Les temps sont durs pour la liberté ou les libertés en Algérie. On ne peut désormais rien dire ou presque. La chape de plomb s’abat sur le pays. Que dis-je ? Voilà quelques années que c’est déjà ainsi.
L’argument est évidemment rôdé, l’antienne est connue, vieille comme le monde, elle brave le ridicule et le dérisoire : la souveraineté. L’opinion, la libre pensée, la moindre différence est désormais frappée du sceau de l’anathème. La dignité humaine, elle, n’en parlons même pas. Toute parole dissonante attente à l’ordre, aux constantes, à la pensée une et uniforme.
Après la répression féroce du Hirak, « la bête » a repris du poil de la bête. L’idéologie-État rafistolée et remise au goût du jour de la multitude, une sorte de doctrine ratatouille qui fait système pour ainsi dire, allant du conservatisme social, à l’arabo-islamisme, le tout touillé dans le chaudron passe-partout de la mémoire, l’autoritarisme s’assume et se bonifie.
En l’espace de quelques mois, la censure bat son plein, les auteurs et les éditeurs sont les ennemis à traquer, toute île du possible dans le naufrage du multiple est suceptible de causer la fissure.
Entre les éditions Koukou, Tafat, Frantz-Fanon et autres, entre Houaria et Houris, l’argument de la souveraineté est ressorti à la moindre voix dissonante. Et l’on se demande qui traque-t-on en vérité ; les livres ou les auteurs, les écrivains ou les personnes, les éditions ou les éditeurs ?
À Houaria d’Inaam Bayoud, roman écrit en langue arabe, on a reproché la débauche, le libertinage, la subversion dans une société aux mœurs que l’on vante comme irréprochables. L’édition a dû fermer ses portes de crainte de subir le courroux de la foule.
Depuis le Goncourt de Kamel Daoud, on ne sait plus à quel saint se vouer. Qui condamne-t-on ? Houris, Kamel Daoud ou même son épouse ? Que reproche-t-on au roman ? Sa dimension biographique ? D’avoir remué le couteau dans la plaie de la blessure nationale enfouie sous les mille strates de l’amnésie décrétée ? D’avoir battu sa première épouse et dérobé le secret médical à sa deuxième épouse ? Ou d’avoir des accointances avec une certaine idéologie en France ?
On peut être d’accord ou en désaccord avec le contenu d’un livre, on peut aimer ou ne pas aimer l’œuvre littéraire ou la personne, mais je ne me souviens pas qu’un roman ait suscité une polémique d’une telle ampleur.
Doit-on demander autorisation pour chaque livre à écrire, texte à publier, message à partager, phrase à prononcer ? Est-ce l’Inquisition version État-nation ?
Quelques jours plus tard, après avoir tenu des propos, disons-le, aussi risibles qu’infondés, Boualem Sansal est interpelé à la douane, interrogé et mis en prison. Au risque de me répéter, il a tenu des paroles qui reposent, historiquement, sur du vent, mais mettre un gars en prison pour une opinion, n’est-ce pas ce qui devrait plutôt nous interpeller ? Ce sont les criminels qu’on met en prison et non les auteurs d’une opinion qui ne touche en rien la dignité d’une quelque personne, non ?
Est-ce que Boualem Sansal a tenu des propos blessants ? Peut-être a-t-il blessé en effet des gens, mais sans doute pas dans leur dignité et amour propre. D’ailleurs, une opinion, oui, peut blesser ; en démocratie, l’espace public est aussi « l’espace de la blessure », je veux dire l’espace où l’on n’entend pas uniquement les choses qui font plaisir ; où l’on peut donner la contradiction, critiquer, remettre en cause, douter, rejeter, ne pas plaire sans encourir le risque d’être pendu ; bref, on n’a pas trouvé mieux que la démocratie pour que cohabitent nos identités.
Jadis, on en venait aux armes, alors que désormais, en démocratie, on a inventé l’espace citoyen pour discuter, débattre, échanger…
En vérité, c’est mettre en prison pour une idée qui est la chose grave, dangereuse, digne d’une époque que chaque Algérien croit définitivement révolue quand le pays officiel croyait encore que ses habitants étaient sa « chose ».
Personne n’a le droit d’empêcher un homme ou une femme d’aller chez lui, de visiter sa terre natale ou d’y vivre pour le simple fait qu’il ne partage pas la pensée du discours officiel.
Je ne comprends pas tous ces intellectuels, ces journalistes, écrivains et chroniqueurs connus qui trouvent qu’emprisonner Boualem Sansal est chose normale, voire un devoir de la nation, quand bien même il a tenu les propos qui sont les siens, alors que les mêmes personnes, partant de leur point de vue, peuvent être emprisonnés demain ou auraient dû déjà être emprisonnés pour les opinions qu’ils expriment quotidiennement.
