Le Parlement tunisien a adopté tard dans la nuit du 6 au 7 février un amendement qui permet « à titre exceptionnel » le financement direct du budget par la Banque centrale de Tunisie (BCT). La parade est toute trouvée pour échapper aux fourches caudines du FMI et d’une éventuelle cessation de payement. Mais jusqu’à quand ?
Le texte autorise la BCT à prêter « à titre exceptionnel » à l’Etat 7 milliards de dinars (2 milliards d’euros), remboursables sans intérêts en dix ans après une période de grâce de trois ans. Ces fonds serviront à financer partiellement le déficit budgétaire de 2024 (28,7 milliards de dinars) dont 16 milliards d’emprunts extérieurs sur lesquels 10 milliards n’ont pas été trouvés.
En clair, ce texte de loi autorise la BCT à prêter « exceptionnellement » à l’Etat la bagatelle de 7 milliards de dinars (soit environ 2 milliards d’euros), « remboursables sans intérêts », autoproclame la loi, en dix ans après une période de grâce de trois ans. Un esprit législatif rejoignant la doctrine du président Kais Saïed pour qui « le temps est venu pour la Tunisie de compter sur ses propres moyens », « mais à quel prix ? » rétorque l’opposition non représentée au Parlement.
Unanimes, la plupart des experts craignent que l’Etat ne soit tenté par faire de cette exception la norme, en optant à l’avenir pour ce raccourci fort commode à court terme, ce qui ne manquera pas d’avoir des conséquences sur l’inflation mais aussi la valeur du dinar tunisien.
Pour l’économiste et analyste financier Moez Hadidane, nous avons ouvert la boîte de Pandore : « Ils recommenceront ! L’Histoire montre qu’en cas de crise ou encore d’année électorale, les pouvoirs disposant de cette sorte de ligne de crédit à portée de main n’hésitent pas à en abuser », prévient-il, tout en tempérant son propos néanmoins en citant des exemples récents où des voisins de la Tunisie ont eu recours à ce même schéma avec plus ou moins de garde-fous.
Dans ce qui s’apparente à un simulacre de débat sans présence d’experts, une Assemblée des représentants du peuple (ARP) acquise à l’actuel pouvoir présidentialiste ainsi a approuvé à une confortable majorité de 92 voix sur 133 un amendement à une loi de 2016 qui garantissait l’indépendance de la BCT, qui lui interdit de financer le Trésor public, dans un souci de bonne gouvernance balayé aujourd’hui d’un revers de main.
Quelques gages donnés par l’exécutif
La Tunisie est au bord de la banqueroute. En théorie et en l’absence de prêt du FMI dédaigné par Saïed Saïd, ces fonds serviront à combler partiellement le déficit budgétaire abyssal de 2024 (quelques 28,7 milliards de dinars) dont 16 milliards d’emprunts extérieurs sur lesquels dix milliards n’ont pas été trouvés. Durant le débat précédant le vote, la ministre des Finances Sihem Boughdiri Nemsia a assuré que ces fonds « ne sont pas destinés à financer des dépenses courantes », a-t-elle martelé, sans convaincre nombre d’observateurs dont c’est l’une des principales inquiétudes. Trois milliards de dinars (900 millions d’euros) serviront en effet selon la ministre à rembourser d’anciennes dettes étrangères, toutefois « une partie (du prêt) sera utilisée pour financer des investissements publics ».
Quelques rares voix de députés ont tout de même critiqué « une solution de facilité » : « Nous n’avons pas pu avoir des emprunts à l’extérieur, alors nous empruntons à l’intérieur », a résumé en substance Hichem Hosni, député indépendant.
En haute mer, les jeunes Tunisiens continuent de mourir. Et à l’intérieur du pays, la crise ronge des pans entiers de la société. Le président Kaïs peut encore se targuer de tenir le pays sous cloche, mais jusqu’à quand ?
L. M. avec agences