Quinze ans après la révolution tunisienne, la question demeure : qui a véritablement contraint Zine El Abidine Ben Ali à quitter le pouvoir ?
L’événement, qui a débuté avec l’immolation de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid le 17 décembre 2010, a rapidement embrasé le pays et mis fin à un régime en place depuis plus de deux décennies. Si l’image de la « révolution de la rue » domine les récits officiels et médiatiques, la réalité est plus complexe et multicausale.
L’article de Kapitalis publié récemment s’attache à démontrer que la chute de Ben Ali ne peut être attribuée à un seul acteur ou facteur. La mobilisation populaire a été incontestablement le catalyseur du mouvement, mais elle a agi dans un contexte politique fragilisé. Au sein du Parti démocratique constitutionnel et des structures gouvernementales, des tensions et des rivalités internes affaiblissaient déjà le régime. Certains proches du président hésitaient sur la manière de gérer la contestation, tandis que d’autres cherchaient à se protéger en anticipant le dénouement inévitable. Ces divisions ont amplifié l’effet des manifestations et accéléré le départ de Ben Ali.
L’article souligne également le rôle de l’opinion internationale et des pressions diplomatiques. Plusieurs observateurs estiment que le contexte régional, marqué par l’exemple de révoltes dans d’autres pays arabes, a pesé sur la décision du régime. La peur d’un effondrement total et d’une crise politique durable a renforcé la nécessité d’un départ rapide. Mais les archives restent fragmentaires, et il est difficile d’identifier avec précision le poids exact de ces influences dans la décision finale du président.
Pour les historiens et analystes politiques, la révolution tunisienne représente un cas d’étude unique sur la conjonction de forces internes et externes. La rue, le pouvoir et les alliances politiques se sont entremêlés dans un scénario où aucun acteur n’a agi isolément. Comprendre cette dynamique est essentiel pour analyser non seulement la Tunisie post-Ben Ali, mais aussi les mécanismes par lesquels un régime autoritaire peut être contesté et contraint à céder.
Depuis la chute du président, les débats restent vifs. Pour certains, la révolution a ouvert la voie à des avancées démocratiques, à la liberté d’expression et à la participation citoyenne. Pour d’autres, elle a engendré une décennie de turbulences économiques et politiques, avec des institutions souvent incapables de répondre aux attentes populaires. Le départ de Ben Ali n’a donc pas été une fin en soi, mais le point de départ d’un long processus de transition, marqué par des réussites limitées et des frustrations persistantes.
En définitive, la leçon que l’on peut tirer de cet épisode est que les transformations politiques profondes résultent d’un équilibre fragile entre la pression populaire, la dynamique interne des régimes et les contextes régionaux et internationaux. La révolution tunisienne rappelle que même les dirigeants les plus puissants peuvent être confrontés à des forces qu’ils ne maîtrisent pas, et que l’histoire se construit souvent à l’intersection de plusieurs déterminants, et non d’un seul événement isolé.
Djamal Guettala

