Dimanche 24 mai 2020
Tebboune s’enferme dans le piège de la chari’a
Crédit photo : Zinedine Zebar.
Il ne faut jamais se réjouir d’une parole emprisonnée, fut-elle de cheikh Chemsou, débiteur intarissable de conneries cathodiques et vedette incontestable des chaînes de l’istihmar (abêtissement) populaire par la manipulation de la religion.
La popularité de l’imam-animateur est indéniable et ne dérangeait pas le régime tant qu’il se cantonnait dans le rôle du père-fouettard, flagellant un peuple supposé ne pas maîtriser les préceptes d’une religion qui s’introduit dans l’intimité même des croyants.
La popularité de Chemsou tient en partie à sa disposition à aborder le sujet obsessionnelle de la sexualité. Pour avoir ignoré une ligne rouge virtuelle, il est sifflé hors jeu et carrément mis hors champ. L’imam est presque accusé de blasphème pour avoir refusé de bénir l’appel du gouvernement à lui verser la zakat (aumône) de l’aïd el fitr.
Le ministre des Affaires religieuses a été désigné pour aller sur le front médiatique et expliquer le carton rouge infligé au prédicateur. Son argumentation est absolument ahurissante. Et surtout inquiétante. Pour le ministre, un avis contraire à celui du gouvernement ne doit pas trouver d’expression publique, que cela soit sur les réseaux sociaux ou dans tout autre espace. Cet avis doit rester au plus profond de l’esprit où il a germé.
Selon lui, cheikh Chemsou est coupable de désobéissance au waliy el amr, le « détenteur de l’autorité » chez les musulmans. C’est une figure qui apparaît dans le verset 59 de la sourate 4 du Coran. « Obéissez à Dieu, obéissez au Messager et à ceux d’entre vous qui détiennent le pouvoir ». Un hadith ajoute: « écoutez et obéissez au détenteur de l’autorité quand bien même il serait un esclave abyssin dont la tête ressemble à un raisin sec ».
Le verbe obéir est employé dans la relation à Dieu et au Messager mais au waliy el amr. Les exégètes dont les études se sont arrêtées aux premiers temps de l’islam en avaient conclu que la règle s’appliquait seulement si le waliy el amr exécutait des recommandations divines. C’est à dire l’application du Coran.
La règle est donc tombée en désuétude depuis bien longtemps et Tebboune n’est pas un président de droit divin et n’a pas le statut du waliy el amr revendiqué pour lui par le ministre des Affaires religieuses. Celui-ci veut enfermer le débat dans une règle de la chari’a, qui plus est obsolète. Il n’est pas demandé à M. Tebboune d’appliquer le Coran mais laloi, issue théoriquement de la Constitution. En Algérie, la source du pouvoir n’est pas Dieu mais le peuple qui assume ce statut par le biais d’élections.
Tebboune peut au mieux revendiquer un statut d’élu du peuple. Mais quand on connaît les conditions de son élection (désignation) c’est un élu bien fragile. Il est plus l’incarnation d’une autorité de fait.
De ce point de vue, son ministre des Affaires religieuses peut se permettre d’interdire toute expression d’avis contraire. C’est de l’arbitraire et rien d’autre.