennes.
En réponse, elles rappellent dare dare l’ambassadeur d’Algérie à Paris. Pour autant, cela n’a pas empêché Emmanuel Macron de dépêcher à Alger Mme Anne-Claire Legendre, son envoyée spéciale et conseillère Afrique du Nord et Moyen-Orient le 11 septembre dernier. Elle sera même reçue par Tebboune. Des voix se sont d’ailleurs interrogées comment se fait-il qu’une simple envoyée spéciale soit reçue officiellement par le chef de l’Etat en personne, alors même que les relations sont au plus bas ! En vrai, en dépit de la crise, Tebboune n’a jamais caché son désir d’être accueilli en France en visite officielle.
Lors d’un entretien télévisé le 5 octobre, il a récemment écarté l’idée d’une visite en France « Je n’irai pas à Canossa », a-t-il déclaré, exprimant ainsi son refus d’implorer un pardon. Cette expression, popularisée par Bismarck, évoque le voyage humiliant de l’empereur Henri IV, qui se rendit à Canossa pour demander grâce au pape. Ce choix de mots révèle une posture de défi face à Paris, symbolisant une rupture dans le dialogue.
La visite de Tebboune, sans cesse repoussée depuis mai 2023, était dernièrement prévue entre fin septembre et début octobre 2024. Cependant, les relations entre l’Algérie et la France ont de nouveau pris un tournant glacial après l’annonce, fin juillet, de l’appui de Paris au plan d’autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental. Alger a immédiatement rappelé son ambassadeur en France et a réduit sa représentation diplomatique, ne conservant qu’un chargé d’affaires.
Le chef de l’Etat algérien, réélu dans un contexte de controverse entourant les résultats électoraux, a exprimé sa déception concernant l’évolution des relations franco-algériennes. Il a dénoncé les « mensonges » véhiculés sur l’Algérie, n’hésitant pas à évoquer un « génocide » lors de la colonisation. Cet usage de l’histoire pour alimenter un discours nationaliste résonne avec les profondes blessures laissées par la guerre d’Algérie. Pourtant, cet affrontement rhétorique contraste avec ses récentes déclarations enthousiastes concernant une éventuelle visite en France.
La création d’une commission d’historiens, destinée à apaiser les tensions, ne semble pas avoir suffi. En effet, le passé colonial continue de peser lourdement sur les relations bilatérales. Le rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris suite à l’annonce du soutien français à un plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental a exacerbé les tensions, ajoutant une couche supplémentaire à une relation déjà fragile.
Tebboune a également mis en avant les essais nucléaires français menés en Algérie dans les années 1960, suggérant que toute perspective d’amitié dépendrait d’un nettoyage des sites contaminés. Cette exigence souligne la méfiance croissante d’Alger envers Paris, mais également l’insatisfaction persistante face à un passé colonial non résolu.
Les dynamiques politiques en France, marquées par la montée de l’extrême droite et des tensions internes, compliquent encore davantage la situation. Le rejet par l’Assemblée nationale d’une proposition visant à dénoncer l’accord franco-algérien de 1968, qui accorde un statut particulier aux Algériens en France, alimente cycliquement les critiques de Tebboune. Selon lui, cet accord sert désormais d’« étendard » pour les extrémistes de droite, entravant toute avancée dans les relations.
Comme nous l’avons écrit plus haut, le refus de Tebboune de se rendre en France est le fruit d’une réaction à l’annonce de Macron, qui a exprimé son soutien au plan de Mohammed VI concernant le Sahara occidental. Dans ce contexte, les blessures du passé semblent n’être qu’un prétexte pour justifier un tournant diplomatique. La preuve ? Tebboune a eu la même réaction quand l’Espagne a annoncé son soutien au plan marocain sur le Sahara occidental. Alger rappelle son ambassadeur, roule les mécaniques quelques mois avant de changer de ton et de renvoyer son ambassadeur à Madrid sans faire fléchir la décision espagnole.
À cela s’ajoute la crise survenue suite à l’affaire Bouraoui, qui a exacerbé les tensions entre les deux pays. l’exfiltration du Dr Bouraoui de la Tunisie vers la France après que cette activiste a réussi à échapper à la vigilance des policiers chargés de la surveillance des frontières algériennes a provoqué un tollé à Alger, où le gouvernement a accusé la France de s’immiscer dans ses affaires intérieures.
L’histoire des crises diplomatiques entre la France et l’Algérie remonte à loin. Des tensions majeures ont déjà émergé par le passé, notamment avec la nationalisation des hydrocarbures par Houari Boumediène en 1971, qui avait provoqué un bras de fer durant plusieurs années.
Aujourd’hui, l’écho de ces crises n’est plus le même. La réactivation de vieux ressentiments et la montée des nationalismes de part et d’autre semblent indiquer qu’un réchauffement diplomatique n’est pas à l’ordre du jour. Les enjeux de cette situation, bien plus que des disputes politiques, touchent à l’identité nationale et à la mémoire collective des deux pays.
Dans cette guerre froide diplomatique, il est crucial de rester vigilant, car les tensions entre Alger et Paris pourraient cacher d’autres enjeux internes aux deux pays.
Jeudi 25 juillet, suite à la déclaration du président français sur le Sahara occidental, le ministère des Affaires étrangères algérien a exprimé dans un communiqué sa « profonde désapprobation » de la décision « inattendue, inopportune et contre-productive » de la France d’apporter son soutien à ce plan. Cette situation a suscité des inquiétudes parmi ceux qui partagent leur temps entre la France et l’Algérie pour des raisons professionnelles ou personnelles. Le comble est arrivé avec l’annonce de la visite de Emmanuel Macron à Rabat dans quelques semaines. Ce rapprochement entre Paris et Rabat a creusé le ressentiment de Tebboune qui croyait en Macron.
Cette combinaison de tensions diplomatiques finira inévitablement en queue de poisson avec le retour de l’ambassadeur d’Algérie en France et un énième coup d’éponge sur cette brouille.
Yacine K.