Mercredi 4 mars 2020
Université : il faut sauver le “LMD” !
2004, année de mise en œuvre de la réforme et du LMD en vue de placer l’université algérienne sur la rampe de lancement vers les standards internationaux. Malgré le scepticisme de beaucoup d’enseignants universitaires, malgré des mises en garde récurrentes et des écrits réguliers de certains d’entre nous, il a été décidé, sans préparation, sans accompagnement, de changer l’architecture de la formation en vue de s’aligner sur le processus de Bologne, qui, d’ailleurs, ne nous concerne pas directement. 2004, et le LMD fut, par mimétisme !
Seize ans ont passé, oui déjà 16 ans ; que d’eaux ont coulé sous les ponts. A l’austérité des anciens programmes a succédé le foisonnement des spécialités ; à l’homogénéité des parcours ont succédé des filières sans aucune visibilité ; au D.E.U.A (formation appliquée) a succédé la licence, plus académique que professionnalisante (les deux parcours sont de type bac+3 !) ; au diplôme d’ingénieur, d’architecte, etc. (qui sont des diplômes professionnalisants par essence !) a succédé le Master académique (tient encore la même durée, un bac+5), et que sais-je encore ?
Chemin faisant, et comme souvent chez nous, on se rend compte des dysfonctionnements qu’après avoir sacrifié toute une génération d’étudiants, futurs cadres algériens, du fait que nos projets sont fréquemment mal maturés et mal cadrés ; sans étude d’opportunité, sans étude de faisabilité, sans écoute de la base et ni collaboration ni implication de toutes les parties prenantes, sans contextualisation, et sans appréciation des risques.
Ainsi et depuis quelques années, les responsables de l’enseignement supérieur essaient de mettre en place des actions correctives, mais en apportant souvent de mauvaises solutions à de vrais problèmes. Parce que la méthode n’y est pas ; parce qu’il n’y a pas un diagnostic fiable et adapté ; parce qu’il n’y a pas une analyse complète et structurée ; parce que, pour prendre en charge un problème aussi complexe, il faudrait une approche globale, systémique, des moyens et du temps, et donc, de la planification. Malheureusement, tout se fait dans la précipitation.
Et est venu le temps de se poser les bonnes questions, les questions pertinentes, les questions qui fâchent. Pour cela, sans aucune prétention, et avec un regard subjectif, mais fort d’une longue expérience professionnelle, riche et diversifiée, je vais essayer de mettre la main dans le cambouis pour donner quelques pistes de réflexion en vue d’une amélioration, aussi modeste soit-elle, du fonctionnement du système LMD.
Petit retour en arrière ; 2004, le système LMD vient se substituer à un système universitaire national dont les diplômes étaient généralement reconnus à l’étranger ; et même si l’ancien système devait être amélioré, il avait montré quelques signes de performance. A défaut de compétences transposables et utilisables directement, il donnait aux étudiants une certaine agilité intellectuelle leurs permettant d’appréhender la vie professionnelle et sociale avec un regard constructif critique, et leurs ouvrait les portes pour une possible évolution dynamique dans la carrière choisie.
Et si ce système universitaire a commencé à montrer ses limites et ses contradictions depuis la fin des années 90, c’est parce qu’il ne privilégia plus le sérieux, le mérite, et l’effort pour la réussite, mais plutôt la recherche de la paix sociale pour perdurer.
Je ne vais pas revenir sur l’argument principal qui nous a été donné pour justifier cette réforme, à savoir « rendre compatibles les cursus de l’enseignement supérieur avec les autres pays (principalement pays du Nord) et favoriser la mobilité des étudiants » ; parce que cet argument est un leurre pour nous, sachant que, pour cela, il faut d’abord des visas ; et la délivrance des visas est un processus discriminatoire en soi, et n’est pas cohérent avec l’objectif principal de la réforme, à savoir l’harmonisation des diplômes au niveau international qui suppose une facilitation des procédures de mobilité.
Je ne reviendrai pas sur les soi-disant « avantages » du LMD : Construire un parcours personnalisé, développer la professionnalisation, et permettre aux étudiants la capitalisation et la compensation, parce que, mise à part cette dernière (compensation), les autres ne sont que mirages et artifices.
Ainsi, chemin faisant, on s’est retrouvé avec un foisonnement de spécialités, certaines actuelles, originales, et pertinentes, d’autres dépassées ou ne s’intégrant pas dans le contexte algérien ; on a même découvert des redondances de programmes dans une même université, construits dans la précipitation (comme souvent), sans cohérence générale des curricula en vue d’améliorer l’efficacité dans les apprentissages ; et très peu de changements dans les pratiques, particulièrement au niveau des enseignements. Mis à part les dénominations des diplômes, on ne fait pas du LMD, on n’a pas changé ; parce que le LMD ce n’est pas seulement une réforme de l’architecture des parcours, mais c’est « enseigner autrement, apprendre autrement, évaluer autrement » ; c’est surtout une manière différente d’appréhender la formation, la gouvernance, la vie à l’université, et c’est aussi un changement de culture, et surtout un changement de paradigme. En effet, le LMD suppose une vision nouvelle, suivie d’actions sur le terrain, en ce qui concerne le pilotage, la gouvernance et les enseignements. Aussi, et pour intégrer cette métamorphose du paradigme, particulièrement en ce qui concerne les enseignements, une rupture pédagogique s’impose ; et c’est sur ce terrain-là, très difficile et parfois glissant, que je vais m’aventurer.
