Quelles dynamiques politiques et sociologiques permettent la longue vie des régimes autoritaires malgré leur déconnexion des aspirations populaires ?
Cette interrogation invite à examiner les mécanismes de cohésion et de stabilité qui définissent un pouvoir autoritaire solidement ancré dans une structure hiérarchique prédéfinie.
Elle invite à explorer cette alchimie singulière qui cimente ces systèmes et pousse les individus à renoncer à toute éthique et morale, à délaisser l’intérêt général pour se plier aux exigences d’une caste dirigeante, et à accepter de devenir de simples rouages d’un système totalitaire.
Quelle est donc cette force quasi-envoûtante qui incite chacun à obéir, servir et respecter un ordre antidémocratique, en sacrifiant l’intérêt et les causes collectifs sur l’autel des ambitions personnelles et des aspirations égocentriques, tout en se laissant dévoré par un égoïsme vorace ? Est-ce la peur, l’habitude, ou une adhésion profonde à une idéologie, qui cimente cette obéissance et cette inertie collective ?
Pourquoi la violence légitime est-elle mobilisée pour porter protection à un pouvoir qui confisque la souveraineté du peuple, alors même que, dans certains cas, des subordonnés se servent de cette même violence contre les détenteurs légitimes de l’autorité pour préserver leurs privilèges
Quels sont, à cet effet, les leviers capables de contrecarrer la confiscation de la souveraineté populaire, l’accaparement des richesses nationales et la suppression des libertés fondamentales ?
Existe-t-il, au-delà de la mobilisation populaire, des mécanismes efficaces pour dissuader l’usage détourné de la violence légitime par l’Etat pour réprimer les tentatives de réappropriation de la souveraineté par le peuple ?
L’alchimie à l’origine de ces dynamiques semble résulter d’un savant cocktail d’une école gangrénée par l’idéologie obscurantiste, d’un vide culturel profond et d’un huis clos qui nous éloigne des évolutions de l’humanité. Un cocktail toxique, composé d’ignorance, de perversion des valeurs, de soumission aux bienfaits matériels et de quête d’enrichissement illicite nourrit cette soumission généralisée.
De surcroît, la fermeture politique en vigueur n’autorise pour des citoyens en proie à une crise économique et sociale que la poursuite d’intérêts individuels, qui toutefois ne peuvent être que chimériques tant que les intérêts collectifs sont occultés.
Les réponses à ces questionnements permettent de mieux comprendre les dynamiques profondes d’un système politique qui a marqué l’histoire contemporaine de l’Algérie. Dès l’aube de l’indépendance, l’état-major de l’armée de l’extérieur a écarté les instances légitimes issues de la révolution pour s’emparer du pouvoir par la force. Cet acte fondateur a marqué un tournant autoritaire décisif, rompant avec les idéaux démocratiques portés par le mouvement national. Ainsi, l’Algérie postindépendance s’est inscrite dans le cercle des régimes totalitaires.
Au fil des décennies, les pouvoirs successifs ont adopté des constitutions pour afficher une façade de conformité avec les normes internationales. Ces textes fondamentaux, loin de garantir un véritable État de droit, ont souvent servi d’instruments de légitimation internationale pour le régime, tout en maintenant la population dans un état de soumission.
Chaque fois que les intérêts des décideurs entraient en conflit avec les principes constitutionnels, ces derniers ont été modifiés ou contournés, illustrant un refus systématique de subordonner le pouvoir politique à l’autorité du droit.
Dans son essence, la constitution est censée fonder l’État de droit, organiser les pouvoirs publics et fixer les principes régissant le fonctionnement de l’État. Elle confère à juste titre l’autorité suprême à celui qui occupe le sommet de la hiérarchie institutionnelle. Cependant, le pouvoir suscite des convoitises, une inclination intrinsèque à la nature humaine, qui font que l’autorité politique n’est pas toujours exercée par ceux à qui en incombe légalement la charge.
