La mémoire des premiers maquis algériens demeure fragmentaire, souvent éclipsée par les grandes narrations officielles de la guerre d’Indépendance. Pourtant, c’est dans le tumulte des montagnes des Aurès-Nememcha, entre gorges escarpées et forêts impénétrables, que s’est levée, en novembre 1954, la première étincelle de l’insurrection.

Raymond Nart, dans son ouvrage Histoire intérieure de la rébellion dans les Aurès – Adjoul-Adjoul, paru le 1er mars 2015 aux éditions L’Harmattan, collection Histoire et Perspectives Méditerranéennes, exhume un témoignage rare : celui d’un homme de terrain, Adjoul-Adjoul, dont le destin bascule au fil des années de guerre et d’épreuves.

Résumé

L’histoire de la rébellion dans les Aurès est ici relatée par l’un de ses acteurs principaux, Adjoul-Adjoul. Combattant de l’indépendance, il est l’un des collaborateurs de Mostefa Ben Boulaïd, Chihani Bachir et Laghrour Abbas. À la mort de Ben Boulaïd, que certains imputent à Adjoul, une véritable guerre de succession s’engage. Le colonel Amirouche tente de faire exécuter Adjoul, qui se place alors sous la protection de l’armée française. Il livrera aux autorités (2e Bureau et DST) un récit d’une valeur exceptionnelle sur ces événements.

Un récit brut du maquis aurésien

Les premiers maquis étaient composés d’hommes déterminés mais livrés à une organisation naissante et tâtonnante, où chaque décision pouvait influer sur l’avenir de la lutte. Adjoul-Adjoul, combattant de la première heure, se hisse rapidement à la tête de la mintaqa de Kimmel, supervisant cinq douars et dirigeant 450 hommes dans une guerre où chaque sentier devient un théâtre d’embuscades et chaque village un enjeu stratégique.

Les premières pages du livre plongent immédiatement dans la complexité de ces engagements, dévoilant les difficultés rencontrées par Adjoul-Adjoul face à l’adversité. Lors de son arrivée à Kimmel, il fait face à une situation chaotique où l’organisation locale est encore balbutiante, avec des problèmes de coordination et des luttes internes.

Ces pages révèlent la gestion pragmatique et parfois impitoyable des ressources humaines, avec un portrait plus nuancé de la guerre, où l’urgence de l’action prime sur la rigueur des idéaux révolutionnaires.

Mais au-delà du combat contre l’armée française, la guerre dans les Aurès-Nememcha fut également marquée par des luttes intestines, des tensions de commandement et des fractures idéologiques qui affaiblirent l’unité du FLN. Ces tensions, exacerbées par l’isolement géographique et la rudesse du maquis, finirent par miner le moral de nombreux combattants.

Un témoignage à double tranchant

Rallié aux autorités françaises en novembre 1956, Adjoul-Adjoul livre son récit devant les services militaires, un témoignage long de 166 pages dactylographiées, complété par un rapport de la DST à Batna. Ces pages d’aveux, souvent ambivalentes, sont marquées par une volonté de se justifier tout en exposant les fragilités du mouvement indépendantiste dans la région. Raymond Nart n’élude pas cette question et aborde avec rigueur l’ambiguïté de ces documents.

Ce témoignage est-il une confession, un plaidoyer, ou le fruit d’un homme accablé par les dissensions internes et le poids de la clandestinité ? Il est, en tout cas, une source brute, rare, qui offre un regard de l’intérieur sur la mécanique parfois chaotique des premiers maquis. Loin de tout héroïsme figé, le récit met en lumière la complexité des engagements, la dureté des choix imposés par la guerre, et l’inexorable solitude de ceux qui, après avoir combattu, se retrouvent exclus de leur propre camp.

Un livre qui interroge l’histoire

Avec cet ouvrage, Raymond Nart ne se contente pas de retranscrire un document d’archives. Il invite à une réflexion sur la construction du récit historique, sur la manière dont se forgent les mythes et sur ces zones d’ombre qui échappent souvent aux grandes fresques officielles.

Après avoir pris connaissance de cet ouvrage fascinant, j’avais envisagé de m’entretenir directement avec l’auteur pour discuter des enjeux historiques et personnels soulevés par son livre. Cependant, l’attaché de presse des éditions L’Harmattan m’a informé avec tristesse que Raymond Nart est décédé. Cette nouvelle renforce d’autant plus l’importance de son travail, qui reste un témoignage précieux pour les générations futures.

Histoire intérieure de la rébellion dans les Aurès s’impose ainsi comme une lecture essentielle pour ceux qui cherchent à comprendre les complexités du soulèvement algérien, loin des visions monolithiques, au plus près du terrain et des hommes qui ont façonné l’histoire.

Djamal Guettala

« Histoire intérieure de la rébellion dans les Aurès – Adjoul-Adjoul » de Raymond Nart

3 Commentaires

  1. Feu le général Hocine Benmaalem avait démenti vigoureusement cette histoire d’intention homicide de Amirouche envers Adjoul Adjoul. Je ne sais pas si on peut donner du crédit aux paroles d’un homme qui s’est rendu à l’ennemi. Cela reste mon point de vue.

  2. Cet article n’apporte rien à la connaissance de la guerre de décolonisation. Amirouche a été en effet appelé à ramener l’ordre dans les Aurès suite à des dissensions locales. Quant au début de la lutte, il ne faut pas oublier que les premiers maquis ont été organisé en Kabylie par Krim Belkacem et que la Proclamation du 1er novembre a été tirée à Ighil Imoula en Kabylie. Sans aucune intention de diminuer le rôle des Chaouis qui a été aussi décisif dans cette guerre.

  3. En fait, Guettala, se basant sur Nart, qui lui même a extrapolé et falsifié les déclarations du Commandant Adjel Adjoul qui était reconnaissant au Commandant Amirouche, futur Colonel de la Wilaya III de lui avoir par deux fois sauvé la vie avec les membres du Commando de la Wilaya I qu’il a extraits de la casemate dans laquelle, ligotés, ils attendaient la mort décrétée par Omar Ben Boulaïd qui s’était érigé en héritier « légitime » de Si Mostefa au prétexte de la primauté des Aurésiens sur les Batnéens.
    Amirouche, dans sa grande sagesse, a convaincu le Commandant Adjel Adjoul de partir à Tunis, escorté par des combattants de la Wilaya III pour défendre devant le CCE sa juste position sur la succession de Si Mostefa, conformément aux règles de l’ALN.
    Dans une interview post indépendance, il avait reconnu que sur l’insistance d’un de ses compagnons, fidèle de Omar Ben Boulaïd, il avait rebroussé chemin et vite compris qu’il allait subir le sort de Chihani, Abbas Laghrour et autres victimes des Aurésiens.
    À titre personnel, le Commandant Adjel Adjoul, m’a confié, en 1977 sa reconnaissance au Colonel Amirouche pour lui avoir sauvé la vie.
    Alors dans ces déballages nauséabonds qui se multiplient ces derniers temps dans le but de salir les héros de l’ALN et la glorieuse et sacrée Révolution du Premier Novembre 1954 on se demande quels sont les commanditaires et les objectifs réels des auteurs de ces insanités ?
    L’Histoire est impitoyable, elle remet les évènements en place et donne à chacun des acteurs son véritable rang dans cette saga de 2000 ans qui a abouti à la renaissance de la Nation Algérienne sous la direction du Front de Libération Nationale et de ceux que feu le Président Boumédiène qualifiait « avec tout le respect dû aux martyrs de toutes les résistances, de première génération victorieuse, celle du Premier Novembre 1954 »

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