Avec Un historien à Gaza, Jean-Pierre Filiu signe un ouvrage bouleversant, lucide, essentiel. Plus qu’un essai, c’est un cri, un acte de résistance contre l’effacement progressif d’un peuple pris en étau entre l’histoire, la violence et l’indifférence du monde. À travers son regard d’universitaire mais aussi d’homme de terrain, l’auteur redonne chair et voix aux Gazaouis, trop souvent réduits à des chiffres, des ruines ou des slogans.
C’est un témoignage essentiel. Puissant que Jean-Pierre Filiu présente dans ce livre. L’auteur connaît Gaza. Il y a séjourné à de nombreuses reprises, dans les hôpitaux, les universités, les camps. Il a marché dans ses rues sous blocus, vu ses enfants jouer entre les gravats, écouté les récits de ceux qui vivent au jour le jour dans l’attente d’un bombardement, d’un espoir, ou d’un visa qui n’arrive jamais. Et c’est cette connaissance intime, incarnée, qu’il conjugue à son savoir d’historien pour décrypter la logique infernale qui a transformé Gaza en une prison à ciel ouvert.
Ce livre retrace un siècle d’enfermement progressif : du mandat britannique à l’occupation israélienne, du désengagement de 2005 au contrôle hermétique imposé depuis par Israël et l’Égypte, Jean-Pierre Filiu expose comment Gaza est devenue un territoire puni, coupé du monde, abandonné aux pénuries d’eau, d’électricité, de médicaments… et d’avenir. Il montre aussi comment cette situation est le produit d’une politique volontaire, d’un choix assumé : contenir, asphyxier, oublier.
Mais Un historien à Gaza ne se contente pas de dénoncer. Il raconte. Il donne à lire des vies. Il évoque les médecins qui opèrent sans anesthésie, les professeurs qui enseignent malgré les coupures de courant, les enfants qui rêvent de mer alors qu’elle est à quelques centaines de mètres, interdite. Il dresse le portrait d’un peuple debout, qui résiste par la dignité, la culture, la mémoire.
À l’heure où Gaza est souvent réduite à une ligne de front ou à une statistique de victimes, Jean-Pierre Filiu nous rappelle qu’elle est avant tout une société, une histoire, une humanité. Elle est habitée par des femmes, des enfants et des hommes soumis depuis octobre 2024 à une guerre inédite. D’extermination. L’auteur appelle à regarder ce territoire non plus comme un « problème sécuritaire », mais comme un drame humain, moral, historique.
Son écriture, sobre mais brûlante, interroge : comment avons-nous pu accepter cela ? Comment le monde, si prompt à s’émouvoir ailleurs, peut-il tolérer cette violence continue, silencieuse, invisible ?
Un historien à Gaza est un livre nécessaire parce qu’il brise le mur de l’indifférence. Parce qu’il refuse le confort de l’oubli. Parce qu’il nous oblige, nous lecteurs, à regarder Gaza non pas comme une fatalité, mais comme un scandale politique et moral de notre temps. Jean-Pierre Filiu nous renvoie l’image de ce peuple qui meurt chaque jour un peu plus sous les bombes israéliennes. Il nous rappelle notre immoralité à laisser faire. Notre indifférence humaine à l’inhumanité qui tue sans pitié à Gaza.
Rabah Aït Abache