22 janvier 2025
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Création artistique : quand Tebboune veut se faire « l’ingénieur des âmes »

Abdelmadjid Tebboune a réaffirmé son « engagement en faveur de la liberté de création artistique » lors de l’ouverture des assises nationales sur le cinéma. Grand bien lui fasse donc s’il croit à ses oracles !  

Car, disons-le tout de suite, nous avons la faiblesse den douter. Pourquoi ? Parce qu’il y a un vrai hic dans cette déclaration. Un problème dde cruelle vérité qui ratrappe son auteur.

Des événements de l’actualité qui ont marqué la scène algérienne durant, au moins, ces cinq dernières années disent le contraire. Ils mettent en évidence la contradiction entre le discours présidentiel et la réalité politique et culturelle dans le pays.

Intolérance accrue envers les opinions dissidentes

En effet, les enjeux de ces déclarations doivent être interprétés sous le prisme de cette réalité. Un contexte dominée par une intolérance marquée à la pensée divergente et autonome : toute critique du pouvoir ou de l’ordre établi peut être perçue comme une menace et doit être réprimée. Le nombre croissant des détenus d’opinion est là pour nous le rappeler.

Une logique illustrée par le harcèlement judiciaire systématique exercé sur les opposants,  les cyberactivistes et les journalistes. 

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L’incarcération arbitraire de Boualem Sansal, les attaques contre le journaliste et écrivain, Kamel Daoud et l’anathème dont a été victime l’écrivaine Inaam Bayoud, pour son roman « Houaria » sont des faits qui illustrent les limites de la liberté littéraire en Algérie et de la liberté d’expression en général. 

Les artistes sont souvent confrontés à des pressions pour conformer leurs œuvres aux normes établies par le pouvoir. Le cas du cinéaste Bachir Derraïs, pour son film Ben M’hidi en est une des nombreuses illustrations. Cela peut se traduire par une autocensure préventive ou par des censures plus directes, comme l’interdiction de certaines œuvres ou la mise en difficulté des artistes qui ne se conforment pas à la règle.

Des salons littéraires sont interdits, des éditeurs sont harcelés et poursuivis en justice. Leur tord est d’avoir une ligne éditoriale jugée subversive et non conforme à la doxa du pouvoir. Les fermetures pour six mois des éditions Frantz-Fanon, un mois pour la librairie Cheikh à Tizi-Ouzou ainsi que l’encerclement et les interdictions que subissent Koukou éditions nous rappellent qu’il y a loin de la coupe aux lèvres entre ce que dit Tebboune et la réalité.

L’autre paramètre qui en impose sur la société en Algérie est le poids des conservatismes. Les courants conservateurs, tant religieux que sociaux, exercent une influence considérable sur la société algérienne et peuvent limiter la liberté de création, notamment en matière d’expression artistique.

Les limites d’une doctrine

Les pratiques en matière de contrôle des arts et de la culture exercées depuis des décennies et leur accentuation maladive depuis 2019 ont  donné lieu à un processus d’étouffement de la pensée.  

La peur de la censure et le manque de moyens ont conduit à une uniformisation des productions de l’esprit. En l’espèce, l’appauvrissement de la création artistique et de la scène culturelle est patent. Face à cette écrasante falaise d’interdictions et censure, de nombreux artistes algériens choisissent de s’exiler pour pouvoir continuer de créer librement.

Mais quid de la fonction subversive inhérente à l’art ?

« Vous avez la liberté absolue dans vos créations artistiques, sauf lorsqu’elles visent l’Algérie », menaçait Tebboune. Cette saillie décline les limites que veut bien accepter Tebboune et le projet esthétique qu’il croit être bon pour l’Algérie. L’impertinence n’a plus sa place, selon Abdelmadjid Tebboune qui se veut l’imam qui dicte ce qui est bon ou pas aux Algériens.

Il y a là donc comme une injonction qui contredit le principe de la liberté de création. Un concept impliquant  la possibilité pour un artiste d’exprimer librement ses idées, ses émotions et sa vision du monde, sans contraintes extérieures.

Dresser des chaînes morales à la création littéraire et artistique même au nom de la nation,  des valeurs patriotiques n’est jamais compatible avec la liberté et le droit à la critique. 

« La préservation de l’image et des valeurs nationales » est un postulat qui pose la sempiternelle question du rôle de l’artiste et de la création artistique en général dans la société. 

 La question est de savoir s’il s’agit-il de faire de l’artiste peintre, du cinéaste, de l’écrivain, du dramaturge un « ingénieur des âmes ». En faire un instrument de « l’agit-prop » au service des ambitions esthétiques du pouvoir politique qui veut  « rééduquer » le peuple pour (re)construire un modèle de l’homme algérien qui soit l’archétype de la chimérique « Nouvelle Algérie » tant vantée par la propagande officielle. Avec cette conception, on macère dans l’Algérie Potemkine.

Samia Naït Iqbal

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