Dans les régimes démocratiques, le pouvoir civil prévaut grâce à sa légitimité issue du peuple. Cette légitimité, qui confère une autorité nettement au-dessus que celle que confère l’attribue de dépositaire de la force légitime de l’Etat, constitue un rempart contre les coups de force, tout en assurant une stabilité durable.
L’histoire présente offre des exemples probants, comme en Turquie et en Russie. En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a su mobiliser les citoyens pour déjouer une tentative de coup d’État en 2016. De même, en Russie, Boris Eltsine a contrecarré un putsch en 1991 grâce à une mobilisation populaire massive. Ces cas illustrent comment la légitimité démocratique renforce la résilience des systèmes politiques, en les protégeant contre les velléités autoritaires.
A l’inverse, dans les régimes autoritaires ou dictatoriaux, où la succession au pouvoir est souvent chaotique et régie par des logiques claniques, le déficit de légitimité affaiblit l’autorité légale du pouvoir civil. Ce pouvoir civil est alors un enjeu de rivalités et de luttes intestines. Un antagonisme latent ou explicite menace constamment de surgir entre le pouvoir politique constitutionnel, les clans influents et les institutions chargées de contrôler les instruments de coercition. Ces institutions, incluant tous les organes garants de l’usage légitime de la violence étatique, jouent souvent un rôle prépondérant dans l’équilibre des pouvoirs.
Les tensions autour de l’exercice du pouvoir, caractéristiques des régimes autoritaires, se manifestent différemment selon le pays, le niveau politique des dirigeants, leurs sens des responsabilités, la disponibilité des ressources, et le contexte international prévalent. Ce dernier exerce une grande influence sur les dynamiques internes des régimes en place.
En présence de ces affrontements larvés, l’ordre constitutionnel, censé être le socle de la légitimité et de la stabilité, se réduit souvent à un cadre formel, dépourvu de véritable autorité.
Dans ces contextes, le détenteur légal du pouvoir, désigné par les dispositions constitutionnelles, n’est pas nécessairement celui qui exerce l’autorité politique réelle. Le véritable pouvoir peut résider parmi ceux qui contrôlent les leviers de la coercition ou les cercles décisionnels informels.
En conséquence, identifier le détenteur réel du pouvoir devient une tâche complexe. Il ne suffit pas de se référer aux textes constitutionnels, souvent instrumentalisés ; il est impératif d’analyser les modifications qui leur sont imposées. Les changements constitutionnels sont révélateurs des luttes de pouvoir et des conflits d’intérêts au sein des dirigeants et ils sont les témoins privilégiés des dynamiques internes, des repositionnements clientélistes et des compétitions pour le contrôle de l’autorité politique.
Cet antagonisme, qu’il soit explicite ou latent, plonge malheureusement le pays dans une instabilité chronique. Il entraine l’érosion de l’Etat de droit, par la dilution des responsabilités et l’opacité des mécanismes de décisions, tout en empêchant l’élaboration d’une vision politique cohérente à moyen et long terme. Aussi, l’autorité de la loi est fréquemment détournée, même par les agents des échelons les plus bas de l’Etat, au profit d’intérêts individuels.
Dans des cas extrêmes, les conflits de pouvoir au sein des régimes autoritaires se soldent par une rupture brutale qui débouche sur la prise de pouvoir par la force, souvent au profit de l’institution militaire. Cela se traduit parfois par l’instauration d’un régime militaire, où l’armée s’arroge directement le contrôle de l’État, ou par l’entremise d’instances dites de transition que l’on nomme par des euphémismes enchanteurs, mais qui lui soient totalement subordonnées.
L’absolutisme présidentiel, caractéristique de ces régimes, combiné à l’enchevêtrement des pouvoirs concentrant trop de pouvoir entre quelques mains, joue le rôle de catalyseur.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la légitimation de l’autoritarisme par la Russie sous couvert de spécificités culturelles procure un sentiment accru de sécurité face aux pressions internationales, qui a contribué à une cascade de coups d’Etat, en particulier en Afrique subsaharienne.
