Avec Vers l’Orient. Carnets de voyages de Tanger à Kyoto (1970-2014) l’immense écrivain Abdelwahab Meddeb demeure parmi les vivants. Ce livre est le dernier cadeau inédit qu’Abdelwahab Meddeb offre à ses lecteurs et aux amoureux des voyages.
Ce livre écrit sous forme de carnets, comme son nom l’indique si justement, le voyageur écrivain sème ses descriptions au gré de ses haltes entre l’Europe, l’Afrique du Nord et l’Extrême-Orient. Ici l’auteur se révèle comme un troubadour doublé d’une inspiration magistrale.
Vers l’Orient. Carnets de voyages de Tanger à Kyoto ce sont toutes les traces laissées par Abdelwahab Meddeb sous forme de textes magnifiquement bien écrits.
Ces carnets, au nombre de 79, ont été retrouvés après sa mort, et c’est sa femme Amina et sa fille Hind qui ont ordonné une traversée littéraire, non chronologique, mais géographique, de Tanger jusqu’à Kyoto.
Meddeb écrivait toujours avec un carnet à la main; balade et écriture se confondent souvent. On découvre dans ces pages une graphie appliquée, presque sans rature, alternant français et arabe, émaillée de croquis architecturaux, de dessins de paysage, de plantes, parfois même de fleurs séchées. Le découpage retenu pour le livre est une ligne de fuite, une géographie d’abord intérieure, puisque l’auteur ne se prive pas d’introspections mais aussi extérieure : Tanger, Marrakech, Fès, puis l’Andalousie, l’Italie, la Tunisie, Sarajevo, Alexandrie, Jérusalem, Amman (et d’autres), enfin le Japon. Le lecteur l’aura compris, le Caire apparaît comme une ville de cœur pour l’auteur.
Ce livre n’est pas un journal de bord comme on en connaît, exposant dates et faits dans l’ordre. C’est plutôt une méditation aussi bien sensorielle qu’historique, philosophique.
Abdelwahab Meddeb ne présente pas l’Orient comme un seul bloc homogène. Il explore les continuités et les discordances entre les cultures. Ainsi, il peut voir Fès et Venise dans le même souffle ; percevoir l’héritage arabe en Espagne ; sentir la musique comme architecture, et l’architecture comme poésie.
L’Occident dans l’Orient, l’Orient en Occident
L’auteur fait se rencontrer ces deux mondes dans ce livre dense et sensible. Il joue beaucoup sur la tension aussi, la porosité entre Orient et Occident. Il y a la nostalgie d’un Orient rêvé, mais aussi la reconnaissance du fait que l’Orient est partout, aura laissé des empreintes en Occident. C’est un dialogue permanent, parfois intérieur, à travers les siècles, les langues, les religions, la philosophie.
Certains lieux évoquent la tristesse – Jérusalem, Sarajevo, Beyrouth quand il en parle dans des moments de conflit. Le temps de l’Histoire, des catastrophes, plane. Ces carnets ne sont pas des simples cartes postales : ils portent le poids de la guerre, de la séparation, du désastre.
Le voyageur écrivain
Meddeb voyage non pas pour dominer le paysage ou pour l’ethnographe distant, mais pour ressentir, pour observer avec humilité. Cette écriture du déplacement est attentive aux détails : un repas, un vin, les parfums, une lumière, un chant, un bruit. Elle est très sensorielle.
Ce livre invite à une redécouverte des lieux : non seulement leur géographie visible, mais ce qui les rend vivants – les arts, les architectures, les langues, les voix. Pas seulement, il convoque nos sens et notre mémoire pour le voyage à travers l’histoire des lieux.
Abdelwahab Meddeb montre que le voyage ne se résume pas à un déplacement géographique, c’est aussi et surtout une manière de penser, de se confronter à l’Histoire, à la mémoire, au présent. Il insiste sur la pluralité culturelle, le mélange, le passage, à une époque où les identités sont souvent soupçonnées ou verrouillées.
Rabah Aït Abache
Vers l’Orient. Carnets de voyages de Tanger à Kyoto (1970-2014) chez les éditions Stock.