Il y a dans la critique littéraire algérienne une inégalité de traitement si flagrante qu’elle en devient gênante. On a fait d’Albert Camus un procès en invisibilité, en silence, en effacement du peuple algérien.
Et l’on a eu raison de poser la question : pourquoi, dans L’Étranger, dans La Peste, dans La Chute, la figure de l’Arabe reste-t-elle hors-champ, floue, désincarnée ? Pourquoi la parole algérienne ne surgit-elle pas dans l’espace du récit, sinon comme menace diffuse ou silhouette abstraite ?
Mais ce procès, devenu un topos du discours postcolonial, s’est arrêté à la frontière commode de la dénonciation symbolique. Car, pendant qu’on en faisait un cas d’école, on sanctuarisait un autre écrivain, algérien celui-là, qui, tout en prétendant écrire depuis l’Algérie, n’a cessé d’écrire contre elle : Rachid Boudjedra.
Or, chez Rachid Boudjedra, l’absence du peuple n’est pas une omission, elle est une opération délibérée d’annulation. Ce n’est pas un oubli, c’est une stratégie. L’Algérien populaire n’y est pas simplement invisible, il y est disqualifié.
Le peuple est soit grotesque, soit fanatique, soit muet. Il n’est jamais sujet, jamais pensé dans la complexité de ses contradictions, jamais honoré dans son humanité. Il est ce résidu que l’écriture doit secouer, violenter, congédier. Ce n’est pas de la littérature de la révolte, c’est une rhétorique du mépris.
Et pourtant, pas un mot. Aucun séminaire sur la « défiguration de l’Algérien dans l’œuvre de Boudjedra ». Aucun article universitaire dénonçant cette absence structurante, ce vide qui n’est pas silence mais disqualification ontologique. Pourquoi ce silence critique ? Par peur ? Par complicité ? Par effet de proximité culturelle ? Parce qu’il est plus facile de dénoncer l’ex-colon que d’interroger l’écrivain national ?
La critique postcoloniale, si elle est cohérente, doit être d’abord éthique. Elle ne peut exiger de l’Autre ce qu’elle refuse de demander au Même.
Si Albert Camus est responsable de l’absence du peuple algérien dans ses fictions, alors que dire de Boudjedra, dont le peuple est le terrain mais jamais la voix ? On nous dira : « Camus, c’est la colonie, Boudjedra, c’est l’Algérie libre. »
Mais justement. La liberté est-elle dans le droit de parler seul ? Dans l’arrogance de celui qui s’arroge le monopole du dire, tout en refusant à ceux dont il parle d’exister autrement que comme caricature ?
Il y a plus de dignité populaire dans le silence tragique d’un Arabe de Camus que dans le vacarme désincarné d’un peuple méprisé chez Boudjedra.
Il faut donc le dire clairement : Boudjedra n’a pas parlé avec son peuple. Il a parlé au-dessus de lui. Il ne l’a pas vu comme un interlocuteur, mais comme une masse à ébranler, une entité archaïque à dépasser, à disséquer, à réduire. Il n’a pas écrit dans le prolongement du peuple. Il a écrit contre lui, en l’effaçant sous la fureur de la syntaxe et le tumulte du style. Sa langue est une forteresse. Pas une agora.
La critique algérienne, si elle veut regagner en crédibilité, doit sortir de cette hypocrisie épistémique. Elle doit cesser de juger les écrivains non pas à l’aune de ce qu’ils disent du réel, mais en fonction de leur passeport ou de leur rhétorique révolutionnaire. Car le nationalisme littéraire, comme tout nationalisme, est aveugle. Et un écrivain qui ne fait pas place à l’altérité, qui n’ouvre pas sa langue au monde de ceux qu’il prétend penser, est un écrivain sans peuple.
Albert Camus fut peut-être aveugle à une partie du réel algérien. Mais Rachid Boudjedra, lui, a choisi de le rayer. Et cela, bizarrement, ne choque personne.
Le Chameau et la bosse de son semblable.
Camus a écrit à une certaine époque durant certains événements. S’il a omis de parler »’ des arabes » peut-être qu’au fond de lui même, il est déchiré face à l’Histoire antique de l’Algerie et celle du moment. Il sait au fond de lui-même qu’il n y a pas de véritables arabes en Algérie,. Il n y a que des autochtones imazighen arabises et islamisés. Camus a une Patrie l’Algerie, mais il a un Pays la France: quel déchirement ….
Quant à Boudjedra, il a écrit sur tout et rien, même sur le Peuple palestinien. Il omet volontairement de parler de peuple algérien, car il faut préciser : quel est et qui il est ce peuple.
Mais au fond de lui-même en tant que raciste et ant-amazigh, il ne peut évoquer le peuple algérien comme amazigh. Mais en connaisseur de l’Histoire antique algerienne, il ne peut assimiler les Algériens à des arabes, même si ces derniers sont dans leur majorité des musulmans, ce qui n’est pas la même chose.
