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Valérie Rodrigue : « Oran que j’ai vu est vivante, intense et jeune »

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Oran, ville des absents, mais aussi ville des souvenirs vivants et des racines à retrouver. Valérie Rodrigue y revient pour combler un vide laissé par l’exil, pour renouer avec une Algérie qu’elle n’a jamais vraiment connue mais qui coule dans ses veines. Elle a publié Oranaise sang pour sang.

Juive et française, née en 1963 dans le Doubs, elle raconte les silences de sa famille, les blessures de l’histoire et la force des rencontres contemporaines qui lui permettent de réinventer son rapport à la ville. À travers ce voyage, entre nostalgie et émerveillement, elle explore ce pays à la fois perdu et retrouvé, où chaque lieu porte une mémoire, chaque personne une histoire, et où l’Algérie, malgré ses absents, continue de parler à ceux qui reviennent.

Le Matin d’Algérie : Pourquoi était-il important pour vous de dire clairement : je suis juive algérienne, née d’Oran, même si vous avez grandi en France ?

Valérie Rodrigue : Quand j’étais enfant, certains de mes camarades de classe, qui étaient de souche étrangère, allaient l’été au Portugal ou en Algérie. Je savais que mes parents venaient d’Algérie, mais nous, nous n’y allions pas l’été. Nous n’avions plus de famille, les vieux sont morts les uns après les autres après le rapatriement. J’ai grandi avec un pays manquant, une case vide. Quel était donc ce pays où nous ne pouvions retourner/ aller ? Mon père m’avait raconté quelques souvenirs d’enfance, d’avant la guerre. Il aimait profondément ce pays. Aller à Oran, cela m’a permis de constater que l’Algérie n’est pas une entité vague, mais un pays à part entière. Nous venons de là. C’est toujours un peu chez nous. Donc chez moi. Je me plais à avoir moi aussi des racines.

Le Matin d’Algérie : Votre retour à Oran est hésitant, presque retenu. Aviez-vous peur de ce face-à-face avec la ville et l’histoire familiale ?

Valérie Rodrigue : Dans l’avion, j’étais folle de joie. Et pourtant, je voyage beaucoup. Mais ce vol Paris-Oran avait une saveur particulière, celle du retour que mon père n’a pas pu faire. Aurait-il approuvé ce voyage ? Je n’avais pas peur de ce que je pouvais y trouver, puisque lorsque je voyage, je n’ai pas d’idée préconçue et me renseigne en amont très peu sur la destination. Sur place, tout est émerveillement, en définitive. Je n’avais pas peur de repartir bredouille (les appartements familiaux, la tombe) puisque c’était le risque. Mais j’étais intimidée. Le souvenir de mon père était très présent. Je ne voulais pas décevoir sa mémoire.

Le Matin d’Algérie : Votre mère refuse toute idée de retour. Que dit ce silence de la blessure laissée par 1962 chez les Juifs d’Algérie ?

Valérie Rodrigue : D’après ce que ma mère et mes tantes m’ont raconté, il y a le souvenir des lois raciales. Les étoiles jaunes sont arrivées tardivement dans les mairies en Algérie, mais elles sont arrivées quand même ; mon père a été exclu de l’école, la sœur aînée de ma mère aussi. Ensuite, il y a eu dix ans de guerre. Ma mère en a été très marquée. Et puis le départ d’Algérie a coïncidé avec la mort accidentelle de son frère. Le deuil ne s’est jamais vraiment fait.

Le Matin d’Algérie : Les tantes suivent le voyage à distance, sans jamais revenir elles-mêmes. Est-ce une façon de voyager sans rouvrir la douleur ?

Valérie Rodrigue : Probablement. Ce voyage, elles ne l’auraient jamais fait. Moins elles l’auraient fait, plus elles étaient curieuses. Sur WhatsApp je partageais des photos, cela a ravivé des souvenirs heureux ou malheureux. Retrouver la tombe de Raoul, cela leur a permis, d’une part, de constater qu’elle n’a jamais été détruite contrairement à ce qu’elles pensaient et d’autre part, de finir leur deuil. Le fait que Ali, le gardien du cimetière, lise l’hébreu, cela les a beaucoup émues. J’ai fait une bonne action. J’ai réconcilié le judaïsme et l’Algérie, à mon échelle.

Le Matin d’Algérie : À Oran, ce sont Nassim et Aïcha qui vous accueillent. Qu’ont représenté ces rencontres pour vous ?

Valérie Rodrigue : Nassim est le guide touristique qui m’a accompagnée pendant ce voyage. Un homme jeune très moderne et cultivé. Il a été d’une très bonne compagnie pour moi, en dehors d’être un guide. Il a inscrit sa fille dans une école Montessori, comme le font certains bobos Parisiens. Aïcha, la dame qui m’a autorisée à visiter son appartement, m’a ouvert sa porte avec chaleur, bavarde et amicale, elle nous a offert le café. Lorsque je voyage, j’aime les rencontres spontanées, fortuites. Ils représentent l’Algérie contemporaine, celle que je voulais voir.