D’abord, quelques questions s’imposent : Quelles sont les attentes et les besoins des étudiants ? Quels étudiants voulons-nous ? Quels diplômés voulons-nous ? Quels citoyens voulons-nous ?
Pour planter le décor, je rappelle que les étudiants qui arrivent aujourd’hui sur les bancs de l’université sont des « digital natives », qui ont « réussis » grâce à la mémorisation-restitution et aux cours particuliers, qui en ont fait des « assistés intellectuels », dont la motivation et l’implication ne sont pas les points forts.
En face, une grande majorité d’enseignants reste cantonnée dans les méthodes d’enseignement classiques, magistrales, centrées sur les contenus et dont l’apprentissage n’est pas le point fort ; et, cerise sur le gâteau, les résistances au changement sont très bien partagées dans la communauté universitaire, d’où le peu d’émergence d’initiatives pédagogiques nouvelles.
Le monde change ; et le changement est très rapide, porté par les technologies de l’information et de la communication. Aujourd’hui, la connaissance est disponible sur le web (MOOC’s, You tube, communautés wiki, forums, peer-to-peer, etc.) et les sites de partage foisonnent. Les avancées scientifiques et technologiques sont tellement rapides que ce qu’on apprend aujourd’hui sera périmé demain. Actuellement et dans l’avenir, c’est la manière de former les apprenants qui compte et qui comptera, bien plus que ce que nous leurs inculquons et ce que nous leurs inculquerons. Et parce que le monde change, il faut former des étudiants qui changeront le monde.
Alors, que faire ?
Voilà mes propositions, à mettre en œuvre dans les plus brefs délais, pour plus de crédibilité de l’université algérienne en générale, et pour sauver ce qui reste à sauver du LMD en particulier :
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Généraliser et institutionnaliser les formations sur les pratiques pédagogiques centrées sur l’apprentissage à tous les enseignants ; les approches par compétences, classes inversées, enseignement par projet, utilisation des TICE, mises en situation, etc. sont des méthodes efficaces éprouvées pour faciliter les apprentissages, et plus proches aujourd’hui de la réalité du monde socio-professionnel. Ainsi, il est urgent de rendre l’étudiant acteur de son propre apprentissage par des pratiques participatives innovantes et partagées.
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Se focaliser plus sur l’apprenant pour lui apprendre à grandir et s’impliquer, à développer le bon sens (pouvoir d’aborder et de traiter des problèmes en dehors de son domaine de compétences), à construire son esprit critique, à structurer sa pensée en vue de conduire une analyse et une synthèse avec une méthodologie appropriée, à travailler dans un environnement multiculturel, à argumenter, à créer des relations plutôt qu’exécuter, et à développer une intelligence transversale à travers les disciplines connexes. Aussi, l’enseignant doit inspirer et donner du rêve aux apprenants.
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Faciliter et encourager la mobilité nationale inter-filières, pour les étudiants qui passent de la licence au master (au mérite) ; en se sentant plus libre de choisir et/ou de changer de voie, l’apprenant sera plus motivé et pourra mieux réussir et s’épanouir dans une filière qu’il aura choisi, tout en développant une double compétence.
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Augmenter la durée des formations de licence d’une année. La licence aura une durée de 4 ans, et permettra aux titulaires du diplôme d’avoir un statut et une position sociale motivante pour ceux qui souhaiteraient s’arrêter à ce niveau-là. Pour le master, 2 ans sont nécessaires pour s’approprier et développer des compétences transversales et transférables, et aussi, pour s’initier à la recherche ; les diplômés seront plus à même d’intégrer un environnement professionnel avec plus de confiance, ou d’aborder un doctorat avec plus de méthodologie.
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Développer et dérouler les formations généralistes (et éliminer les formations trop spécialisées) ; aujourd’hui, les firmes ont besoin de jeunes diplômés motivés, qui ont du potentiel, et qui se spécialiseront dans le milieu professionnel en fonction des besoins de l’organisme. En effet, les compétences, attendues par les entreprises, en particulier des managers, de leurs collaborateurs, sont notamment : la capacité de travailler en équipe, l’agilité et la facilité à saisir les opportunités, la mobilité, l’aptitude de passer d’un sujet à un autre de manière continue, d’innover, de faire preuve de créativité et de curiosité, ainsi que la capacité à développer du leadership pour faire avancer les projets avec des équipes.
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Prévoir un calendrier universitaire cohérent avec le système d’étude semestriel ; pédagogiquement, il est recommandé de donner des vacances et du repos après les examens de fin du semestre. Il est aberrant de demander, aujourd’hui, aux élèves de commencer le deuxième semestre juste la semaine qui suit les épreuves du premier semestre. Je propose une semaine en fin d’année civile, 15 jours à la fin du premier semestre, puis une semaine au printemps.
En fait, la formation est un bagage pour toute la vie, et pas seulement pour les premiers emplois ; elle doit aider à être capable de progresser et de changer ; cette dualité doit être le socle de base de la réflexion des méthodes d’enseignements à mettre en œuvre aujourd’hui. Parce que, l’adaptabilité et l’exploration sont capitales pour toute personne évoluant dans un environnement qui se transforme en permanence, tel le monde actuel.
Finalement, pour « réanimer » le LMD et faire rayonner nos universités tout en s’adaptant aux mutations actuelles, il faut du courage politique pour prendre les décisions qui s’imposent en vue de mettre en place une nouvelle stratégie, centrée sur la qualité, et changer de direction ; c’est à ce défi que je convie aujourd’hui toute la communauté universitaire, en comptant sur l’engagement des premiers responsables, et l’implication de tous. N’est-ce pas Sénèque qui disait « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »