Mais oui, je sais, un homme de mon âge ne devrait pas avoir un compte sur un réseau social. Et surtout un ancien prof. Mais je vous jure que je ne suis que dans le réseau du troisième âge, celui qu’ont déserté les jeunes, vous devinez lequel.
J’avais dit un jour d’une manière provocatrice que les jeunes ont fui ce réseau, on va être enfin seuls entres gens intelligents !
Qu’est-ce qu’un papy fait dans ce « machin » qui n’est franchement pas le lieu d’une grande instruction ? Eh bien c’est peut-être dans cette question qu’il y trouve la réponse.
Car à bien examiner la chose je me suis aperçu que c’était essentiel. Pourquoi ? Parce qu’un esprit ne peut être perpétuellement dans le sérieux de la culture et de l’écrit. C’est en quelque sorte un plongeon dans la réalité des échanges quotidiens spontanés et ne pas se prendre au sérieux.
Sur ce réseau social, on fait semblant de nous disputer sur le forum d’Athènes. « Mais non, mon cher ami, vous dites des bêtises ! » dit l’un et l’autre répond… ». Monsieur (avec ce ton cérémonieux de la réplique), moi j’ai été magistrat, je sais de quoi je parle ! »… (Hier, un gars sympathique, je retranscris ses mots avec mauvaise foi car ils étaient sympathiques et cordiaux).
Nous ne faisions pas autre chose lorsqu’on était gamin en Algérie. On s’instruisait à l’école puis nous disions des bêtises avec nos camarades ou nous écoutions celles de tata Hlima. Et pour elle, la barrière de l’instruction était lorsqu’elle n’avait plus de mots pour nourrir sa colère contre sa voisine (celle-là aussi vous la connaissez depuis le temps que je vous en parle).
Je suis assez conscient de ce que j’avais voulu apprendre à mes élèves et étudiants, de ne surtout pas s’emmurer dans le sérieux de l’instruction. Dès lors qu’on lui a donné son temps, il faut en sortir. L’intelligence humaine n’est pas seulement dans le monde de l’éducation. Il faut qu’ils s’éclatent, comme ils disent, et prennent leur jeunesse à pleins bras. Rencontrer des camarades, dire des bêtises sur un réseau social etc…
Comme je ne peux plus sauter à la corde, porter un gros écouteur sur les oreilles en risquant la surdité ou tenter la mort en faisant de la trottinette électrique, alors je fais ce que je peux pour m’évader. Je dis des bêtises avec mes amis dans ce territoire numérique devenu une maison de retraite.
Vous me diriez que je peux partager des moments de réflexions et d’échanges avec mon Algéroise. Je vous répondrai qu’elle et moi sommes un tout depuis plus d’un demi-siècle. La réflexion et l’échange se font à tout moment de notre vie. Où que je sois, elle est avec moi. On ne peut pas toujours parler à soi-même, cela attirerait la curiosité des gens.
Non, les séniors, ne sont pas accrocs aux réseaux sociaux. Ils se sont suffisamment construit une carapace pendant des décennies, ils peuvent entrer sans crainte dans cet outil avec un grand discernement. Ils peuvent sortir de leurs réflexions pour s’instruire du monde, avec ce qu’il a de beau ou de futile mais en tout cas essentiel.
Mais jamais, jamais, même si on me menace de m’arracher les yeux, je n’irai dans cet empire de débilité et d’extravagance jusqu’au vulgaire qu’ils nomment Tac Tac, Tic Tic ou, c’est plus conforme à ce qu’ils font, Toc Toc.
Dites-moi les jeunes, c’est bien scroller que se dit la frénésie avec laquelle on fait dérouler les images, non ? En fin de compte c’est comme vos cours, vous les scrollez.
Mince, je viens de me rendre compte que je parle au mur car j’ai dû faire fuir tous les jeunes de mes chroniques depuis longtemps. Revenez, nous scrollerons avec les mots et les paragraphes, avec les vérités ou les grosses erreurs, avec la modestie ou la vanité.
Vous me comprendrez et je vous comprendrai car nous tchatchons tous. Sur les réseaux sociaux comme dans la vie. Et vous me répondrez au bas de la chronique, « Monsieur, j’ai l’honneur et respectueuse intention de corriger vos propos tant ils sont un tantinet stupides ! ».
Je vous jure que beaucoup me parlent comme cela. Prenez le dictionnaire pour un tantinet. Car avec ces gens-là, la définition de l’intelligence est consubstantielle à la grandiloquence. Laissez ouvert le dictionnaire pour consubstantiel et grandiloquence.
Revenez et arrêtez de scroller, on va tous rigoler ensemble. Les papys ne scrollent pas mais ils aiment aussi dire des bêtises.
Boumediene Sid Lakhdar