Yannick Trigance était l’invité de l’écrivain Youcef Zirem dans son café littéraire parisien de l’Impondérable, qui est devenu maintenant depuis plusieurs années un rendez-vous culturel incontournable dans la ville lumière.
On a vu un homme convaincu, passionné, donnant l’échange avec sagesse, savoir et humilité sur un sujet crucial laissant le public attentif pour ne rien rater du débat. Yannick Trigance est venu présenter son livre publié aux éditions de l’Aube (Fondation Jean-Jaurès), intitulé « Mixité sociale et scolaire: quels leviers pour quel projet ?. »
L’école, est un sujet que Yannick Trigance connaît bien, il a un riche parcours dans l’éducation et dans son engagement politique auprès du parti socialiste.
Il a enseigné pendant 25 ans en éducation prioritaire en Seine-Saint-Denis, puis directeur d’école maternelle et à l’école élémentaire, il devient après cette longue expérience inspecteur de l’Éducation Nationale en 2008 avant d’intégrer l’administration territoriale en 2010 comme directeur général adjoint d’une commune de la Seine-Saint-Denis, chargé de l’éducation, de la petite enfance et de l’insertion.
Il devient Secrétaire national adjoint à l’éducation du Parti socialiste en 2012, il est un proche de François Hollande, dont il est l’un des principaux soutiens en Seine-Saint-Denis lors de la primaire citoyenne de 2011. Il est son conseiller éducation dans son équipe de campagne lors de l’élection présidentielle de 2012. En avril 2016, il juge toujours François Hollande comme meilleur candidat du PS pour la présidentielle de 2017.
Suppléant du député Bruno Le Roux, il devient député à la faveur de l’entrée de ce dernier au gouvernement Bernard Cazeneuve le 6 décembre 2016, Après la victoire de Benoît Hamon à la primaire citoyenne de 2017, il est nommé responsable thématique adjoint « Éducation » de sa campagne présidentielle.
À l’occasion des élections régionales de juin 2021, Yannick Trigance est réélu au Conseil régional Ile-de-France sur la liste d’Audrey Pulvar au premier tour et sur la liste de gauche fusionnée des Yvelines au second tour. Il siège dans la commission lycées.
Par ailleurs il est formateur d’élus sur les questions de politiques éducatives, et publie régulièrement des articles sur les questions concernant l’éducation, nous pouvons dire que c’est un penseur ancré dans l’engagement politique, secrétaire National école, collège, lycée, membre du Bureau national et du Secrétariat national, secrétaire fédéral chargé des élections pour la Seine-Saint-Denis, il est Chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur depuis le 14 juillet 2014.
Yannick Trigance publie en septembre 2024, un ouvrage aux éditions de l’Aube (Fondation Jean-Jaurès), intitulé, Mixité sociale et scolaire: quels leviers pour quel projet ?.
Yannick Trigance est cet érudit infatigable investi d’une belle mission, celle de la beauté du vivre ensemble, de la rencontre des couleurs, pour casser le déterminisme social français et redonner ses notes de noblesses à l’école républicaine censée donner les mêmes chances pour tous faisant des différences un atout non un handicap.
Le Matin d’Algérie : De l’enseignement à l’engagement politique, qui est Yannick Trigance ?
Yannick Trigance : Je dirais simplement : un citoyen engagé au service de l’intérêt général, porté par les valeurs de la République que sont la liberté, légalité, la fraternité auxquelles je rajouterai la laïcité, ciment de notre société.
Mon engagement professionnel et mon engagement politique ont toujours été très étroitement liés avec un objectif : permettre à chaque enfant, quel que soit l’endroit où il vit et le milieu d’où il vient, de réussir son parcours en devenant un citoyen éclairé, critique et émancipé.
Le Matin d’Algérie : À une époque où l’on perçoit les enseignants comme des techniciens, l’enseignement semble être pour vous une vocation est-ce vrai ?
Yannick Trigance : Une enquête récente montrait que plus de 80% des enseignants aiment leur métier : c’est un engagement humaniste qui s’inscrit dans la philosophie des Lumières et qui vise à permettre l’émancipation de chaque jeune par la raison critique et la liberté de conscience.
En ce sens, on peut à mon sens parler de vocation quand bien même elle ne peut suffire à elle seule : la formation tant initiale que continue des enseignants est absolument indispensable
Le Matin d’Algérie : J’ai assisté à votre rencontre littéraire, invité de l’écrivain Youcef Zirem dans son café littéraire parisien de l’Impondérable, je tiens d’abord à vous remercier car au-delà de l’art de la rhétorique, vous avez su subjuguer le public en exposant les problématiques tout en ouvrant des perspectives concernant l’école et l’éducation en général, vous n’avez pas la langue de bois, avez-vous parfois le sentiment des vous battre contre des moulins à vents ?
Yannick Trigance : Je pense qu’il est des sujets pour lesquels nous devons persévérer quand bien même nous pouvons à certains moments ressentir une forme de découragement qui très rapidement s’efface pour laisser place à la force des convictions et aux valeurs qui fondent notre engagement.
Le Matin d’Algérie : Votre livre « Mixité sociale et scolaire: quels leviers pour quel projet ?. », tout le monde devrait le lire, le meilleur est toujours possible n’est-ce pas ?
