Il est des textes qui se donnent à lire avec une aisance trompeuse, où chaque phrase semble s’écouler comme une eau limpide. Pourtant, sous cette apparente simplicité, un subtil enchevêtrement d’émotions et de complexités tisse une trame qui ne se dévoile qu’à celui qui sait écouter la résonance secrète des mots.
Ainsi s’impose Une si longue nuit de Lounès Ghezali, un roman qui se drape dans la clarté pour mieux envoûter par sa profondeur. Loin des fresques historiques où le collectif prévaut, l’œuvre trace une trajectoire intime, celle d’Akli Manghane, dont l’histoire se déroule sur le fil acéré du deuil et du renoncement.
Au cœur de son récit, la perte irrémédiable : l’assassinat d’un père, la spoliation d’une terre sanctuaire—le « jardin du ciel »—par ceux qu’il nomme « les tyrans », et la trahison insoutenable du fils rallié à l’oppresseur. L’existence d’Akli devient alors une longue dérive, une déflagration intérieure, un cheminement inexorable vers l’abîme.
Les mots, ciselés comme des lames, portent en eux le poids d’une douleur qui ne faiblit pas. « Je serai le père indigne qui a tué son fils », murmure-t-il dans un souffle qui répond à son aveu initial. Tel un verdict sans appel, cette sentence encadre le récit d’un cercle tragique dont nul ne peut s’échapper.
Si l’écriture semble d’abord d’une limpidité absolue, elle recèle en vérité une texture poétique qui innerve chaque phrase, transformant la souffrance en esthétisme. La narration, brève et tranchante, pulse au rythme des respirations oppressées du protagoniste. Les digressions ne sont pas de simples échappées mais des éclats de mémoire, des fragments de douleur qui viennent nourrir la mélancolie du texte. Ce n’est pas une lecture que l’on parcourt d’un trait, mais un chant funèbre qui s’écoute, se ressent, s’imprègne en soi.
Dans la deuxième moitié du roman, la tension monte, portée par l’intensification des images et des figures. La métaphore s’épanouit, la personnification donne au destin une voix, une présence, une toute-puissance redoutable. Le personnage avoue avoir misé un peu trop sur le destin, avant d’admettre que « le destin avait ébranlé ma vie sans que j’émisse le moindre murmure ».
Ce destin devient alors un personnage à part entière, force transcendante qui déchire l’homme, l’enlace et le précipite vers son inéluctable déchéance. « Personne ne pouvait arrêter cette tempête furieuse du destin. C’était ce que les hommes avaient voulu. Les hommes et… Dieu ».
Une si longue nuit est bien plus qu’un roman, c’est une implosion silencieuse, l’effondrement d’une âme face à son propre reflet. Une voix égarée dans l’obscurité de l’incompréhension. Ne pas lire ce texte serait renoncer à une plongée vertigineuse au creux de l’humain. Ce serait refuser d’entendre la plainte d’un « Muet » dont les mots, pourtant, résonnent avec une intensité bouleversante.
Kamel Bencheikh, écrivain
La période coloniale et la guerre de 54, on les connaît par des récits personnels des aînés à la maison ou à tajma3t. Tel que présenté, le récit de ce roman la même démarche personnelle, intime, la voie de l’universel.
Ça change du gnagna des récits soporifiques de l’école et des media, ces tam-tam qui te font regretter d’être né là où tu es né.