Nous assistons aujourd’hui à une explosion de la pratique de la chirurgie esthétique du visage, majoritairement chez les femmes, jeunes ou plus âgées, mais aussi d’une manière naissante chez les hommes.
Que le lecteur ne se méprenne pas, mon intention n’est pas une accusation morale. La morale, j’ai très souvent émis de grosses réserves à son propos dans cette rubrique, car elle est subjective. De ce fait, qui va décider de ses contours et de ses limites ? Je suis toujours très vigilent pour ce risque de tentative d’emprisonnement des esprits libres.
Cependant nous pouvons analyser un phénomène social et exprimer notre adhésion ou nos réserves quant à ses conséquences.
La scarification, le percement ou le grimage du corps est un phénomène social aussi ancien que les cultures des communautés humaines. Non seulement cela est ancien mais il est aussi une liberté fondamentale de choisir l’aspect du corps voulu en toute conscience par les êtres humain.
Le corps et les vêtements sont une volonté humaine d’identification individuelle ou collective. Seules les conventions sociales et les réglementations sont une limite à cette liberté. Et, comme toujours, l’étendue de cette liberté dépend du niveau d’acceptabilité par le groupe social ainsi que celui des régimes politiques, des plus libéraux aux plus autoritaires.
La recherche identitaire représente en même temps la volonté d’intégration dans un groupe mais aussi celle de s’en différencier. Ce dernier cas trouve un bon exemple avec les adolescents.
Ce qui est gênant pour moi dans la chirurgie esthétique du visage ? Je l’ai déjà dit, ce n’est pas l’acte chirurgical en lui-même, il est la liberté de chacune ou chacun. Ma gêne est uniquement dans la suppression de l’expression humaine à travers le visage. Non seulement elle est figée mais nous avons l’impression d’une unification mondiale.
L’une des singularités des êtres humains est d’exprimer à travers le visage des expressions de tous genres. La bouche pour accompagner le son de la voix, les yeux pour le regard et le mouvement de la tête pour l’accord ou le désaccord et ainsi de suite. Chaque être humain est une personne différenciée, ce qui en fait sa force et sa richesse.
Plus rien de tout cela n’existe dans les nouveaux visages et c’est bien regrettable. Nous avons à faire à un musée Grévin ouvert au public du monde et aux personnages figés dans leur expression.
Je pense toujours à ce passage si célèbre du film adapté du livre de Marcel Pagnol, Le Schpountz. Le pauvre Fernandel, un simple d’esprit, est victime d’une équipe de cinéma qui lui fait miroiter un rôle en lui faisant faire un essai pour se moquer de lui.
On lui demande de déclamer un article du code pénal soit, toute personne condamnée à mort aura la tête tranchée. Mais la condition était d’interpréter le rôle avec toutes les déclinaisons possibles, celle de la joie, de la colère, de la sentence, de la peur et ainsi de suite. Dans cette scène célèbre et mémorable, les différentes tonalités étaient accompagnées de l’expression appropriée du visage.
Quelles expressions d’un visage qui a subi une chirurgie esthétique pourront désormais interpréter cette scène iconique ? Voilà ma crainte et mon regret si l’humanité glissait davantage dans les déshumanisations des expressions des sentiments et des ressentis.
Mais il y a deux arguments qui ne peuvent être discutés dans leur légitimité si cette pente continue. Le premier, nous l’avons dit longuement, est celui de la liberté de son corps.
Le second est celui de la difficile relation de l’être humain avec son corps. Peut-on refuser à une douleur psychologique l’espoir d’une atténuation ? Assurément non car il n’y a pas que la dictature du culte de la beauté et de la jeunesse éternelle. C’est souvent une souffrance profonde qui est enfouie au fond de l’âme de chacune et de chacun.
Alors, mesdames et messieurs, libérez-vous si vous le désirez, profitez de toutes les promesses de réparation chirurgicale si vous en avez les moyens, jouissez de votre rêve d’atteindre le but tant espéré. Et si vous libérés, heureux et épanouis, le monde le sera.
Mais au moment de la séance de projet, n’ayez pas l’ambition démesurée de tirer sur la corde, pour employer une métaphore. N’allez pas trop loin et n’exigez pas de miracles de votre chirurgien qui vous mène vers des frontières d’où l’on ne revient jamais. Car ce sont des actes irréversibles avec un risque amplifié de l’échec. La souffrance en sera décuplée et c’est bien malheureux.
Restez dans votre humanité et dans la capacité à se distinguer par les indispensables expressions du visage. Vous ne pouvez pas savoir combien mon visage est souriant de sympathie en vous le disant.
L’âge a produit une malicieuse expression sur le visage comme ne pouvait le faire que lui.
Boumediene Sid Lakhdar