Yannick Trigance : Oui, ne jamais renoncer, toujours continuer le débat, les échanges, dans le respect, pour convaincre et cet enjeu de la mixité sociale et scolaire mérite de poursuivre tant l’enjeu est fondamental : il y va du type de société que nous voulons pour aujourd’hui et pour demain.
Le Matin d’Algérie : Vous avez dit dans un de vos articles, « l’école publique n’a besoin ni de grandes déclarations, ni d’effets d’annonces sans lendemain », alors de quoi a-t-elle réellement besoin ?
Yannick Trigance : L’école publique, ses enseignants et au-delà, l’ensemble de la communauté éducative ont besoin de temps et de « respiration ».
C’est pourquoi le « à chaque ministre, une nouvelle réforme » n’est plus possible. Le temps de l’école n’est pas le temps du politique et à partir du moment où l’objectif reste bien la réussite de tous nos jeunes, alors il faut laisser le temps aux enseignants et à leurs élèves de s’approprier la réforme mais également qu’elle soit évaluée dans le temps afin de mesurer les régulations, modifications à apporter.
Et cela doit se faire dans une co-construction et non pas de manière descendante ou injonctive comme cela est trop souvent le cas malheureusement.
Par expérience, les réformes les plus bénéfiques pour nos élèves sont celles qui sont élaborées avec les enseignants dans un processus de collaboration.
Le Matin d’Algérie : Vous prônez la mixité scolaire : « Mettre dans les mêmes classes des enfants issus de milieux différents est la meilleure manière de créer du commun », expliquez-nous ?
Yannick Trigance : Ce que j’essaie de montrer dans mon livre, c’est que mettre sur les mêmes bancs d’une même école les enfants de classes sociales différentes afin de « créer du commun », c’est construire une société du partage, du respect et de la fraternité.
Travailler cette question de mixité sociale, c’est affirmer la volonté politique de permettre à des générations d’élèves de grandir ensemble sur le même territoire, dans une même institution, l’École, en se côtoyant au quotidien.
« Créer du commun », c’est réaffirmer que travailler à une plus grande mixité sociale et scolaire est d’autant plus important qu’en constituant des établissements et des classes où se rencontrent des jeunes de milieux socio-économiques différents, on améliore la réussite scolaire des jeunes d’origine modeste.
À travers la mixité sociale et scolaire, c’est l’égalité, la fraternité, la liberté et l’émancipation individuelle et collective que nous défendons. Et nous ne pouvons nous résoudre à voir notre école, pierre angulaire de notre République Française à laquelle nous devons tant, verser dans une logique de partition et de ségrégation sociale et scolaire.
« Créer du commun », c’est faire de l’école un lieu d’unité, de convivialité et d’apprentissage d’une vie véritablement citoyenne. Une école de l’altérité, de l’émancipation et de la coopération à rebours d’une école de l’individualisme, de l’entre soi et de la compétition.
Et si le séparatisme social et scolaire n’est bon pour personne, en revanche il est bon pour la République que les enfants de tous milieux grandissent ensemble le temps de la scolarité obligatoire. Nous avons besoin de cette mixité sociale car l’École ne peut transmettre une appartenance commune à la République sur des processus d’exclusion ou de ségrégation.
Le Matin d’Algérie : Vous voulez démocratiser la réussite scolaire, améliorer l’orientation des élèves, la formation des enseignants et rompre définitivement avec le déterminisme social français par la mixité, dans un monde qui va trop vite qui freine la pensée, est-ce encore possible ?
Yannick Trigance : Oui bien sûr, c’est possible, et les nombreuses expériences déployées dans certains territoires montrent qu’une école de tous pour tous ne relève pas de l’utopie mais bel et bien d’un projet politique fondé sur un objectif clair : la lutte contre les inégalités.
Et travailler à plus de mixité sociale comme je le dis dans mon livre, c’est porter un projet de société où chacun.e trouve sa place à l’école dans une altérité, où l’éducabilité de chaque jeune reste une certitude et où l’Autre est vécu comme une source d’enrichissement personnel à rebours de l’entre-soi et du séparatisme social : c’est l’un des piliers sur lequel les progressistes doivent construire leur projet politique pour les temps à venir.
Le Matin d’Algérie : Quels sont les penseurs qui vous influencent ?
Yannick Trigance : Ils sont nombreux donc je citerai d’abord et avant tout Jaurès, Blum, Ferdinand Buisson et plus près de nous Robert Badinter, formidable personnalité. Et je rajouterai Albert Camus, mon écrivain préféré .
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?
Yannick Trigance : J’effectue actuellement un « tour de France » pour débattre à partir de mon livre de cette question centrale de la mixité sociale et scolaire.
Ces rencontres permettent de maintenir ce sujet au cœur de l’actualité immédiate dans époque de « zapping ».
Et puis je pense à un second ouvrage sur le thème de l’éducation.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Yannick Trigance : Un grand merci au « Matin d’Algérie » de me donner la possibilité de parler de ce sujet dont l’enjeu est absolument crucial pour les générations d’aujourd’hui et de demain !
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livre publié :
Mixité sociale et scolaire: quels leviers pour quel projet ?.
Éditions de l’Aube (Fondation Jean-Jaurès)