Le gouvernement algérien a publié au Journal officiel du 9 septembre 2025 le décret exécutif n° 25-238, qui établit les conditions et modalités d’obtention du visa d’exploitation cinématographique et du visa culturel. Ce texte, signé par le Premier ministre Sifi Gherieb, traduit une volonté d’encadrement renforcé de la diffusion des œuvres audiovisuelles dans le pays.
Deux visas distincts
Le décret impose un visa d’exploitation cinématographique pour tout film projeté en salle, diffusé sur les chaînes de télévision ou sur des plateformes en ligne. Un second visa, dit « culturel », devient obligatoire pour la projection d’œuvres lors de festivals ou d’événements organisés par des institutions étrangères ou des centres culturels accrédités.
Certaines productions échappent toutefois à cette obligation : films éducatifs, œuvres de sensibilisation sanitaire ou environnementale, productions à vocation commerciale ou institutionnelle.
Procédure et délais encadrés
Les demandes doivent être déposées auprès du Centre national du cinéma (CNC) avec un dossier administratif complet, incluant copie du film, contrats de distribution et autorisation d’exercice de l’activité cinématographique.
La commission de visionnage dispose de dix jours pour examiner le dossier et rendre un avis. En cas d’accord, le CNC délivre le visa dans un délai maximal de trente jours. Les refus peuvent être contestés auprès du ministre de la Culture puis, le cas échéant, devant la juridiction administrative.
Pouvoir de retrait et sanctions
Le texte confère au ministère de la Culture un pouvoir de contrôle étendu : suspension d’une projection si l’œuvre est jugée contraire à l’ordre public, retrait du visa en cas de modification du contenu ou de manquement au code de déontologie, réexportation des films importés sans visa, aux frais de l’importateur.
Une mesure à double lecture
Officiellement, l’objectif affiché est d’organiser le secteur et de protéger la production nationale. Mais cette réglementation soulève des interrogations dans le milieu culturel. L’obligation d’autorisation préalable, la latitude accordée à l’administration pour censurer ou retirer un visa, ainsi que l’exigence de dépôt 40 jours avant une manifestation pour les visas culturels, pourraient ralentir la programmation et restreindre la diversité des œuvres accessibles au public.
Dans un contexte où la création et la diffusion culturelles font déjà l’objet d’un encadrement restrictif de l’administration, le décret 25-238, s’il a le mérite de clarifier les procédures, fait planer de nouveaux risques pour les professionnels du cinéma et les organisateurs de festivals. En renforçant le contrôle administratif, il pourrait freiner la création et limiter la circulation des œuvres en Algérie.
Des interdictions officieuses qui structurent le paysage culturel
Les cas de censure recensés ces dernières années illustrent une stratégie de contrôle culturel persistante. Le film Larbi Ben Mhidi de Bachir Derrais, financé à la fois par des fonds publics et privés, demeure privé de diffusion, symbole d’une interdiction officieuse qui ne nécessite même plus de décision formelle. Dans le secteur du livre, cafés littéraires et salons ont été annulés sans explication transparente. La maison d’édition Frantz Fanon a subi une fermeture administrative de six mois et son directeur a été poursuivi pour la publication d’un ouvrage sur les juifs d’Algérie, tandis que les Éditions Koukou, dirigées par Arezki Aït Larbi, se sont vu exclure de plusieurs salons littéraires.
Ces épisodes, loin d’être isolés, traduisent un climat où l’autorisation préalable et la sanction implicite deviennent des instruments de régulation, restreignant de fait l’espace de création et de débat public.
Samia Naït Iqbal

