Trois ans se sont écoulés depuis la promulgation du décret n°54 le 13 septembre 2022, en Tunisie. Présenté comme un outil de lutte contre les crimes liés aux systèmes d’information et de communication, ce texte est rapidement devenu un instrument de répression ciblant la liberté d’expression, suscitant inquiétude et indignation chez les journalistes, activistes et citoyens.
Selon la Syndicat des journalistes tunisiens, le décret contient des formulations floues et larges, offrant aux autorités des pouvoirs étendus de poursuite judiciaire. Depuis trois ans, de nombreux journalistes et blogueurs ont été poursuivis et condamnés pour avoir exprimé des opinions critiques ou diffusé des informations sur des affaires publiques.
Cette situation a entraîné un climat de peur et d’auto-censure dans les médias tunisiens. Dans un communiqué publié le 16 septembre 2025, le syndicat a réaffirmé son refus catégorique du décret, soulignant que la lutte contre les fake news ne peut se faire par la répression, mais par le droit d’accès à l’information, le soutien au journalisme professionnel et l’éducation aux médias.
Le décret n°54 a été utilisé de manière systématique pour cibler journalistes, activistes, opposants politiques et défenseurs des droits humains. Depuis son entrée en vigueur, plusieurs centaines de personnes ont été poursuivies pour “diffusion de fausses informations” ou “atteinte à autrui”, selon le syndicat. Ces poursuites ont eu pour conséquence un affaiblissement notable de l’espace public et de la liberté de presse, avec des médias hésitant à traiter des sujets sensibles par crainte de sanctions.
Face à cette situation, un projet de révision du décret a été soumis à la Chambre des députés en avril 2025. Les promoteurs de cette initiative reconnaissent que certaines dispositions du décret violent les droits et libertés constitutionnels et nécessitent des ajustements pour être en accord avec le Constitution tunisienne de juillet 2022 et les engagements internationaux, notamment l’accord de Budapest sur la cybercriminalité, ratifié en février 2024. Toutefois, le processus législatif reste lent et désynchronisé avec les poursuites judiciaires encore en cours, ce qui prolonge l’injustice envers les victimes du décret.
Plusieurs associations, dont Taqatu’, dénoncent l’usage du texte comme un outil de répression politique. Selon leurs rapports, le décret a servi à intimider et sanctionner des opposants, des activistes et des journalistes, créant un climat de peur qui affecte gravement le journalisme indépendant et la société civile.
Sur la période d’avril 2024 à avril 2025, 14 des 32 poursuites judiciaires concernant des journalistes se sont appuyées sur le décret n°54. Depuis sa promulgation, environ 300 personnes ont été concernées par des procédures judiciaires, dont certaines ont été condamnées à des peines privatives de liberté.
L’impact du décret dépasse les frontières tunisiennes. Des organisations internationales comme Human Rights Watch et Amnesty International ont condamné son utilisation pour restreindre la liberté d’expression et ont appelé les autorités à cesser les poursuites injustifiées. Elles insistent sur le respect des normes internationales et sur la nécessité de protéger les droits humains et la liberté de la presse, considérée comme garantie fondamentale de la démocratie et de la transparence.
En résumé, trois ans après sa promulgation, le décret n°54 demeure un symbole de pression sur les médias et la société civile en Tunisie. Tandis que les discussions sur sa révision progressent lentement, la répression judiciaire continue, affectant le paysage médiatique et fragilisant l’exercice des droits fondamentaux.
Les journalistes et les organisations de défense des droits humains continuent de réclamer l’abrogation ou la modification substantielle du décret, afin que la Tunisie retrouve un espace public libre et démocratique, où la presse peut exercer son rôle de contre-pouvoir sans crainte de représailles.
Mourad Benyahia