C’est à l’occasion du séminaire qui s’est tenu à Marseille autour de la thématique « Les défis de la traduction de l’histoire : entre fidélité au texte et réinterprétation du passé, et les enjeux de la traduction durant la période coloniale » que nous avons eu l’honneur de rencontrer M. Missouri Abbés, professeur à l’université Djilali Liabès de Sidi Bel Abbès.
Spécialiste passionné de langue et d’histoire, il s’est distingué récemment par la traduction de l’ouvrage du Pr Djilali Abdelkader Chekroun, L’Histoire de l’Algérie, un texte dense, engagé, et profondément ancré dans la mémoire collective du pays. Dans cet entretien accordé au Matin d’Algérie, il revient avec sincérité et acuité sur les enjeux d’un tel travail : comment concilier fidélité au texte source et clarté pour le lecteur contemporain ? Quelle posture adopter face aux passages sensibles de l’histoire nationale ? Et en quoi la traduction, au-delà des mots, peut-elle devenir un véritable acte de transmission, de compréhension, et parfois même, de réparation ?
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a motivé à entreprendre la traduction de cet ouvrage du Pr. Djilali Abdelkader Chekroun ?
Missouri Abbes : D’abord parce qu’il s’agit d’un ouvrage qui a trait à l’histoire de mon pays. En plus, il y avait toujours une complicité entre M. Chekroun et moi-même, et, à mon sens, ce sont des raisons qui m’ont motivé pour me lancer dans ce travail de traduction. Je suis aussi fasciné par l’histoire en général, et celle de mon pays en particulier.
Le Matin d’Algérie : Quels ont été les principaux défis rencontrés lors de la traduction de ce livre, compte tenu de la densité historique du contenu ?
Missouri Abbes : C’est surtout l’enchaînement des événements historiques qui m’a poussé à rester accroché à ce travail. Certes, il m’a pris un temps considérable, mais cela n’a pas de prix devant la sainteté de la tâche. À travers la lecture et la relecture de l’ouvrage, j’avoue que j’ai appris beaucoup de choses.
Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous abordé la question de la fidélité au texte original tout en le rendant accessible à un public francophone contemporain ?
Missouri Abbes : En vérité, oser affirmer être resté fidèle au texte source ne peut être vrai. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il y avait des passages où je devais emprunter un autre chemin (après approbation de l’auteur, bien sûr) pour que les idées soient plus claires et plus concises. Quant au public, cela va de soi, car tout lecteur pourrait avoir une autre interprétation, notamment à l’égard des événements que l’histoire a toujours retenus.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous privilégié une démarche littérale ou interprétative pour certains passages sensibles de l’histoire ?
Missouri Abbes : Plutôt une démarche interprétative en ce qui concerne ces passages sensibles, tout simplement parce que, tout au long du travail de la traduction, je me suis senti partie intégrante de l’histoire. En d’autres termes, et humblement, je me voyais dans cette histoire d’Algérie du fait que beaucoup de membres de ma famille soient des martyrs.
Le Matin d’Algérie : Le livre ouvre de nombreuses périodes historiques. Comment avez-vous géré la diversité des terminologies et des concepts historiques dans votre travail de traduction ?
Missouri Abbes : Sans peine, car il faut d’abord avoir une richesse linguistique en ce qui concerne la langue de départ (source) pour pouvoir maîtriser son sujet d’une manière efficace.
Le Matin d’Algérie : Quelle partie ou période de l’ouvrage vous a semblé la plus complexe à traduire, et pourquoi ?
Missouri Abbes : Difficile à traduire ? Non, je ne crois pas que c’était le cas. Cependant, ce sont surtout ces périodes qui m’ont marqué, plutôt m’ont bouleversé de par leur richesse en enseignements. Tout au long de la pratique de la traduction, j’avais comme l’impression de vouloir vivre des événements en dépit de leur caractère dur et marquant. L’histoire de l’Algérie demeure un mythe où des hommes ont marqué les temps de par leurs positions et sacrifices.
Le Matin d’Algérie : Selon vous, en quoi la traduction peut-elle être considérée comme une « fenêtre sur les cultures », thème de ce salon ?
Missouri Abbes : C’est surtout permettre à l’Autre de découvrir une histoire par le biais de la langue, car on apprend une langue pour pouvoir accéder à la culture de l’Autre et pouvoir traduire pour permettre à l’Autre de découvrir les vérités.
Le Matin d’Algérie : Comment la traduction peut-elle contribuer à une meilleure compréhension de l’histoire entre différentes communautés linguistiques ?
