5 février 2025
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Trump menace surtout ses alliés

Élu, et bien élu, Donald Trump s’installe au sommet de la première puissance mondiale. Débarrassé de ses adversaires démocrates qui terrassés, se retrouvent sans chef et sans programme. Car ils ont plus perdu que lui même n’a gagné.

Arrivé au pouvoir dans des conditions beaucoup moins impréparées que la première fois, il a à ses côtés des équipes qui ont mis quatre années à peaufiner leur programme, rêvent de l’appliquer sans tarder et ont acquis une expérience en matière de gestion gouvernementale.

Il a depuis longtemps identifié ses ennemis et n’entend pas perdre de temps à s’en débarrasser. Il a prévenu, des têtes allaient tomber et il allait détricoter prestement toutes les décisions prises durant le mandat Biden. Qu’importe si des recours en justice bloqueront en partie ses actes. Cela ne freinera pas son ardeur.

On ne peut se dispenser d’évoquer le souvenir de l’alignement des astres qui avait accompagné au début des années 80 l’élection de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher que beaucoup considèrent comme le début d’une nouvelle ère à partir de laquelle s’était propagée la vague néolibérale mondialisée qui avait balayé la planète et mis en avant la thématique de la révolution conservatrice reprise en partie par Trump et son équipe. Mais le contexte n’est plus le même. À l’époque la domination américaine sur le monde n’était pas contestée.

Quarante ans plus tard, les États-Unis n’ont plus ce pouvoir. Entretemps, certes l’Union soviétique et ses alliés se ont effondrés, mais la Chine dès les années 2000 et son adhésion à l ‘OMC a émergé et est devenue rivale systémique.

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La guerre d’Ukraine et plus encore celle d’Israël a fait apparaître l’isolement de l’Occident et a révélé un « Sud global » certes disparate mais ayant en commun la volonté de ne pas apparaître alignés sur la première puissance mondiale. Bref, les États-Unis ne peuvent à eux-seuls prétendre façonner le monde ou y dicter leur loi.

Leur hégémonie se limite désormais au petit monde, celui qu’on appelle l’hémisphère occidental. Et c’est dans cet espace-là que désormais ils peuvent prétendre ambitionner de faire bouger les lignes. Leurs slogan « America first » ou « Make America Great Again », au-delà de leur portée électorale non-négligeable, ne vise en réalité qu’à maintenir un chef de filât reconnu par leurs alliés, mais très peu au-delà.

Garder leur place au sein de leur camp, voilà leur ambition, même si, sujet non-invoqué, la dégringolade profonde est celle de l’Occident. En son temps l’inflexion d’Obama vers le « pivot asiatique » avait déjà anticipé cette posture poursuivie par le premier mandat de Trump à travers sa politique d’affrontement commercial.

Les chiffres sont impitoyables et sans appel. Tout d’abord le poids des pays occidentaux dans l’économie mondiale s’est affaibli au fur et à mesure que la mondialisation progressait. Cette perte d’influence s’est traduite pour les pays du G-7 par un passage de 50 % à 31 % du PIB mondial des années 1980 à aujourd’hui. Ce sont les pays non-occidentaux notamment les Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine) qui en bénéficièrent, en particulier la Chine. Aujourd’hui le noyau dur des Brics a déjà dépassé la production des pays du G7. Les États-Unis sont dans l’incapacité d’agir contre cette tendance lourde et ils se retournent contre leurs alliés traditionnels qu’ils espèrent pouvoir affaiblir à leur profit.

Car c’est bien sur eux que pèsera le poids principal des mesures annoncées telles qu’elles transparaissent dans les décrets présidentiels en cours de signature.

Mais dans l’ordre interne, il y a d’abord tout ce qui relève du règlement de compte – voire de la vengeance – réservé aux adversaires et les arrangements offerts aux amis. Les charrettes ont donc commencé et il a été annoncé que le critère essentiel désormais retenu serait celui de la loyauté, manière de contrer ce qu’il appelle « l’État profond ». Les « persécutés » par Biden seront amnistiés. Une large place sera accordée aux fidèles soutiens, surtout à ceux qui n’auront pas oublié de manier le carnet de chèques de façon généreuse pour abonder la campagne, notamment ceux qui sont désignés comme des oligarques souvent appuyés sur les Gafam, bref une dizaine de milliardaires.

Dans son discours d’adieu, Joe Biden alla jusqu’à déclarer : « une oligarchie prend forme en Amérique faite d’extrême richesse, de pouvoir et d’influence qui menace déjà notre démocratie entière, nos droits élémentaires, nos libertés, et la possibilité pour chacun d’avoir une chance équitable de s’en sortir ».

Constat lucide mais concernant une situation qu’il avait peut-être laissée se développer lui-même. Car il est un peu tard pour découvrir la montée des « multimilliardaires, des super, ultra-riches, les personnes les plus fortunées de la planète qui commencent à contrôler tout le système, des médias à l’économie ».

