Samedi 29 août 2020
« Une farouche liberté » de Gisèle Halimi : un appel posthume à la relève
C’est un dernier coup de gueule en forme de passage aux jeunes générations. Peu avant son décès, Gisèle Halimi a répondu aux questions de notre consœur Annick Cojean du journal « Le Monde » dans un livre paru le 19 août, trois semaines après sa mort.
A 93 ans, elle n’avait rien perdu ni de sa verve ni de son enthousiasme combatif.
Il était une fois une grande dame qui croyait à la vertu de l’action, au service de laquelle elle a toute sa vie durant placé sa parole. Ses derniers mots publics furent recueillis par son amie Annick Cojean et paraissent aujourd’hui dans un livre où elle raconte les principes qui ont guidé sa vie : Une farouche liberté, de Gisèle Halimi, avec Annick Cojean, est paru aux éditions Grasset le 19 août 2020, 153 pages, 14€90.
« On ne naît pas féministe, on le devient »
« On ne naît pas féministe, on le devient » : ce détournement plein d’humour de la fameuse phrase de Simone de Beauvoir (« On ne naît pas femme, on le devient »), sont les derniers mots de Gisèle Halimi. La boucle est ainsi bouclée. Car pour cette figure du combat en faveur des droits des femmes, le féminisme ne vient pas de nulle part. Il faut avoir expérimenté cette injustice fondamentale d’être née fille et non garçon pour le comprendre vraiment. Ces réflexions, ces vexations, ces situations qui dès l’enfance vous mettent dans la peau d’une fille, où l’on voudrait vous enfermer… Gisèle Halimi a connu tout cela, et en a tiré un caractère trempé au coin de l’indignation, et un sens de la justice chevillé au corps. « Dès 7 ou 8 ans, explique-t-elle, on m’a obligé à lessiver le sol, faire la vaisselle, laver et ranger le linge de mes frères, les servir à table. Je trouvais cela stupéfiant. » Après moult batailles sans obtenir gain de cause, la petite fille choisit l’arme ultime, la grève de la faim, et ses parents cèdent enfin. Mais ils ne la comprendront jamais, désespérés qu’elle réussisse mieux que ses frères à l’école.
Un féminisme concret
Pour qui n’a pas connu cet enfermement, la liberté obtenue de haute lutte n’aura pas le même goût. Toute sa vie, Gisèle Halimi aura conscience de sa valeur, et de sa fragilité. Ainsi, lorsqu’Annick Cojean lui demande quel premier conseil elle donnerait à une jeune fille d’aujourd’hui, la réponse fuse : « Etre indépendante financièrement. » Sans liberté financière, pas de liberté tout court. Une acception qui semble aller de soi, mais qu’il vaut toujours mieux rappeler… Encore un signe que le féminisme de Gisèle Halimi est fondé sur du concret, et non sur de fumeuses théories.
Cette brillante avocate a fait avancer le droit à maintes reprises – en faveur de l’avortement, de la contraception, de la reconnaissance du viol comme crime et non comme délit – au cours de procès retentissants qui ont sciemment constitué des caisses de résonnance médiatiques. La liberté de Gisèle Halimi a toujours été de dire ce qu’elle pensait, quelles qu’en soient les conséquences. Ainsi, elle quitte SOS Racisme, en dénonçant la dérive communautariste de l’association, et elle se prononce résolument contre le port du voile à l’école, qu’elle présente comme un des signes les plus infériorisant pour les femmes, et qu’elle assimile à un « apartheid sexuel ».
L’appel à la relève
Si sa génération, dont elle fut l’un des porte-flambeaux, a « déblayé le terrain« , comme elle le dit, elle appelle les suivantes à la relève, et à ne pas abandonner le combat : « Organisez-vous, mobilisez-vous, soyez solidaires. Pas seulement en écrivant « Moi aussi » (Me Too) sur les réseaux sociaux. C’est sympathique, mais ça ne change pas le monde. Or c’est le défi que vous devez relever. Soyez dans la conquête. Gagnez de nouveaux droits sans qu’on vous les « concède » (…) Désunies, les femmes sont vulnérables. Ensemble, elles possèdent une force à soulever des montagnes et convertir les hommes à ce mouvement profond. Le plus fascinant de toute l’histoire de l’humanité. »