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jeudi 12 juin 2025
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Yamina Miri, passeuse de récits et d’écologie saharienne

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Dans son livre Des contes et des lieux du Tassili N’Ajjer, Yamina Miri propose une immersion littéraire dans le Sahara algérien à travers des récits empreints de tradition tamahaq, de mémoire collective et de sensibilité écologique. L’auteure y mêle contes originaux, souvenirs de terrain et observation du vivant, pour faire dialoguer l’imaginaire avec la réalité d’un monde fragile et précieux.

Dans cet entretien, Yamina Miri revient sur l’origine de ce projet, ses choix narratifs, son lien profond avec la nature saharienne et sa volonté de transmettre aux jeunes générations une culture en voie d’effacement. Un livre qui parle aux enfants comme aux adultes, et qui fait de l’écriture un acte de transmission engagé.

Le Matin d’Algérie : Votre livre mêle imaginaire et patrimoine oral touareg. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre fidélité aux récits traditionnels et liberté créative ?

Yamina Miri : Les nombreux séjours que j’ai faits au Tassili N’Ajjer durant 18 ans font que je me suis imprégnée de la culture tamahaq et que j’ai emmagasiné énormément d’informations, mais je me suis aussi beaucoup documentée. De ce fait, mes personnages ne pouvaient être que porteurs de cette culture. L’équilibre entre les récits que l’on m’a racontés et mon imagination s’est fait de lui-même. J’ai dû romancer un peu les deux légendes que j’ai écrites et, pour les autres contes, j’ai laissé mon imagination galoper tout en ne perdant pas les objectifs que je m’étais fixés quant aux messages que je voulais faire passer.

Le Matin d’Algérie : Vous précisez que ce projet est né en 2013 et qu’il a mûri lentement. Qu’est-ce qui vous a poussée à le concrétiser aujourd’hui ?

Yamina Miri : En réalité, j’ai commencé à écrire mes contes en 2011, mais je n’ai pas concrétisé le projet, car je ne savais pas comment j’allais les éditer et sous quelle forme. Entre-temps, le projet d’écriture de mon récit Six jours sur le Plateau du Tassili N’Ajjer (aux éditions El Ibriz) s’est imposé de lui-même car je venais de vivre le séjour sur le Plateau du Madak et je voulais raconter cette expérience extraordinaire. Par conséquent, j’ai mis les contes en veilleuse et je me suis concentrée sur l’écriture de mon récit. C’est en quelque sorte une parenthèse que j’ai ouverte tout en gardant le projet de mon livre de contes en tête parce que j’y tenais beaucoup.

Le Matin d’Algérie : Dans vos contes, la nature est omniprésente, presque un personnage à part entière. Comment votre formation en foresterie et écologie a-t-elle influencé votre écriture ?

Yamina Miri : Ma connexion avec la nature est constante et elle ne peut donc qu’être présente dans mes écrits. Ma défunte mère nous a élevées dans l’amour de la nature et des arts. Et depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours fait de longs séjours chez mes grands-parents qui habitaient une maison isolée en pleine nature, construite en pierres et en torchis. En fait, j’ai choisi mes études universitaires par rapport à ce qui me caractérisait déjà, à savoir l’amour de la nature et du monde vivant. Mon écriture englobe cette sensibilité, mon enfance, mes études et mes passions.

Le Matin d’Algérie : Vous évoquez l’histoire du dernier crocodile du Tassili, un fait réel que vous avez transformé en conte. Pourquoi ce choix ? Et que représente ce crocodile dans votre imaginaire ?

Yamina Miri : Je voulais absolument écrire ce conte, car sur le plan de la biodiversité, il me semble important que nous sachions, en tant qu’Algériennes et Algériens, qu’il a existé des crocodiles dans la région du Tassili N’Azjer. Et sur le plan historique, il est aussi important pour moi que les enfants comprennent que l’armée coloniale française a aussi causé des catastrophes à la nature.

Tous ces ravages sur la nature sont aujourd’hui considérés comme un crime et portent le nom d’écocide. Mes contes sont imprégnés de magie, ils font rêver, mais ils sont également éducatifs et instructifs, d’où les glossaires que je tenais à inclure. Dans mon imaginaire, le dernier crocodile représente toutes les espèces animales éteintes, voire exterminées, ainsi que toutes les conséquences de la colonisation française.

Le Matin d’Algérie : Les illustrations occupent une place importante dans le livre. Comment s’est construite votre collaboration avec Nelia Salah ?

