19 avril 2024
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5 octobre 1988 : la révolution confisquée !

TRIBUNE

5 octobre 1988 : la révolution confisquée !

La répression des manifestations d’octobre 1988 a fait 500 morts, selon certaines sources. Officiellement il y a eu 169 morts.

La révolte du 5 octobre 1988, c’est l’histoire d’un archer qui a été dévié de sa trajectoire pour ne pas atteindre la cible pour laquelle il a été destiné. 

Première en Afrique et dans le monde arabe, cette révolte a permis de déverrouiller le champ politique et médiatique dans le pays, mais s’est malheureusement fourvoyée sur la question de l’islamisme politique, puisque, au nom de l’article deux de la constitution algérienne, stipulant que l’islam est la religion de l’Etat, le FIS et d’autres partis islamistes ont invertis ostensiblement l’espace politique. Si le pouvoir, confronté à une vague d’impopularité indescriptible, n’a eu d’autres choix que d’amorcer des réformes touchant l’ensemble des secteurs névralgiques du pays, il est resté foncièrement opposé au principe de la démocratie telle qu’elle se traduit dans les sociétés modernes, dotées d’un état fort et d’institutions républicaines. 

L’insurrection du 5 octobre 88 n’a pas été un chahut de gamins, comme certains politiques ont voulu, à l’époque, nous le faire croire. Cette révolte a coûté la vie à des centaines de jeunes, froidement assassinés par les soldats sous le commandement du général Khaled Nezzar, désigné par le président Chadli Bendjedid pour le maintien de l’ordre dans le pays.

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Les arrestations massives d’opposants politiques ainsi que le recours systématique à la torture ont été alors largement répondues. Le meurtre organisé et la répression dans le sang de toute révolte populaire sont un atavisme qui remonte à l’époque de la prise de pouvoir par le clan de Oujda.

Le pouvoir, au sortir de cette révolte citoyenne, a volontairement occulté la question fondamentale du projet de société pour lequel des vies ont été sacrifiées, et à travers lequel allaient être posés les principes fondateurs d’un état nouveau, voire d’une nouvelle république.

Alors qu’aucune justice n’a été rendue aux victimes de cette tragédie, et que le pays est confronté à l’inflation, le chômage galopant et la baisse drastique du pouvoir d’achat, les dirigeants de l’époque se sont empressés de livrer le peuple dans la gueule féroce de l’islamisme politique et des dérives idéologiques de la religion.

La légalisation du FIS et l’immobilisme politique par lequel Chadli Bendjedid et son Premier ministre Mouloud Hamrouche ont géré le pays, pendant que Ali Belhadj inondait les mosquées et les places publiques de ses prêches incendiaires à l’encontre de la démocratie, sont autant de preuves que ce pouvoir ne croyait pas plus que ça à la démocratie que son rejeton, le Front islamique du salut.  Pires que ça, Chadli Bendjedid et Mouloud Hamrouche pensaient pouvoir domestiquer la bête islamiste, la dompter pour qu’elle devienne l’arme grâce à laquelle ils abattraient les démocrates et la démocratie.

C’est dans les slogans du FIS, restés inchangés, de sa création jusqu’au dernier jour de sa dissolution, que l’on pouvait déduire, sans équivoque, le caractère totalitaire de ce parti « Dawla islamiya, pour elle nous vivrons, pour elle, nous mourrons et, pour elle, nous atteindrons Dieu », Ali Benhadj, le numéro deux du parti, affirmait que le multipartisme était inacceptable du fait qu’il résulte d’une vision occidentale « il n’y a pas de démocratie parce que la seule source de pouvoir, c’est Allah, à travers le coran, et non le peuple. Si le peuple vote contre la loi de dieu, cela n’est rien d’autre qu’un blasphème » 

Dans le même ordre d’idée, Ali Belhadj entérinait, définitivement, sa volonté d’en finir avec la démocratie en la déclarant étrangère à la maison de Dieu « Il n’y a pas de démocratie en islam. La démocratie est Kofr » 

Que fallait-il plus que ça pour opérer le sursaut républicain auquel la société civile s’attendait ? Ni Chadli ni Hamouche n’ont voulu voir, dans les propos belliqueux des dirigeants du FIS à l’encontre de la démocratie, une atteinte à la liberté, une embuscade contre la république.

