Dans son édition du 29 janvier 2024, le magazine très informé, Africa Intelligence, nous annonce une nouvelle autant surprenante que risible. « L’ex-chef de l’État Olusegun Obasanjo se rêve en Prix Nobel ».
Une farce supplémentaire dans ce continent en déshérence. Si les excentricités des dictateurs corrompus africains sont permanentes, celle-ci est sur le podium.
« …/… Pour ce faire, il cherche à réactiver son réseau en Europe et sollicite le soutien de quelques chefs d’État du continent.
Obasanjo se sert entre autres du Club de Madrid, un forum de réflexion sur les enjeux internationaux qui réunit une centaine d’anciens chefs d’État et de gouvernement démocratiquement élus ou nommés…. Sans dévoiler ses intentions, Obasanjo a privilégié les échanges avec les ex-premiers ministres Stefan Löfven (Suède), et surtout Kjell Magne Bondevik (Norvège). C’est le parlement de ce pays qui désigne les cinq membres du Comité Nobel norvégien, le quel attribue chaque année le prix…/…. ».
L’ex-Président a tellement contacté de personnalités et d’organisations qu’il était impossible que cela ne se sache pas. Quant à la recherche de soutiens sur le continent, il a multiplié ses voyages de contact et « avec chacun, il a tenu à s’entretenir en privé pour s’assurer de leur soutien à sa démarche, présentée comme une initiative africaine ».
Un infatigable Abbé Pierre
Il est présenté comme un diplomate africain et lobbyiste. En clair, selon le Larousse, un corrompu de haut vol.
Il avait été le représentant le plus zélé pour « favoriser » les intérêts de la compagnie pétrolière américaine Chevron en République « Démocratique » du Congo au titre d’envoyé spécial de l’ONU. On ne doute pas un seul instant que son intermédiation n’avait qu’un but philanthropique au bénéfice des Congolais.
Il a ensuite crée la Nigeria Business Council pour « favoriser » les relations d’affaires entre les deux pays que sont le sien et la RDC. Il s’est démené ensuite pour « faciliter » de nombreux contacts avec de nombreux autres chefs d’État africains. Ils font partie des filiales de la Fondation de l’abbé Pierre.
Comme il n’a vécu que des subsides de sa mission philanthropique, il a pu créer, entre autres affaires, la Obasandjo Farms, ce qui a fait de lui le milliardaire du poulet. Il n’y avait effectivement pas meilleure vocation pour lui que celle de déplumeur. Et nous ne savons pas ce qui se cache derrière le poulet, la partie immergée de l’iceberg.
Une carrière prestigieuse
Chrétien de l’ethnie Egba, il est officier militaire de « marines ». Comme chacun le sait, en Afrique, l’armée est l’ENA pour former les hauts cadres de la démocratie.
Puis il fait ses classes dans le fait d’armes le plus glorieux pour arriver au pouvoir, il est chef d’état-major général lors du coup d’État qui a renversé le général Gowon en 1975. Passer par l’ENA africaine, participer à un coup d’État, c’est déjà la promotion par le mérite républicain. Mais un coup d’État contre un général, c’est l’assurance d’être major de la promotion.
Fort de son expérience, il récidive dans un « présumé » putsch militaire en mars 1995. Présumé car dans le continent l’accusation de complot est la plaidoirie la plus courante. Celui qui est accusé de complot est celui qui a perdu la bataille des complots. Condamné à vie par ses pairs du tribunal militaire, sa peine est descendue à une peine de quinze ans puis annulée lors de la mort du général.
Et le voilà en politique, élu en 1999 à la Présidence de la république sous le patronage du Parti « Démocratique » de la République Fédérale du Nigéria avec un score d’environ 62 % face à l’ex-dictateur Muhammadu Bihari. On ne se présente qu’entre gens de la même extraction nobiliaire.
Bien entendu, ses détracteurs dénoncent les malversations du décompte. Sans malversations, il y a suspicion de démocratie, la pire des félonies.
Mais croyez-vous que le vieux lion se contente de ce palmarès ? Non, il fait ce que tout dictature digne de ce nom essaie de faire soit modifier la constitution pour un troisième mandat.
Entre temps, le candidat au Prix Nobel a été le Président, celui qui aurait participé à la construction de la démocratie dans son pays. Le pétrole nigérian a cette capacité de le faire dire aux dirigeants du monde.
Et on aurait l’audace de penser que la candidature est illégitime ?
Une procédure détournée
Tous les ans des milliers d’académiciens, des parlementaires, des lauréats, des professeurs et scientifiques soumettent des noms qui peuvent prétendre au prestigieux Prix.
Personne ne peut soumettre une candidature en son propre nom et l’identité des nominés non-sélectionnés ne peut être divulguée pendant cinquante ans. L’ex-Président général a donc tenté de « murmurer » la proposition de son nom à ceux qui pouvait en avoir le pouvoir, directement ou indirectement.
La démarche de l’ex-Président-général est d’une prétention insolente mais elle est également détournée. À force de penser que les titres, honneurs et avantages pécuniaires sont le fait de l’influence, ils en sont arrivés à croire que c’était naturel en tout et partout dans le monde.
La psychologie des fantasques Présidents africains
Daniel Bourmaud, dans son étude de 2006 publiée dans la Revue internationale de politique comparée sous le titre « Aux sources de l’autoritarisme africain : des idéologies et des hommes », nous présente une lecture différente aux approches d’analyses classiques des dictatures africaines. (Une étude qui peut se transposer à d’autres cas dans le monde).
C’est vrai que dans ma jeunesse estudiantine, dans l’étude de l’histoire de la pensée politique, la psychologie des hommes au pouvoir devait être occultée afin d’avoir une vue générale la plus autonome sur le phénomène étudié.
L’homme de pouvoir autoritaire n’était appréhendé que par son appartenance à un système. Ce n’est pas sa psychologie personnelle qui importe mais l’ensemble sociologique et institutionnel des pays qui étayent l’analyse globale.
En reprenant d’autres auteurs qui vont dans ce sens, il prend le cas des deux Présidents africains les plus caricaturaux et fantasques jusqu’au fou-rire. Les personnes de ma génération se souviennent des pitreries (qui ne font pas rire dans un bain de corruption et de sang) d’Idi Amir Dada en Ouganda et de Jean Bedel Bokassa en Centrafrique.
Rien par les objectifs et les intérêts du système ne justifiait les initiatives clownesques de ces deux personnages. L’un n’était pas obligé de se faire couronner empereur et l’autre de s’accoutrer en officier militaire britannique et voulant annexer tous ceux qui étaient voisins à son territoire.
Il y a bien là une disposition psychologique personnelle des individus qui les mènent à des folies. Pour ma part je suis dans la certitude qu’ils sont tous atteint de démence.
Comment pourrait-on qualifier la prétention d’Olusegun Obasanjo ?
Yacine K.