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lundi 11 août 2025
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Ulysse n’est pas la symbolique du voyage !

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Dans le long poème d’Homère, Ulysse représente le voyage et l’aventure. Mais il avait fallu au personnage mythologique une autre source pour l’identifier définitivement dans la mémoire des hommes.

Nous la trouverons dans les premières strophes du poème  de Joachim du Bellay au 16e siècle dont le titre est Heureux qui comme Ulysse. Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage. Ou comme celui-là qui conquit la toison. Et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ! 

Mais les écrits philosophiques, littéraires ou d’évocation historique ne sont pas épargnés par l’existence d’une interprétation différente à celle qui est commune. J’ai été très surpris d’entendre un jour de la part de trois  spécialistes de l’antiquité réunis nous faire part d’une interprétation à laquelle je n’avais jamais pensé. Elle était pourtant une évidence lorsqu’on revient à la lecture du texte mythologique. 

Ulysse, roi d’Ithaque, n’avait jamais voulu entreprendre ce voyage. En tant que roi il était lié par le serment de fidélité et a dû partir en guerre pour délivrer Hélène, prisonnière à Troie. C’est tout de même curieux que cette absence de désir pour celui qui sera associé pendant presque trois mille ans à l’appel du large. En réalité, toute l’épopée d’Ulysse est la symbolique de la recherche du retour après avoir été obligé à partir. Dès le début du poème d’Homère nous suivons effectivement la quête désespérée et constante d’Ulysse pour un retour à son royaume d’Ithaque.

Comme une importante partie des étudiants algériens qui étaient partis dans les années 70’ pour un long périple universitaire à l’étranger, ils étaient convaincus de leur retour. Et cela dès la première marche de la passerelle de l’avion qui les emmènera vers ce voyage. Nous y voilà dans l’explication de mon lien entre Ulysse et le sujet de ma chronique d’aujourd’hui.

Dès l’explosion de l’économie pétrolière et de ses perspectives industrielles, le besoin de former des cadres était vital pour la pérennité des activités des grandes sociétés nationales. L’état des formations supérieures en Algérie était honorable mais il était encore insuffisant à cette époque pour pouvoir assumer un aussi grand volume de besoins dans beaucoup de ses spécialités. 

Il faut comprendre que la contrainte du départ n’était pas pour les jeunes pris individuellement mais une transposition à celle du pays. Ulysse, nous l’avons dit, avait été lui aussi contraint de s’engager dans la bataille de Troie pour des raisons supérieures à celles de son royaume. 

L’exode fut assez massif et comme pour Ulysse, il avait fallu affronter de nombreux défis. Contrairement à ce qui est dans les esprits, la grande majorité n’a pas bénéficié d’une bourse. Il avait fallu galérer, comme sur le bateau d’Ulysse, sur des mers houleuses. 

Pour cette grande majorité, il faut s’imaginer que les perspectives qu’offrait à leurs yeux le miracle économique algérien ne laissaient aucune chance à d’autres objectifs conformes aux rêves de la génération concernée. Ils étaient persuadés de revenir.

Et puis les vagues houleuses de la mer ont commencé à faire tanguer le bateau des illusions. Pourtant, pendant toute cette première période le retour n’avait cessé d’être la boussole pour une majorité des combattants de la nouvelle vie.

Mais la vie et ses contraintes ne sont pas le poème d’Homère. Elle les a fait, jour après jour, prendre racine sans jamais le vouloir et sans jamais abandonner l’idée du retour. Mais ils se rendaient bien compte que la chose devenait de plus en plus hypothétique. La volonté et l’amour sont une chose, les circonstances de la vie sont bien d’autres. 

Certains, après une logue période, sont retournés dans leur pays comme le fît Ulysse. Beaucoup ont du se rendre compte, comme lui, qu’ils n’avaient pas retrouvé cette image fantasmée du retour mais une confrontation avec la nouvelle réalité du leur. Ulysse s’est battu contre les défis mais il lui en restait un qui l’a mené vers un tragique destin lorsqu’il est revenu en son royaume.

Il faut définitivement chasser de la mémoire la croyance que tous les étudiants partis à l’étranger ont fui le pays et n’ont pas assumé le retour avec le remboursement de l’investissement (ce n’est pas mon cas car comme nous l’avions déjà précisé, relativement peu étaient boursiers). Là également il y a une fausse interprétation. L’Algérie n’a pas perdu des cadres, elle en a gagné en retour même si ce n’est qu’une image philosophique comme le fut le voyage d’Ulysse. 

Il n’est pas utile de revenir dans son pays pour le garder auprès de soi. Il est collé et inséparable de notre personnalité. Il est le symbole de notre retour. Comme Ulysse, nous l’avions rêvé mais il s’était envolé avec la marche du temps pour passer d’une réalité à un sentiment.

Je me souviendrai toujours que lorsque l’avion avait décollé, l’Algérie nous saluait une dernière fois par les édifices de l’université d’Oran qui étaient à l’époque proches de la piste. Cette université  semblait nous dire que nous ne la quitterons jamais et que nous allions lui faire honneur. 

Je crois qu’un demi-siècle après, c’est largement fait.

Boumediene Sid Lakhdar

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