Alors que les diatribes enflammées d’Ali Belhadj sont proférées de façon récurrente et bien avant l’enclenchement des premières élections locales, le pouvoir s’est refusé le devoir de sauver la république des mains de l’islamisme politique. Chadli Bendjedid est allé jusqu’à recevoir Abassi Madani et Guemazi au siège de la présidence, pour les rassurer de l’entière camaraderie de l’état dans l’œuvre qui allait préméditer l’assassinat de la démocratie : l’accès du Front Islamique du Salut au suffrage universel. Là était l’erreur, irréversible et implacable!

Le point de non-retour a été atteint à ce moment de basculement du pays dans un processus électoral piégé par la présence d’organisations politiques anti démocratique, et miné par un pouvoir qui pensait se sortir vainqueur d’un scrutin dont il n’avait pas coutume d’organiser et qui, autant pour lui que pour le FIS, devait conduire à l’anéantissement de la démocratie.

Le discours religieux a alors gagné sa première bataille contre le discours politique. Si le pouvoir comptait sur un changement dans la continuité, les résultats de ces élections locales ont été d’un désaveu sans commune mesure, puisque le FIS a raflé la quasi-totalité des APS et des APW du pays, y compris celles des grandes villes.

Comment a-t-on pu passer en quelques mois d’une première victoire contre le parti unique et la dictature qu’il incarnait à cet état de mort de la démocratie ? Jean Pierre Vernant, historien et résistant de la Deuxième Guerre mondiale, a raison de dire qu’on ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages. 

Nous connaissons la suite des évènements ainsi que toutes les autres batailles gagnées par le FIS, en premier lieu celle qui a servi à organiser et structurer  la société civile: du panier islamique pour nourrir les plus démunis, jusqu’aux mosquées pour domestiquer les voix pour lesquels ils seraient redevables devant Dieu le jour du vote. 

Dans la perspective des élections législatives prévues en juin 1991, l’ultime bataille que le FIS, fort de ses nombreuses mairies gagnées lors des élections locales, allait devoir livrer pour asseoir son pouvoir sur l’ensemble des institutions politiques du pays, Mouloud Hamrouche et Chadli Bendjedid, entêtés à vouloir sauver le régime, vont modifier le découpage électoral pour garantir le maintien du FLN au pouvoir. Le FIS a alors ordonné la grève insurrectionnelle à la suite de quoi est tombé le gouvernement de Mouloud Hamrouche .

Sid Ahmed Ghozali, qui a remplacé Mouloud Hamrouche à la tête du gouvernement, lui aussi pris dans le même trublion arithmétique de découpage électoral , s’est buté au refus total du parti au pouvoir, le FLN.  Ce dernier, dans sa logique de compromis et de compromission avec les islamistes, espérait garder la mainmise sur le pouvoir, mais cela n’a fait que précipiter le pays dans le bourbier insurrectionnel dans lequel il se débattait.

Face au très attendu raz-de-marée du FIS au premier tour des législatives de décembre 1991, annonçant la mort probable du régime, après trente années de règne sans partage, Chadli Bendjedid est poussé à la démission par le ministre de la Défense Khaled Nezzar. Ce dernier, pour la deuxième fois après les massacres du 5 octobre 1988, a repris les rênes du pouvoir. Le processus électoral est alors interrompu au prix d’une guerre civile qui a coûté la vie à plus de deux cent mille Algériens. Tout cela pour que le clan de Nezzar, après l’assassinat de Mohamed Boudiaf et les insoutenables massacres commis lors de la décennie noire, trouve dans le personnage sulfureux de Bouteflika l’homme providentiel qui allait travestir l’histoire, amnistier les criminels de guerre, et achever l’instauration de l’Etat de non-droit dans lequel nous y sommes encore aujourd’hui. 

Auteur
Mohand Ouabdelkader  

 




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