Pendant près de 40 ans, Youcef Abjaoui a chanté l’amour sous toutes ses coutures. Ses odes à la passion sont aussi nombreuses que variées. Il a aussi chanté en arabe algérien, essentiellement du chaâbi. Le titre « La faute d’yali » a été réinterprété avec cocasserie et une instrumentalisation moderne par notre gourbi-rocker Cheikh Sidi-Bémol, sans que ne soit fait référence à l’artiste !?
Parmi ses incontournables succès, citons « L’kass n’crab » (le verre de vin), « Yeguma wul » (le cœur se refuse), « Tiṭ d wul » (l’œil et le cœur) et « A yabrid yettawin ar tadart anda lulaɣ » (ô chemin qui mène vers le village où je suis né).
Comme tous les artistes de sa génération, le thème de l’exil le happe dès ses premiers pas en France, avec, entre autres, « Acu i yibwin » (qu’est-ce qui m’a pris) dans lequel il fait le bilan de sa vie, reprochant au tout puissant de l’avoir chassé de la terre de ses ancêtres. Tout un programme qui se transmet d’une génération à la suivante d’exilés, et que nous pourrions tous reprendre à notre compte, nous qui avons les pieds ailleurs et le cerveau constamment suspendu au-dessus des collines de Kabylie !
Il est intéressant de noter l’interprétation en Kabyle de la chanson d’origine latino « Qisas qisas » (Ichar ezzin), que de nombreux arabophones ont repris en « Chahiyet Laayani ».
Signalons enfin qu’en 1990, Y. Abjaoui n’a pas hésité à rendre un vibrant hommage à Matoub Lounes pour lui apporter son soutien à la suite du mitraillage dont il avait été victime de la part d’un gendarme agité qui s’était acharné sur Lounes, déchargeant sur lui tout un chargeur de mitraillette, le 09 octobre 1988 : « Qim kan qim ».
Biographie
De son vrai nom Mohand-Arezki Aliouche, Youcef Abjaoui est né le 16 décembre 1932 à Aït Allouane (Akfadou).
Comme tous les artistes de sa génération, dès son jeune âge, il se donne corps et âme à la musique. Il est repéré par Cheikh Sadek Abdjaoui qui lui donne la chance de faire reconnaître son talent sur les ondes de radio Soummam qui émettait déjà dans les années 1940.
Il enregistre son premier disque en 1958 à Alger. Un disque dans lequel il évoque la vie et ses aléas. Un ouvrage qui lui permet d’intégrer l’orchestre de Amraoui Missoum en tant que chanteur-compositeur et musicien. Il maîtrisait aussi bien le mandole que la guitare sèche.
Pendant les dernières années de la Guerre d’Algérie, il rejoint la troupe de Farid Ali avec lequel il entame une tournée dans de nombreux pays d’Europe. « Les uns font la guerre avec des fusils, moi je la fais avec ma guitare », s’aimait-il à répéter. Un objecteur de conscience de première heure, en somme.
À l’indépendance, il rentre au pays où il devient responsable d’un orchestre de variétés kabyles à la Radio Chaîne II. Et ce, jusqu’en 1969. Cette année-là, il décide de repartir en France où il poursuivra sa carrière.
Gravement malade, Youcef Abdjaoui meurt dans un anonymat sidéral à Paris, le 24 octobre 1996, laissant derrière lui un héritage riche d’une cinquantaine de chansons, avec un répertoire qui comporte des thématiques qui englobent l’exil, l’amour, et les aléas de la vie.
Pour lui rendre hommage, nous vous proposons les titres « Iguma wul » et « L’kass n’crab » ainsi que la traduction des premiers couplets de chacun des titres.
« Iguma wul » le cœur se refuse
Mon cœur se refuse à t’oublier
Il ne t’oubliera jamais
Oh lune d’étoiles entourée
Oh lune d’étoiles entourée
Ton image ne veut pas s’effacer
Elle ne s’effacera jamais
En ma chair elle s’est installée
Mon cœur refuse de t’oublier
Avec toi que de beaux jours passés
Oh colombe porte lui mon salut
Stp porte lui mon salut
Ô toi la prunelle de mes yeux
« L’kass n’crab » Le verre de vin
En levant mon verre de vin
Ton visage m’est apparu
Quand j’ai bu, il a disparu
Je t’ai cherchée à en perdre la raison
Si je m’enivre à déraison
Je ne suis pas atteint de folie
Soulagez-moi mes amis
De cette injustice que je subis
Kacem Madani