L’opinion, je parle des mots qui expriment une pensée sans atteindre la dignité et l’honneur d’une personne, ne doit jamais, mais alors jamais, mener en prison. C’est là la frontière qui sépare un État de droit qui respecte justement la dignité humaine de celui qui s’en soucie peu ; ici est la lisière qui différencie un État pour qui les hommes et femmes sont des citoyens qui ont des droits et des devoirs de celui pour qui les hommes et les femmes sont un bien, un État comme un seigneur qui doit être obéi au doigt et à l’œil.
Je persiste et signe, ces gens qui disent que l’auteur du Village de l’Allemand ou de 2084 n’a eu que ce qu’il mérite pour les propos qu’il a tenus sur l’Algérie, quand bien même faux et à vrai dire un peu « ahurissants », doivent savoir que si une opinion mène en prison dans un pays, cela veut tout simplement dire que n’importe quelle opinion peut aussi y mener, à commencer par les leurs, et ce, sur n’importe quelle question.
Sous prétexte d’atteinte à la sûreté ou souveraineté de l’État, on peut criminaliser la moindre pensée différente de celles constituant la rhétorique officielle. On peut, dès lors, mettre en prison quiconque émet une critique sur l’école, sur le gouvernement, sur nos politiques, sur l’histoire ; bref, sur tout.
Le respect de l’Algérie est d’abord le respect des Algériens, de ceux qui ont bâti et ce sont sacrifiés pour ce pays, des gens qui y habitent aussi différents soient-ils. Parce que, oui, il y a une seule Algérie géographiquement et politiquement, mais il y a plus de 45 millions Algériens qui sont autant de singularités que de regards sur le monde, et d’opinions donc.
L’Algérie est un continent. Géographiquement et humainement. Aucune caserne ne peut contenir sa multiplicité. Or, ceux qui emprisonnent des gens pour des opinions, même infondées, intenables, mensongères… pensent le pays comme une légion de soldats et les frontières comme une muraille qui ceint l’immense caserne.
L’Algérie est un pays souverain, riche de son histoire plurimillénaire, mais il est une terre aussi, et la terre est de la nature ; or, l’essence de la nature est la différence, le multiple, le mouvement, la cohabitation permanente des singularités.
Autrement dit, la liberté de s’exprimer, la liberté de conscience et de religion, la liberté d’aller et de circuler dans son pays, de vivre sur la terre de ses ancêtres, ce sont des libertés qui nous viennent de la nature et non d’un État. Du reste, qui n’a jamais déjà émis une opinion contraire au discours officiel ?
Faut-il rappeler que les centaines de détenus d’opinion, qui croupissent dans les prisons, séparés de ce qui leur est le plus cher au monde, n’ont commis aucun crime ; ils ont juste rêvé d’une Algérie meilleure qui assume tous ses enfants, ils ont juste dit, marché ou écrit sans blesser personne, sans porter atteinte ni à l’État ni à des personnes.
Ce qui est inquiétant dans l’histoire, ce n’est pas l’opinion de l’un ou de l’autre, mais ce recul terrifiant des libertés, cette uniformisation de plus en plus assumée qui tue le rêve démocratique en Algérie.
Louenas Hassani, écrivain
Mais qu’est que vous nous faites-là ? Qui dit le contraire ? Il vous fallait juste ajouter au début de votre titre : « « Dans un monde idéal, et en théorie seulement ……. »
A vous lire on croirait que nous sommes tous issus d’une société libertine. Et encore si ce n’était pas les kabi-chous issoufoughène si tejma3t qui défendent Sansal à la rigueur je compatirais, mais là c’est trop !
La culture , la tradition, la religion, plaident unanimement contre vous dans ce procès bessah la liberté d’opinion par-ci, la liberté d’opinion par-là, comme si dgha desah nous ne sommes pas nés dans une société totalitaire castratrice de doute velléité d’individuation. On ne peut pas tout dire chez nous que ce soit dans la famille, dans la société, et dans les livres. Et même tout seul dans la forêt.
Sinon dites-moua pourquoi il y a un Modérateur chaylellah bourhanouhou au Matin-Dized ?
Qu’est ce que vous prêchez de mieux que la constitution algérienne ?
Le peuple algérien est un peuple libre, décidé à le demeurer (préambule de la constitution )
Art. 48. — Les libertés d’expression, d’association et de réunion sont garanties au citoyen.
Art 44-La liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique est garantie au citoyen. Les droits d’auteur sont protégés par la loi.
Art. 50. (nouveau) — La liberté de la presse écrite, audiovisuelle et sur les réseaux d’information est garantie. Elle n’est restreinte par aucune forme de censure préalable. Cette liberté ne peut être utilisée pour attenter à la dignité, aux libertés et aux droits d’autrui. La diffusion des informations, des idées, des images et des opinions en toute liberté est garantie dans le cadre de la loi et du respect des constantes et des valeurs religieuses, mo-rales et culturelles de la Nation.
Le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté.