21 novembre 2024
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Samia Ziriat Bouharati : « Connaître l’histoire pour comprendre le présent »

Samia Ziriat Bouharati était l’invitée de l’écrivain journaliste Youcef Zirem au café littéraire parisien de l’impondérable pour parler de son livre « Lettres d’un prisonnier de la guerre d’Algérie », de Derradji Bouharati, paru chez les éditions L’Harmattan.

Youcef Zirem a su conduire la discussion avec art et justesse comme à son habitude, Samia Ziriat nous a ému et bouleversé tout au long de l’échange laissant le public au bord des larmes. C’est un livre témoignage qui rassemble une série de lettres envoyées par Derradji Bouharati à sa femme l’amour de sa vie et à ses enfants, des geôles coloniales et des geôles de l’Algérie indépendante où il était emprisonné.

Ces lettres témoignent d’une époque écorchée, d’abord celle coloniale sous le joug des français et celle postcoloniale sous le joug de la dictature installée par l’Algérie indépendante. Samia Ziriat rend ainsi un vibrant hommage à son père en publiant ces lettres d’une force inouïe, poignantes, remplies de larmes et d’espoir.

Ces lettres sont un hymne à l’amour et à la liberté. Page après page, lettre après lettre, on se sent proche de cet homme à l’incroyable destin, on saisit le sens de sa douleur et de sa déchirure en partageant le poids de son sacrifice pour la lutte pour l’indépendance.

En 1962 l’indépendance est là, arrachée, on respire enfin, mais le souffle devient court, en 1963 Derradji Bouharati alors maire d’Hussein Dey, sacrifiant cette fois sa position confortable pour cet idéal de liberté qui ne l’a jamais quitté, rejoint Hocine Ait Ahmed et le Front des forces socialiste, un parti d’opposition qui venait d’être créé pour lutte contre la dictature de Ben Bella et Houari Boumediene.

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Derradji Bouharati sera arrêté sur dénonciation en 1964. Le destin s’emmêle une nouvelle fois et c’est à la prison de Berrouaghia qu’il est détenu, là où il a passé six ans dans l’humiliation et la torture à l’époque coloniale, mais cette fois, il est emprisonné par les siens.

L’histoire douloureuse, émouvante de Derradji Bouharati, son combat, ses convictions, son sacrifice, son idéal de liberté, suscite bien des espoirs aujourd’hui.

Le Matin d’Algérie : Votre livre « « Lettres d’un prisonnier de la guerre d’Algérie », de Derradji Bouharati, est bouleversant, c’est un bel hommage que vous rendez à votre père en publiant ces lettres, qui est Samia Ziriat Bouharati ?

Samia Ziriat Bouharati : Généralement quand on nous demande de nous présenter, on commence par décliner notre identité à travers notre statut social, du genre tels que la fonction ou le métier, qui ne sont qu’une infime facette de notre personnalité.

Pour ma part je dirai, je suis Samia Ziriat Bouharati née à Alger, en 1966, à El Mouradia, dans ces années troubles de l’indépendance, au moment où après cette phénoménale euphorie de liberté, succèdera un climat dont je porte, à travers mon histoire familiale, encore les stigmates.

Le Matin d’Algérie : Il faut du courage pour publier ces lettres très intimes mais si précieuses pour l’histoire, comment avez-vous pu dépasser le poids des tabous, de la tradition et des coutumes ?

Samia Ziriat Bouharati : À aucun moment je n’ai senti avoir transgressé quoi que ce soit, pour me dire que j’allais dévoiler l’histoire intime de ma famille, en publiant des lettres amoureuses de mon père qu’il a adressées à ma mère pendant sa longue incarcération.

Comme vous le soulignez, je n’avais pas conscience de la préciosité de ce que je dévoilais, car sont-ils nombreux ces prisonniers de cette guerre d’Algérie qui ont écrit à leurs femmes, ou compagnes de telles lettres ?

Le Matin d’Algérie : Votre livre est un hymne à l’amour, à la liberté, mais il interroge aussi sur le sens du sacrifice de soi pour un idéal, il offre ainsi plusieurs lectures, qu’en pensez-vous ?

Samia Ziriat Bouharati : Oui tout à fait, ce livre justement permet de prendre conscience d’une chose essentielle, qu’au-delà du sacrifice pour des valeurs suprêmes telle que la liberté, ou la poursuite d’un idéal, le moteur intrinsèque qui fait que l’homme peut dépasser sa peur, braver les pires dangers, subir les pires atrocités, c’est l’amour, l’amour de Dieu, l’amour d’un homme pour une femme ou vice versa, l’amour d’une patrie, l’Amour l’antidote de la peur.

Le Matin d’Algérie : Écrire c’est guérir, quel est votre avis ?

Samia Ziriat Bouharati : Le basculement vers de nouveaux paradigmes, vers ce monde nouveau monde, où on nous impose l’immatérialité, les liens virtuels, ce monde que nous-mêmes, hommes et femmes nous ne choisissons pas, mais que nous subissons comme des consommateurs dociles, risque de nous déshumaniser car nous ne sommes plus en capacité de prendre de recul sur quoi que ce soit, entre autres, pour lire, pour écrire, pour guérir.

Il faut savoir que cet acte simple de l’écriture (aligner des mots, des phrases, exprimer des émotions, des sensations) nous ramène à l’instant présent, et ce que nous sommes en train de perdre, tellement déboussolés par l’avalanche, le tsunami d’une tonne quotidienne d’infos, de faits divers, qui sont là pour nous distraire, nous rendant ainsi incapables de toute pensée structurée, constructive.

Le Matin d’Algérie : Un mot sur votre association

Samia Ziriat Bouharati : L’association s’appelle Origin’ALcomme origine algérienne, créée en 2003, à l’occasion de l’année de l’Algérie en France. Elle est basée dans le Val de Marne, à Bonneuil-sur-Marne.

Son but, promouvoir les valeurs de nos origines, pour dépasser les clichés réducteurs, le travail mémoriel, pour une coopération équilibrée franco-algérienne

Le Matin d’Algérie : Quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?

Samia Ziriat Bouharati : Je suis de par ma nature, une optimiste invétérée, on dit qu’il faut connaître l’histoire pour comprendre le présent, mais surtout penser l’avenir et se projeter.

Un pays comme l’Algérie qui a subi l’une des plus cruelles colonisations, pendant une si longue période, minée dans ses profonds soubassements et repères identitaires, a par miracle, enfanté une génération qui a cru en elle pour mettre en échec l’une des plus grandes puissances de ce monde.

La graine de cette génération ne mourra jamais.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?

Samia Ziriat Bouharati : À titre personnel, j’aimerais continuer à écrire, cette fois-ci une autobiographie, dont le titre est déjà choisi : Adieu Tristesse, je souhaite présenter ce livre lors du prochain salon du livre d’Alger.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Samia Ziriat Bouharati : Je suis très contente d’avoir eu à répondre à cette interview, dont les questions ont fortement résonné en moi, des questions justes et précises, je recommande après l’écriture, la thérapie par l’interview mais de qualité comme celle-ci, je vous remercie.

Entretien réalisé par Brahim Saci

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