Le Matin d’Algérie : Vous montrez une Oran populaire, vivante, loin des clichés. Était-ce une manière de répondre aux peurs souvent entretenues en France ?

Valérie Rodrigue : Je n’avais pas d’idée derrière la tête. Étant reporter tourisme, je veux montrer un lieu tel qu’il m’est apparu, dans sa singularité. J’ai fait fi des recommandations et des appréhensions des autres. J’ai beaucoup voyagé seule et franchement, cela s’est toujours bien passé. J’ai fait du stop en Jordanie, je suis allée seule en boîte de nuit à Phnom Penh et à Tachkent. Jeune, j’ai fait Lyon-Paros en stop et en bateau. L’Oran que j’ai vu en journée, en soirée, est en effet vivante, intense et jeune. Avec un charme à l’espagnole. En boîte de nuit, je me suis crue à Madrid.

Le Matin d’Algérie : L’identité juive algérienne traverse tout le livre. Pourquoi reste-t-elle encore si peu visible dans le récit national français ?

Valérie Rodrigue : L’écrasante majorité des juifs français de ma génération se trouve des racines en Israël, pas en Algérie. C’est une idée qu’on leur met dans la tête dès le plus jeune âge. Or, nous venons d’Algérie, pas du Moyen-Orient. Rien dans mon histoire familiale ne va dans ce sens. Il est donc bien logique que l’histoire juive d’Algérie soit occultée, en France comme en Algérie.

Le Matin d’Algérie : Le parcours de votre père, devenu instituteur, est très fort. Comment relire aujourd’hui cette assimilation par l’école française ?

Valérie Rodrigue : Les enfants des petites gens qui allaient jusqu’au Bac devenaient souvent instituteurs. Le décret Crémieux avait donné aux juifs la citoyenneté française. La génération de mes parents porte des prénoms français. Promouvoir l’instruction à la française est une suite logique. Quelle ne fut leur déception lorsque, arrivés en France, on les a traités de sales Arabes ou de sales colons.

Le Matin d’Algérie : L’histoire de votre ancêtre Saül Bensoussan est saisissante. Aviez-vous le sentiment de réparer un oubli en la racontant ?

Valérie Rodrigue : Saül Bensoussan, le meurtrier qui a fini à Cayenne… Il y en a, des drôles, dans ma famille. J’ai mené des recherches sur ma famille. Mon cousin Éric m’a dit que Saül Bensoussan était un ancêtre. Relater ce fait divers, c’est un pied de nez aux membres de ma famille qui aiment s’inventer une généalogie plus glorieuse. Oui, mes grand-mères étaient illettrées, oui, mon grand-père paternel était un Turc marin devenu garçon de café. Mon grand-père maternel, un petit ébéniste. J’aime bien avoir pour ancêtre des marins, des tatoués, des repris de justice.

Le Matin d’Algérie : Vous écrivez que l’Algérie est “l’inconscient collectif de la France”. Pensez-vous que ce passé non réglé continue de peser sur les relations actuelles ?

Valérie Rodrigue : Oui, il y a toujours beaucoup de passion entre l’Algérie et la France. On l’a vu encore récemment. Et puis, cette longue guerre d’indépendance est restée en travers. Le fait que ce pays vive du pétrole et non du tourisme, cela lui donne un sacré poids. L’Algérie n’est pas le parent pauvre, mais l’inconscient collectif. J’aime redonner à ce pays africain sa grandeur.

Le Matin d’Algérie : Ce livre parle autant d’histoire que de manque affectif. Le voyage était-il aussi une manière de faire un deuil personnel ?

Valérie Rodrigue : Faire le deuil de mon père décédé, certainement. Faire le deuil de ma relation ratée avec ma mère, aussi. Enfin, tourner la page d’Ilyas, vieille histoire d’amour jamais vraiment digérée, une autre nécessité.

Le Matin d’Algérie : Qu’aimeriez-vous que le lecteur algérien retienne en priorité de ce livre ?

Valérie Rodrigue : C’est une déclaration d’amour à l’Algérie d’aujourd’hui. La nostalgie imprègne les discours et les livres. Chez les lepenistes et les zemmouristes, il y a la nostalgie de l’Algérie française. Or, on peut être une femme juive, française, éprise de l’Algérie contemporaine, même si l’Algérie tend à oublier sa part juive. La deuxième fois, on m’a refusé le visa. Quelle gifle. Je n’ai pas droit au retour ? Je devrais avoir droit au passeport vert. Non ?

Entretien réalisé par Djamal Guettala 

Bio Express

Valérie Rodrigue est journaliste-reporter en tourisme. Elle a parcouru le monde pour la presse écrite et numérique. Engagée depuis longtemps dans le bénévolat, elle exerce aujourd’hui l’écoute active au sein d’une grande association. Passionnée par le voyage et la psychanalyse, elle vit et écrit à Paris, avec une écriture attentive aux liens entre ailleurs et psychologie de la vie quotidienne.

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