Samedi 8 juin 2019
XVI ème marche du 7 juin : trancher le nœud gordien
Reportage photo de Zinedine Zebar.
A Alger il a venté ce vendredi. Le soleil qui brille y est agréable. Les Algérois rejoignent leur lieu de rencontre hebdomadaire en masse. Les visiteurs hors wilaya sont peu nombreux.
Les accès d’Alger mobilisent jeudi et vendredi des ressources humaines et matérielles faramineuses, à travers les barrages filtrants, afin d’ôter toute velléité, aux manifestants qui n’y résident pas, de s’y rendre. Les autorités y ont mis le paquet. Le Ramadhan achevé, le discours de Bensalah aidant, les marcheurs empruntent massivement leur parcours habituel. L’une des vertus des interventions de Gaid Salah et de Bensalah est que leurs sorties médiatiques renforcent la cohésion des marcheurs, les poussent à persévérer dans leur protesta et les stimulent dans leur combat.
Depuis plus d’un mois, les messages n’ont pas évolué. Les marcheurs ont une idée claire de leurs revendications : ils les redisent sans cesse et sont décidés à recommencer jusqu’à ce qu’ils soient entendus. Ils crient pendant plus d’une dizaine de minutes à l’unisson ya hna ya ntouma maranach habssine (c’est ou vous ou nous ne nous arrêterons pas). Ils expriment leur ras-le-bol, de voir des militaires s’impliquer dans la vie politique en scandant y en a marre des généraux, y en a marre ou encore 3ina mlé coups d’etats 3ina (on est fatigué des coups d’état, on est fatigué). Ils réaffirment leur désir de voir un pouvoir civil émerger en criant dawla madania machi 3askaria (pouvoir civil et pas militaire), et de voir une Algérie libre et démocratique naitre en répétant Djazair houra democratia (Algérie libre et démocratique). Ils refusent la solution de Bensalah en lui répondant Ya bensalah Ya lmarocci makach essiassa (Bensalah le marocain pas de politique) ou transition obligatoire la hiwar la shiwar (transition obligatoire pas de concertation pas de dialogue). Pour la première fois on réclame de présenter l’ex vieux président à la justice : djibou elAziz, djibou elAziz (ramenez Aziz i.e présentez Abdelaziz Bouteflika à la justice). On incrimine l’état au sujet de Kamaleddine Fekhar en chantant : Kameleddine Fekhar edoula katlatou (Kameleddine Fekhar a été tué par l’état) mais aussi pouvoir assassin, pouvoir assassin.
Les slogans, cités déjà dans les six dernières marches, à l’encontre du vieux chef d’état-major, sont les plus populaires. On peut entendre tout le long du cortège, Gaïd Salah dégage, chiat el emirat (larbin des émirats), m3a el khaouana (avec le gang) ; ou encore pour la première fois Gaid Salah djibouh djibouh (présentez-le à la justice, présentez-le).
Les marcheurs en font une obsession : il leur paraît comme le principal obstacle à la résolution du conflit qui les oppose au pouvoir. Echaab yourid Yetnahaw ga3 (le peuple veut qu’ils partent tous). De jeunes étudiants présentent une maquette sur laquelle est posée un ordinateur où l’on peut lire le peuple veut formater le système.
Quelques groupuscules de pseudo-islamistes illuminés tentent de perturber le cours de la manifestation en criant Daoula islamia (république islamique) mais sont vite remis en place par les marcheurs. Ali Djeddi, ancien leader islamiste, regroupe quelques nostalgiques, pour la plupart dépassant la quarantaine, avec lesquelles il débat de la transition et du dialogue.
Les tribuns occasionnels sont de plus en plus nombreux et attirent les curieux. Un pickpocket se fait appréhendé par une foule nombreuse, on le remet aux forces de police. Sur la reproduction fidèle d’une plaque de rue on voit : Place du 22 février 2019, révolution du sourire. Sur une affiche on inscrit en arabe : la prolongation du mandat de Bensalah est une conspiration visant à provoquer une guerre civile à la manière soudanaise sous le contrôle émirati et saoudien mais la protesta les mettra en échec pacifiquement.
En réponse à la proposition de Bensalah, un écriteau en langue française dit : votre dialogue est un monologue de mauvais goût.
Les Algériens ressassent leurs désirs et leur volonté inchangés depuis près de deux mois. Le pouvoir à travers ses divers représentants s’entête à appliquer la feuille de route proposée par l’ex président. Si l’élection libre et démocratique d’un président civil est l’ultime but des marcheurs d’une part, et le vœu énoncé par le pouvoir d’autre part, la manière d’y parvenir demeure la principale difficulté à surmonter. L’acharnement des tenants du pouvoir à mener des élections avec le gouvernement, les walis et chefs de daïras actuels est difficilement admissible pour les protestataires. Cette obstination les amène fatalement à remettre en doute la bonne foi des décideurs.
Depuis près de deux mois la situation politique stagne. Les principales figures de la protesta sont de plus en plus silencieuses et discrètes. Les partis politiques sont rejetés, ont du mal à convaincre ou à attirer les foules. Le pouvoir rejette la mise en place d’une instance neutre, acceptée de tous afin de gérer une transition.
Les marcheurs, par suspicion et prudence, refusent l’émergence d’une entité pour les représenter. Les télévisions privées et nationales, outils privilégiés de communication, ont arrêté de couvrir les manifestations objectivement et en direct. Sur leurs plateaux ils ne reçoivent que des personnalités acquises aux thèses des décisionnaires. Comment procéder afin de sortir de l’ornière ? Qui tranchera ce nœud gordien ?