Missouri Abbes : C’est surtout une question d’implication. En faisant ce travail de traduction, non seulement on s’implique davantage, mais surtout on implique les autres. Les idées, les concepts et les dates permettent au lecteur de se ressaisir, de se remettre en cause, car, il faut l’avouer, avant toute lecture, les gens se faisaient des idées et portaient des jugements hâtifs, mais une fois qu’on se lance dans la lecture, beaucoup de choses changent.
Le Matin d’Algérie : Pensez-vous que traduire un texte historique implique une forme de responsabilité particulière par rapport aux faits et à la mémoire collective ?
Missouri Abbes : Absolument, c’est d’abord un engagement personnel et une responsabilité particulière, car, à ce moment-là où la fidélité au texte source interviendra. Le traducteur n’a pas le droit d’apporter des changements ou d’émettre un avis. Son rôle se limite à transposer les idées d’une langue à une autre tout en maintenant le contenu à sa forme initiale.
Le Matin d’Algérie : Comment percevez-vous l’évolution de la traduction historique à l’ère du numérique et avec l’émergence de l’intelligence artificielle ?
Missouri Abbes : L’IA est une mode innovatrice qui a tendance à disparaître un jour. Tout le monde s’est mis à cette mode. En ce qui me concerne, je conçois la chose différemment. Je garde mes anciennes pratiques. Toutefois, j’avoue que pour certaines pratiques, l’IA a beaucoup aidé les gens. Quant à la traduction, le concept est totalement autre. Entre une traduction faite à l’ancienne et celle où on introduit l’IA, la différence est de taille. J’aimerais toujours rappeler que c’est l’homme qui a créé l’IA, alors depuis quand une application pourrait détrôner l’intelligence humaine ?
Le Matin d’Algérie : Quels conseils donnez-vous à de jeunes traducteurs qui souhaitent se spécialiser dans la traduction des textes historiques ?
Missouri Abbes : À vrai dire, la traduction est à la fois un art et une passion. Traduire des textes historiques nécessite doigté, exemplarité, fidélité et surtout abnégation. Il faut surtout aimer ce que l’on fait. Faites-en sorte de maintenir une cadence ascendante où l’on apprend au fur et à mesure.
Le Matin d’Algérie : Que retenez-vous de votre participation à ce salon culturel à Marseille ?
Missouri Abbes : Sur le plan humain, c’était une expérience assez riche où j’ai pu croiser de bonnes gens de la trempe de M. Sellam, M. Hood, Mme Kasdi et vous-même. Aussi, j’ai pu découvrir l’engouement qu’ont les gens pour les traversées historiques. Ce salon m’a permis aussi de m’exprimer sur ce que j’aime (la traduction) mais aussi sur ce que je ne partage avec les autres, avec respect et humilité.
Le Matin d’Algérie : Quels échanges ou interventions vous ont particulièrement marqué lors des conférences et des tables rondes ?
Missouri Abbes : C’est surtout la manière avec laquelle M. Sellam a fait défiler les événements. J’ai été grandement impressionné par cette personne à qui je voue respect et grande considération. D’autre part, l’intérêt que le public a eu pour les thèmes évoqués m’a aussi fait un grand plaisir.
Le Matin d’Algérie : En quoi ces rencontres internationales enrichissent-elles votre travail de traducteur et de chercheur ?
Missouri Abbes : C’est surtout les divergences qu’on pourrait avoir sur certains points. En tant que traducteur/chercheur, ces rencontres m’ont permis d’avoir une autre vision sur la manière avec laquelle il est si important de savoir manipuler les textes historiques, notamment ceux qui présentent des amalgames et autres disparités.
Le Matin d’Algérie : Quels sont, selon vous, les prochains défis que devront relever les traducteurs dans le contexte méditerranéen ou maghrébin ?
Missouri Abbes : Afin d’encourager la découverte de l’Autre et surtout de s’aligner sur le concept du vivre ensemble, les traducteurs sont appelés à échanger les expériences et à se découvrir mutuellement à travers leurs productions.
Entretien réalisé par Djamal Guettala
Vous dites « J’aimerais toujours rappeler que c’est l’homme qui a créé l’IA, alors depuis quand une application pourrait détrôner l’intelligence humaine ? »
Pourtant si, en médecine par exemple qui vient en aide aux médecins comme par exemple la détection des cancers. Certaines usines fonctionnent complètement
qu’avec des robots etc….c’est une réalité dont il faut tenir compte et surtout pas sous estimée!