Donc Boudjedra ne parle pas de peuple, car en de référant a son » origine réclamée arabique », En Algérie, comme il se réclame de l’arabite », il n’appartient au peuple algérien antique. Car en tant qu’arabe , les vrais arabes, c’est en péninsule arabique, à moins qu’il s’avoue juste un arabise. Donc pour moi, il n’a pas de Patrie avec un peuple pour en parler, mais juste une nationalité algérienne travestie en arabique.
AS INIGH I-BUDJEDRA
AWI YID AARAV IS’FAN
NEK D AMSEDRAR: AGED AWI ADFEL IH’MAN
D-AKUD N-UFREN
C’EST LE TEMPS DU CHOIX
AMEZRUY D TIDETT D LSAS
DI DZAYER LLAN IMAZIGHEN
D IM3ABUTLAYEN ( arabophones).
WIN IVGHAN IVGHA WIYAD’ ATAN UVRID.
La vraie tare de ce pays est d’avoir cru que le nombre fait peuple. C’est cette erreur de fond sur laquelle le régime de boumediene avait cru greffer l’arabisme. Une langue d’importation et l’islam souderaient la oumma. Voilà donc cet anticolonialisme comme levier d’affirmation, existentialiste. Or si cette région a cessé de faire l’histoire, c’est parce qu’elle a perdu son nord. Le régime a cru au récit de cette épopée arabislamique, il s’est gouré culturellement, donc économiquement et sur la perspective civilisationnelle. On arrive à cette lassitude de la ruée vers Faffache comme terroir symbolique et même physique, qui nourrit l’être profond des corps sans âme ambulant entre-la mosquée et les écoles, mosquées, Parlement, mosquées, écrivains pour se vendre comme produits exotiques. Donc cette nécessité de s’adosser à la littérature de Camus ou le besoin de la diatribe Algéro-Français ou Franco-Algérienne, en réalité est un intercalaire sémantique qui cache ce vide sous-jacent, que la personnalité algérienne enfouie depuis l’arrivée de l’islam, qui tente de se faire chemin dans les décombres gênants, mais utiles pour la survie. L’Algérien est donc islamique par défaut. En attendant le Messie autochtone, quand on est emporté par les eaux dit-on en Kabylie, on s’accroche même à un câble électrique. La faiblesse du pays est dans ce manque de centre de gravité. Le régime n’a pas intérêt de travailler pour joindre le pays à son archétype, bien au contraire, il a tout l’intérêt de bloquer toute dynamique d’harmonisation entre valeurs endogènes et leur floraison en institutions fluides et fonctionnelles. S’attendre que l’intellectuel fonde une culture c’est n’avoir rien compris. Travailler son terroir, c’est plus une question d’écoute de ce non-dit crié par la Kabylie, langue-témoin de la tragédie. Le prochain Président devrait demander pardon à la Kabylie, pour le massacre d’État de 63, premier cri d’alerte pour dire que l’État ne se fait pas malgré l’âme d’un peuple. Ce cri fut suffoqué par la horde de boumediene, sans cure de cet humus nourricier : du reste la finesse est un art, s’attendre que les chars fassent le travail du tracteur sont des perspectives aux antipodes. C’est donc dans cet appendice de l’histoire que se trouve le pays actuellement, le régime, comme un alcoolique, s’est habitué à cette idée de soi arabislamique, il sait bien que c’est dysfonctionnel, mais il ne croit pas à ce qu’il ne vit pas : l’identité Amazigh. De même ses institutions culturelles et politiques tentent de faire rentrer dans la modernité au travers de cette recherche effrénée de symboles de modernité : l’Algérie, c’est le mouton, le ramadan et le jeune obligatoire même aux non-croyants qui doivent se cacher pour ne pas déranger les plus algériens. Ces contradictions, ne sont pas que celles des algériens, mais de tous les Nord-Africains , qui sont ensuite exportées en France, où l’on a l’islam élevé à identité de substitution, occuper les trottoirs, parce que l’islam est considéré supérieur. Aux institutions républicaines . Comme le pays est largement dépendant de cette liaison avec la France, qui donne un semblant d’existence intellectuelle aux vendeurs d’exotisme, qui auront un rôle, les islamistes croient avancer la oumma en islamisant tout ce qui est moderne. L’Algérie arabislamique exporte ses enfants et leurs contradictions en exile,.
Vivre dans le fantasme est la chimère moyenâgeuse entretenue par peur de faire le bilan de cet errement, est un acte humain stabilisateur, ce qui doit être fait pour qu’enfin les enfants de ce pays n’aient pas besoin d’ennemis pour subsister. Les grandes révolutions, c’est plus un travail sur le soi collectif, voilà pourquoi l’armée doit profiter de cette phase historique d’instabilité mondiale, on ne peut se permettre l’erreur de croire à la chimère de solution provisoire qui dure. Il est grand temps de profiter de cette stabilité tactique pour asseoir le pays sur le socle solide : celui de Massinissa. Il n y aura pas de deuxième chance.