Le chef suprême, artisan des structures qui ont écrasé l’intelligence collective, constate amèrement, une fois déchu, que le système ne protège pas et découvre avec stupeur l’indifférence de la population face à son sort. Le désaveu s’explique par l’absence de légitimité réelle des élections, réduites à des simulacres reposant sur un système de clientélisme politique.
Dans des démocraties dites « de façade », l’accaparement du pouvoir est plus subtil. L’autorité civile demeure en apparence, mais reste sous la tutelle étroite des forces militaires. Avec la bienveillance du préposé à la haute hiérarchie, une entente s’établit alors sur le dos du peuple. A lui les fastes protocolaires, les honneurs liés à la fonction et les innombrables privilèges inhérents, et à eux le pouvoir réel.
Cette tutelle se révèle à travers divers mécanismes, notamment une disparité budgétaire flagrante, où les institutions qui monopolisent les moyens de coercition s’octroient la part de lion. Son accaparement du pouvoir est sournois. Il se matérialise par l’occupation de postes stratégiques au sein de la haute administration publique et des instances de souveraineté ou encore l’immixtion éventuelle dans les instances exécutives.
L’immixtion dans les instances exécutives modifiera profondément la dynamique décisionnelle. En effet, bien que les débats et discussions puissent subsister, la voix des représentants de la force de coercition étatique s’avèrera souvent prépondérante au moment des délibérations. Toute décision contrariant leurs intérêts stratégiques est susceptible d’être écartée sans autre forme de procès. Comme le résumait Staline avec cynisme : « Ce qui compte, c’est le nombre de divisions que vous pouvez aligner. »
Ces dérives mettent en lumière la fragilité des équilibres institutionnels, en particulier dans des contextes où la légitimité et la gouvernance démocratique ne sont pas solidement enracinées. Il en découle que seul un régime démocratique, fondé sur les principes de liberté et d’égalité, est en mesure de protéger durablement un pays des instabilités et des périls que peuvent engendrer ces turbulences autour du pouvoir.
Cependant, dans le contexte de verrouillage politique et face à un régime manifestement réfractaire à toute transition démocratique, le pragmatisme commande de donner la priorité à l’établissement d’un État de droit. Cette étape cruciale, sur le chemin vers la démocratie, nécessite de concevoir des réformes et des mécanismes institutionnels transitoires.
Ce dispositif doit garantir l’autonomie du pouvoir civil, de restreindre l’influence des organes de coercition sur les affaires civiles et de réduire leur rôle dans les processus décisionnels. Il doit aussi être soutenu par une réflexion approfondie sur la séparation des pouvoirs, le renforcement des contre-pouvoirs, ainsi que la consolidation des libertés fondamentales.
Mais, cette stratégie, répondant aux impératifs du salut de la nation, ne saurait se concrétiser sans l’émergence, aujourd’hui très improbable, d’un leader fermement attaché à la souveraineté du peuple, à l’image d’un Salvador Allende, ancien président du Chili. Lui seul serait en mesure d’initier de véritables réformes démocratiques, de mobiliser la population et obtenir son adhésion pour affronter avec détermination les détenteurs de la violence légitime de l’Etat, susceptibles de porter atteinte à ses prérogatives.
En définitive, l’avenir d’une transition démocratique repose sur un juste équilibre entre la volonté populaire, la mise en œuvre de réformes institutionnelles et le leadership engagé à restaurer la souveraineté du peuple.
Hamid Ouazar, ancien député de l’opposition
Mwa, je pense que sans une remise en cause fondamentale du paradigme algérien par la société elle-même (stadir les individus homme et femme), le principe qui en découle « Rien ne se créé. Rien ne se perd. RIEN ne se transforme » ne bougera pas.