Mais l’obsession migratoire est le domaine où le nouveau président a dégainé le plus vite et, fait nouveau, a militarisé le sujet en mobilisant la garde nationale. D’emblée blocage des frontières, en particulier celle du Mexique et expulsion de migrants en situation irrégulière – estimés par lui-même à 11 millions – ont été mise en œuvre, avec plus ou moins de succès. Les recours en justice et refus des pays d’admettre leurs ressortissants ont grippé le processus. Un bras de fer s’est engagé d’où il est ressorti largement gagnant face à la Colombie, au Brésil, et au Guatémala. Les pays concernés viendront eux-mêmes chercher leurs ressortissants.

Les menaces d’élévation de droits de douane ont joué leur plein effet. Mais il faudra néanmoins construire de nombreux centres de rétentions – utiliser à nouveau Guantanamo – pour amorcer un tel processus qui est engagé et marquera tout au long le deuxième mandat. Le droit du sol est menacé malgré son inscription dans la Constitution.

Dans l’ordre international, le discours est radical et concerne essentiellement ses alliés. Les marges de manœuvre face à la Chine sont réduites, tant à cause du rapport de force que des intérêts que certains des oligarques qui le soutiennent partagent avec celle qui constitue pour eux à la fois un fournisseur et un débouché non-négligeable. Le rapport à la Russie et au-delà l’implication américaine dans la guerre d’Ukraine reste le plus difficile à cerner. Les déclarations ne sont guère nombreuses et il n’est pas certains qu’une posture soit encore élaborée. Le sentiment qui prévaut n’est pas escalatoire, mais l’on sent bien que ce conflit a pour l’instant fabriqué deux gagnants – la Chine et les États-Unis – et deux perdants – la Russie et l’Europe, y compris l’Ukraine.

La logique voudrait qu’on laisse s’essouffler les belligérants en participant le moins possible aux frais. Le cas israélien fait exception tant les deux États sont liés par des liens d’une extrême intensité. Les États-Unis et d’une façon générale l’Occident ont laissé Israël faire le sale boulot, c’est-à-dire mener sa guerre régionale et accumuler victoire sur victoire – Hamas, Hezbollah, Syrie, Iran – en fournissant armes, logistique, présence militaire de la 6éme flotte, et argent sans compter.

L’accord de cessez-le-feu qui reprend pour l’essentiel le plan Biden d’il y a plusieurs mois a maintenant une double paternité puisque Trump le revendique également. Pour qu’il ait fini par être entériné par Nétanyahou, il a bien fallu qu’il comporte des contreparties non publiques : connivence sur la poursuite de la colonisation de la Cisjordanie, dispersion de la population de Gaza en Jordanie ou en Égypte et/ou fourniture d’armes très offensives pour détruire le dispositif nucléaire iranien.

Les milieux sionistes-chrétiens évangéliques très influents dans l’entourage de Trump pèseront de toutes leurs forces pour continuer à amarrer durablement Israël aux États-Unis. Le premier chef d’État à se rendre à Washington sera Benjamin Nétanyahou.

Mais l’essentiel des mesures envisagées concernent les pays alliés des États-Unis. Le Canada, le Mexique, Panama, le Groenland, l’Europe sont déjà ciblés sous des prétextes parfois fantaisistes. Trump propose ainsi au Canada de devenir le 51ème État américain proposant de réduire la fiscalité et les droits douaniers alors que les trois pays d’Amérique du Nord constituent un bloc commercial – l’Alena -, d’annexer le Groenland pour raison de sécurité, de s’en prendre aux pays de l’Otan accusés de ne pas augmenter leurs dépenses militaires et menacés d’être privés du parapluie militaire américain.

Il espère trouver en Europe même des complices comme l’Italie ou la Pologne qui relaieraient ses menaces et introduiraient le désarroi et la désunion et n’hésite pas à encourager là où il le peut la montée des forces d’extrême droite. Il faut ajouter à ce sombre tableau le retrait annoncé de l’Accord de Paris sur le climat ainsi que celui de l’Organisation Mondiale de la Santé ou l’arrêt pendant au moins 90 jours de tous les programmes d’aide à l’étranger en ménageant l’Égypte et la Jordanie, mais pas l’Ukraine.

Il est peu sûr qu’un programme aussi ambitieux puisse se réaliser sans réactions des cibles visées qui ne manquent pas de moyens de rétorsions. Trump n’a pas compris qu’une position hégémonique suppose des faux frais qu’on ne peut supprimer sans perte de l’influence du soft power.

Michel Rogalski

Directeur de la revue Recherches internationales

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

Site : http://www.recherches-internationales.fr/ 

https://shs.cairn.info/revue-recherches-internationales?lang=fr

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