Vendredi 24 novembre 2017
Une « aventure intellectuelle » à la croisée des chemins
La Maison de la presse à Alger.
La grève de la faim initiée la semaine dernière par la directrice du journal El Fedjr, Hadda Hazem, a donné l’occasion pour la corporation de la presse écrite d’exploiter une brèche qu’elle n’a pas pu ouvrir depuis plusieurs années. Ce ne sont pourtant pas les raisons qui manquaient pour tenter de se regrouper de nouveau et reprendre le souffle de la combativité tel qu’on l’a connu au début de cette « aventure intellectuelle » qu’est la presse indépendante. Il est vrai que, depuis ce temps de la spontanéité et de l’engagement, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts: le terrorisme a eu sa part de macabre offrande parmi les journalistes, des fortunes se sont constituées, l’innocence des premiers jours a cédé quelque peu la place à mille et un calculs, y compris politiques, et le paysage médiatique algérien s’est diapré de mille couleurs cathodiques, tout en s’appauvrissant sur le plan du contenu et de la qualité.
Au-delà du cas spécifique d’El Fedjr et de la polémique des chiffres sur la publicité étatique qu’a reçue ce journal au cours de ces dernières années – un cas qui a quand même le mérite d’exhumer un dossier qui devait bien l’être un jour ou l’autre -, l’on se retrouve aujourd’hui, pour ce qui est de la presse écrite, devant une réalité complexe, où se mêlent et s’imbriquent des questions sociales, techniques, technologiques, culturelles et politiques.
Machine à sous et allégeance
Jusqu’en 2014, une centaine de titres étaient déposés chaque matin sur les étals des buralistes, fabriqués avec du papier importé. La longévité de certains de ces titres n’a pas dépassé quelques mois. Tant que l’argent de la publicité publique coulait à flot à l’ombre de l’embellie financière, peu de voix se sont élevées pour crier à l’injustice et à l’arbitraire du mode de distribution de cette manne. Car, qu’elle qu’en fût le niveau de discrimination entre la centaine de titres, presque tout le monde était servi. On a eu même des titres qui n’étaient créés que pour cueillir l’argent de la « machine à sous » qu’était l’ANEP. Le contenu du journal peut allègrement se réduire à deux ou trois noms ou pseudonymes qui recopiaient l’Aps ou, au mieux, signaient: « avec agences ». Le reste- actualité internationale, cuisine, littérature universelle, sciences,…- était, et demeure pour bon nombre de titres, du « copier-coller » à partir d’internet. Autrement dit, l’investissement est réduit à sa simple expression, le tirage ne dépassant pas 2.000 ou 3.000 exemplaires dont la majorité étaient des invendus.
Pour bien apprécier une telle situation, il faudrait peut-être assister au « spectacle » de ramassage des invendus dans les kiosques par les diffuseurs. La sécheresse commerciale de certains titres- et ils sont des dizaines- a amené des diffuseurs à ne plus les donner au buraliste, préférant ne pas se donner la peine de les sortir de l’estafette.
Une telle perversion de la mission de la presse est d’autant plus regrettable qu’elle a succédé à une lutte des gens du métier et de la frange la plus éclairée de la société pour accéder à une information objective et indépendante. Ce qui a donné lieu aux premiers titres de journaux, dès la signature du décret d’avril 1990 du chef du gouvernement de l’époque, Mouloud Hamrouche, portant sur l’ouverture des sociétés de presse à des personnes morales de droit privé. C’est encore plus dommageable et plus immoral lorsqu’on se remémore la liste des martyrs de la profession, au cours de la décennie de terrorisme qui a étêté la fine fleur du pays.
Devant la crise financière du pays, due à la contraction des recettes pétrolières depuis l’été 2014, le destin d’un grand nombre de journaux commençait à être remis en cause. Pire, certains titres- une soixantaine, selon le ministère de la Communication, ont déjà mis la clef sous le paillasson, et d’autres ont gelé les recrutements, réduit les salaires ou procédé à des licenciements.
Flou artistique
Aujourd’hui, la reconfiguration de la presse à la faveur de la dernière donne du marché publicitaire, ne sera pas chose aisée. L’ANEP n’a encore développé aucune stratégie ou critériologie de distribution de la proportion de la publicité étatique épargnée par la crise. Des critères, enveloppés d’un flou artistique, ont été énoncés par l’ancien ministre de la Communication, Hamid Grine, lors de ces déplacements dans les wilayas. Ces critère sont pour le moins subjectifs, baignant dans le margouillis de la stupide allégeance politique et d’autres considérations qui sont en dehors du territoire de compétence du ministère de la Communication.
Incontestablement, l’information, la communication en général, et le paysage médiatique de l’Algérie en particulier, sont en train de subir une mue radicale, dictée par le besoin d’information pour un pays constitué essentiellement de jeunes; comme elle dictée aussi par l’évolution des technologies de l’information et de la communication. Il faudra s’attendre, dans un avenir plus proche qu’on ne le pense, à des débats et des polémiques sur la publicité sur internet qui utilisera préférentiellement le support des journaux électroniques et d’autres sites commerciaux et institutionnels. Le mouvement a déjà commencé, certes timidement. Il ne tardera pas à prendre de l’ampleur, au fur et à mesure que la presse papier perd du terrain.
Le quatrième pouvoir acquiert de nouveaux sens
« Je ne me chargerai pas de gouverner trois mois avec la liberté de la presse« . Cet aveu de Napoléon, transmis par courrier à l’Autrichien Metternich, concepteur de la carte européenne au Congrès de Vienne, ne disparaîtra pas avec l’éventuelle extinction de la presse papier. Il exprime une vérité générale, celle des pouvoirs despotiques qui ne peuvent pas s’accommoder de la liberté de la parole, qu’elle passe par le canal des journaux, de la radio, de la télévision de l’internet ou des réseaux sociaux.
Le quatrième pouvoir, reconnu en tant que tel, deux siècles après l’identification des trois pouvoirs (politique, judiciaire et exécutif) depuis John Locke, Rousseau, Montesquieu,… n’est pas un vain mot ou une vue de l’esprit. En Algérie et ailleurs, il accompagnera la société dans sa marche, son évolution et le choix qu’elle fera de ses gouvernants. À la galaxie Gutenberg, décrite ainsi par MacLuhan pour parler du pouvoir de l’écrit en papier depuis la création de l’imprimerie, se substitue, graduellement mais sûrement, la révolution numérique portée par le réseau des réseaux, l’internet.
Dans le corps même de ce dernier, se dégagent des espaces spécifiques où, à l’image des réseaux sociaux (Facebook, Tweeter,…), l’individu devient acteur médiatique, contrairement à l’ancienne logique de la communication qui requérait une technologie lourde et la constitution en société. Avec les réseaux sociaux, la communication prend des ailes. Elle interconnecte tout le monde à moindre frais. Sans doute plus que jamais, le sens de la notion de quatrième pouvoir prend du sens et acquiert de la substance. Partout dans le monde, et en Algérie également.