Mamu nathkacy
Ah ! Quelle prouesse ! Même Marx n’aurait pas réussi cet exploit d’analyse à double fond, inversée et retournée façon Rubik’s cube postcolonial. Putain ! Lire ça en pleine phase post-butindegerrise où le décolonialisme fait des ravages. Voici donc que l’on réinvente la critique en billard à trois bandes : on cogne Camus, on flingue Boudjedra, et surtout, on donne une leçon de morale à ceux qui osent critiquer les critiques. Personne n’est épargné, pas même ceux qui auraient eu l’outrecuidance d’animer un séminaire sur l’invisibilité du peuple chez tel ou tel écrivain. L’auteur nous fait du Fanon, du Ouettar, du Finkielkraut post-maghrébin .
Et puis, franchement, pourquoi n’y a-t-il pas un Arabe dans La Chute ? Voilà une question vertigineuse. On attend la suite : pourquoi pas un touareg dans »Le Mythe de Sisyphe »? Un Mozabite dans »L’Envers et l’Endroit » ? Et un Kabyle dans’ »L’homme révolté » »
Mais passons. Ce qui gêne ici, ce n’est pas la critique de Boudjedra (encore qu’elle soit caricaturale, injuste et méprisante), mais la manière d’en faire un procès à charge, appuyé sur une idée stupéfiante : qu’un écrivain devrait aimer son peuple, le représenter, lui rendre justice, bref, le flatter. Sinon, il serait « arrogant », « coupé des masses », « sans peuple ». Et là, on touche à l’absurde. Car si l’écrivain devient un fonctionnaire du pathos national, un greffier de l’émotion collective, un préposé aux écritures de la tribu, alors autant nommer un poète officiel à chaque ministère.
Si Boudjedra, a insulté, provoqué, parfois choqué s’il Il a été injuste, cruel, élitiste peut-être. Mais ce n’est pas un tort, c’est une posture. Et une posture littéraire, cela se discute, cela se critique — mais pas au nom d’un tribunal moral où l’écrivain doit toujours prouver sa foi en la Nation, sa tendresse pour les petites gens, et sa loyauté envers la cause. Ce n’est pas un militant, ni un tribun. C’est un styliste, un révolté, un inclassable.
Je ne suis pas un grand fada de Doudjebra, ni de la littérature « butin de guerre » en général, encore moins de cette étrange école qui croit que la mission suprême de l’écrivain est d’aider à réinstaller la tribu dans le récit national. Si tu veux écrire des romans , il faut ramener l’Arabe au village et le faire chier sur la place du village , si non tu ne mérites pas le nom d’écrivain. De là à dire qu’un écrivain n’a de légitimité que s’il célèbre, honore, sanctifie son « peuple », il y a un pas… que seul un exégète pressé, ou un fan de Ouettar, oserait franchir.
Et puis, soyons honnêtes : cette idée que la critique algérienne éluderait le « problème Boudjedra », c’est tout simplement faux. Il suffit de lire les débats autour de La Répudiation, les polémiques autour de Topographie idéale pour une agression caractérisée, ou les multiples critiques dans la presse algérienne au fil des ans. Boudjedra a été contesté, souvent violemment, y compris par ses pairs. Il n’a jamais été sanctuarisé. Il a été exilé, boycotté, menacé — c’est un drôle de traitement de faveur.
Finalement, je crois que j’ai mal lu Doudjebra. Je croyais qu’il écrivait avec colère, style et outrance. Je découvre qu’il aurait dû écrire avec gratitude, avec civisme, avec onction. Avec drapeau. Il aurait dû aimer le peuple, même s’il pensait qu’il ne le méritait pas. Il aurait dû se taire, ou se soumettre.
Mais alors, il n’aurait plus été écrivain. Il aurait été scribe
Cet article n´est ni une chronique ni une critique; c´est du dénigrement grossier et unilatéral !…Lamentable!… » La répudiation », « les figuiers de barbarie », « le désordre des choses » et bien d´autres œuvres de Boudjedra ont pour thème la guerre de libération algérienne , et l´identité. Le lecteur pourra aisément vérifier cela presque dans tous les ecrits de l´auteur. Par exemple , « l´insolation » 1972, est un roman qui ,á travers l´histoire d´Omar, traite de la souffrance qui se confond avec l´histoire de l´Algérie. Rachid Boudjedra est ce chaoui entêté , algérien pur et dur, à l´inverse de Camus qui écrivait exclusivement pour les colons, dans une Algérie idéalisée et aseptisée de ses habitants authentiques, comme l´a si bien dénoncé Kateb Yacine. Rachid Boudjedra, pour ceux qui l´ignorent, est, je crois, le seul auteur algérien a avoir pris les armes en 1959, 18 ans à peine! Il y fut même blessé. C´est un auteur profondément marqué et tourmenté par la guerre et la souffrance du peuple algérien…. C´est vrai que le dernier livre de Boudjedra » les contrebandiers de l´histoire » a du faire très mal.
La dernière œuvre de Boudjedra, » Les contrebandiers de l´histoire », semble avoir fait des dégâts sérieux dans la tète de Cherfaoui Mohamed Rachid ainsi que dans celle de ses commentateurs.