Avant-dernier soir du festival Marseille Jazz des cinq continents, dans le cadre de Jazz Club 222, coproduction du Conservatoire Pierre Barbizet – Campus Art Méditerranée et du festival.
Sous les voûtes historiques du Palais Carli, devenu Conservatoire Pierre Barbizet en hommage au grand pianiste marseillais, la musique a pris samedi soir une dimension presque sacrée. Trois musiciens, venus de Tunis, Bruxelles et France, ont tissé ensemble un récit sonore où se mêlent jazz contemporain et racines méditerranéennes, dans un dialogue intime et profond.
Au piano, Wajdi Riahi, jeune prodige tunisien, déploie un lyrisme puissant et délicat, porteur d’une émotion rare. Il est accompagné par Basile Rahola, contrebassiste bruxellois, et Pierre Hurty, batteur français, avec lesquels il forme un trio à la fois complice et libre, capable de naviguer entre les eaux profondes du jazz et les rythmes anciens du Maghreb.
Le répertoire présenté, tiré de leur deuxième album enregistré en 2023 au légendaire studio La Buissonne, puise dans les musiques ancestrales du Maghreb, en particulier les rythmes du Stambeli et de la musique Gnawa.
Cette rencontre entre tradition et modernité donne naissance à une musique organique, fluide, qui semble respirer au rythme des mémoires et des paysages méditerranéens.
La musique de Wajdi Riahi, par la richesse de sa rythmique au piano, possède une vertu presque thérapeutique. Elle témoigne de son attachement profond à cette culture méditerranéenne qu’il insuffle avec élégance dans un jazz contemporain à la fois subtil et lumineux. Le morceau « Hymn To Stambeli » est un hommage vibrant à un rite de possession tunisien, proche par ses racines des musiques gnawa marocaines.
Mais c’est surtout la pièce instrumentale « Lala Fitima » qui a touché le public au cœur. Wajdi raconte qu’enfant, isolé dans sa chambre, il jouait cette mélodie au piano lorsque son grand-père l’interrompit, lui demandant : « Connais-tu la chanson Lala Fitima ? » Cette question fut un appel à renouer avec ses origines, une révélation intime. Depuis, ce morceau est devenu un hommage à Mhamdia, quartier populaire de Tunis où Wajdi a grandi. Par cette composition, les notes deviennent prière, les rythmes murmures des ruelles, les silences caresses d’enfance — un véritable voyage entre mémoire collective et lyrisme personnel.
Le concert a également mis en lumière d’autres pièces fortes, comme « Agréé Hypocrite or Live », aux textures modernes et incisives, et « Yala Quawmi », chanson orientale où se mêlent avec grâce mélodies méditerranéennes et improvisations jazz.
Sous les voûtes du Palais Barbizet, le trio a fait naître un souffle musical vibrant, une lumière douce et éclatante, où chaque note résonne avec humanité et liberté. Ce jazz enraciné et libre incarne un pont vivant entre héritages ancestraux et création contemporaine.
L’album Essia confirme le talent prometteur de cette jeune génération de musiciens qui, entre mémoire et invention, font vibrer les racines méditerranéennes dans un écrin moderne et lumineux.
Djamal Guettala