Yamina Miri : J’ai rencontré Nelia Salah par hasard et le contact est vite passé entre nous. Lorsque je lui ai proposé d’illustrer mes contes, elle n’a pas hésité et s’est lancée dans l’aventure. C’est ainsi que nous avons travaillé à distance pendant un an et demi. Comme je tenais à ce que les illustrations soient fidèles aux paysages tassiliens, aux animaux et aux plantes, aux costumes, coiffures, bijoux, etc., Nelia a travaillé sur la base de mes photos et de mes orientations. Rien n’a été laissé au hasard. La collaboration s’est très bien passée et l’enrichissement a été mutuel.

Le Matin d’Algérie : Vous avez voulu un livre « à la portée des enfants et des adultes ». Quels messages espérez-vous transmettre à ces deux publics ?

Yamina Miri : Oui, je voulais que mon livre parle aux enfants, mais aussi à l’enfant qui sommeille en chaque adulte. Dans le temps, après le dîner, toute la famille se réunissait autour de celle ou celui qui racontait le conte, et non pas que les enfants, nous avons tendance à l’oublier. Quant aux messages portés par mes histoires, ils s’adressent à toutes et à tous, tout âge confondu. Les messages sont multiples, ils concernent aussi bien la sensibilisation à la fragilité des écosystèmes sahariens qu’à la fragilité de notre patrimoine archéologique (notamment les peintures et gravures rupestres), mais concernent aussi le respect des valeurs familiales et de la transmission, la valeur des relations humaines, et donc des valeurs universelles. Je définis mes contes comme étant éco-philosophiques, « éco » d’écologique, bien évidemment.

Le Matin d’Algérie : Dans votre projet des « caravanes du coloriage », vous mêlez art, transmission culturelle et sensibilisation écologique. Peut-on parler d’une continuité entre ces ateliers et votre travail d’écriture ?

Yamina Miri : Je ne peux pas dire qu’il y ait une relation directe entre mes ateliers de coloriage et mon travail d’écriture, mais ces deux activités plongent leurs racines dans notre merveilleux Tassili N’Azjer. Ils ont un même but, à savoir informer quant à la richesse de la culture tamahaq et sensibiliser à la fragilité de nos patrimoines naturel et archéologique. Que ce soit par le biais de mes rencontres littéraires, des caravanes de coloriage ou de mes écrits, je suis dans le partage. Je m’investis dans la transmission et la sensibilisation.

Le Matin d’Algérie : Quelle a été la réception de ce livre dans les régions du Sud, notamment à Djanet, Timimoun ou Tamanrasset ? Les enfants et les familles s’y reconnaissent-ils ?

Yamina Miri : J’ai comme projet de faire traduire mon livre Des contes et des lieux du Tassili N’Ajjer en arabe, et ce, afin de le mettre à la portée d’un maximum de personnes. À ce moment-là seulement, je pourrai concevoir qu’il est à la portée de toutes les Algériennes et tous les Algériens, et je pourrai savoir comment il est accueilli, en espérant que ma famille d’adoption tassilienne se reconnaîtra. Mais je peux d’ores et déjà vous dire qu’il « circule » à Djanet et qu’une agence de voyage de Djanet l’a même exposé et vendu, le 17 mai 2025, lors de la journée culturelle algérienne à Montréal au Canada. Mes contes font voyager et voyagent !

Le Matin d’Algérie : Vous dites vouloir un jour collecter les véritables contes en tamahaq racontés par les anciennes. Où en êtes-vous dans cette démarche de sauvegarde du patrimoine oral ?

Yamina Miri : Pour ce qui est de collecter les contes du Tassili N’Azjer, c’est un véritable travail qui doit être fait. C’est un appel que je lance ! Notre patrimoine oral est en train de disparaître avec chaque ancien  qui disparaît. Il faut que nous en prenions conscience. Les contes sont porteurs de notre identité, ils font partie de ces instruments qui forgent la personnalité mais aussi l’identité de nos enfants. Pour ma part, j’ai commencé la collecte, mais le chemin est encore long. J’espère que le Bon Dieu me donnera la santé pour aller jusqu’au bout de mon projet de deuxième livre de contes tassiliens.

Le Matin d’Algérie : Pour conclure, si vous deviez résumer en une phrase l’âme de votre livre, que diriez-vous aux lecteurs qui s’apprêtent à l’ouvrir ?

Yamina Miri : Je dirais : je vous offre un voyage gratuit au Tassili, des petits bouts de préhistoire, d’histoire, d’écologie, de culture tamahaq, et enfin de la magie et du rêve !

Entretien Réalisé par Djamal Guettala  

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