Les statistiques, sondages, expressions libres ou reportages, rien de cela nous permet de juger à priori du soutien à Abdelmadjid Tebboune par les Algériens. Car comme en Russie ou dans tous les pays adorés par la majorité des Algériens, bien fort est celui qui peut obtenir des réponses par un travail éditorial ou de recherche à ce sujet.
C’est une donnée à laquelle les opposants algériens se sont accrochés et s’accrochent encore. Mais pour le moment, cette réalité statistique introuvable ne peut sérieusement nous interdire de nier que le soutien des citoyens algériens à leur président (pas le mien) est massif. Si ce n’est la majorité pour les raisons que je viens d’évoquer on peut alors dire que la minorité est très visible, bruyante et dévote. Arrêtons de nous voiler la face, la réalité est devant nous, si énorme qu’elle n’a pas besoin de statistiques.
Les opposants, même nombreux, doivent se rendre à l’évidence que leur souhait est loin d’être accompagné par une réalité lorsqu’on prend en compte plusieurs facteurs.
Dans cette massive population, il y a ceux qui sont attirés comme un aimant par tous les dictateurs. Depuis des décennies nous sommes confrontés à ce phénomène irrationnel dans plus de la moitié de la population mondiale puisqu’elle est agglomérée essentiellement dans les pays à très forte adhésion aux gourous. Ce sont justement ces populations qui subissent l’horreur barbare des dirigeants. Trouvez l’erreur !
Pendant très longtemps nous avions cru que l’élévation du niveau d’instruction allait balayer les dictatures militaires. Il n’en n’est rien, il nous semble bien que ce soit le contraire. Plus le niveau de scolarisation et le nombre de diplômés augmentent plus l’adhésion aveugle est forte.
Nous avons alors expliqué que c’est la médiocrité des enseignants qui forme la médiocrité créant ainsi un cycle permanent de médiocrité qui alimente chaque génération. Nous avions cru que l’extrémisme religieux provoqué par cette médiocrité allait lui aussi disparaître, il n’en n’est rien. Nous y avions cru car nous pensions pouvoir casser la dynamique de ce cycle infernal.
Les opposants ont alors cru un instant que l’ouverture au monde par les télécommunications modernes, Internet et autres, ainsi que les voyages à l’étranger, allaient faire pénétrer la lumière dans les cerveaux de la majorité des Algériens. Il n’en n’est rien et l’échec lamentable du Printemps arabe en est l’une des preuves.
Nous avions cru que la mobilisation politique de masse allait faire plier le régime militaire qui laisserait alors le pouvoir civil s’installer. La clownerie du Hirak que j’avais dénoncé pendant deux ans en est arrivée à ce qu’elle a elle-même provoqués, un piteux échec et une plus grosse adhésion aux dirigeants de la dictature.
Nous avions cru que les arrestations en masse et le musellement de la presse allaient réveiller les consciences. Il n’en n’est rien et la popularité du président semble être encore plus renforcée par cet instinct de nationalisme qui n’est cru que par ceux qui veulent le croire, par immaturité, inculture ou intérêts.
Et nous pourrions remplir trois pages sur nos rêves et désillusions. Mais pourquoi, bon sang, cette fatalité ?
Il y a déjà plusieurs années que je suis convaincu de la réponse. Tout au long de mon combat pour la démocratie, je ne pouvais fermer les yeux sur une réalité que j’ai partiellement expliqué dans un article précédent et dans de nombreux autres auparavant.
Non, ce ne sont pas les foules, même celles dont le niveau d’instruction est prometteur qui font plier les dictatures, ce sont les élites intellectuelles qui ont de tous temps composé les racines du soulèvement populaire. On n’a jamais vu la réussite d’un soulèvement populaire sans qu’il ait été préparé de longue date par un tapissage long et patient des grands esprits. La Révolution française en est le parfait exemple. C’est ce qu’on appelle le siècle des Lumières qui a permis au grondement du peuple de parvenir à la Révolution.
Une charrette de mes anciens compagnons de lutte pour la démocratie se sont vendus, petit à petit, de pas en pas, aux appels tentants du diable. Combien de ceux-là ont rejoint les rangs de l’assemblée nationale, des ministères et des partis politiques à la solde du régime régnant sans partage.
En fin de compte, l’explication est la plus vieille de l’humanité. Militer est fastidieux, dangereux, exige des sacrifices pendant de très nombreuses années, voire des décennies. Mais cette énergie et prise de risque n’ont pas vocation à payer en retour sinon par l’honneur de l’objectif du combat. L’embêtant avec l’honneur est qu’il ne sait pas ce que c’est qu’un beau logement, encore moins une villa hollywoodienne en Espagne, des abonnements premium, des voitures à hautes cylindrées ou des voyages fabuleux
Usés, déçus, frustrés et incapables de donner plus d’énergie, de nombreux de ces anciens camarades ont préféré des situations qui les sortaient de leurs difficultés du moment et qu’ils leur donnaient l’espoir du veau d’or. Ils n’avaient que peu de ressources, notamment à l’étranger, et ils voyaient bien que la porte d’entrée vers la tentation était grande ouverte.
Ils ont souffert, donné toute leur énergie et percevaient de l’autre coté de la frontière des fortunes qui s’accumulaient pour mille ans de leurs revenus. L’indignation laisse toujours place, à un moment ou à un autre, à la tentation et celle-ci laisse à son tour, à un moment ou à une autre, place à la compromission.
Que faire pour endiguer ces défections qui grossissent comme un fleuve, surtout avec Abdelmadjid Tebboune ? Bien entendu, pas grand-chose si on prend en compte le tableau sombre que je viens de décrire.
Pourtant, si le temps est long, désespérant dans son impasse, la lumière de la sortie du tunnel apparaît toujours. Il faut patienter, encore patienter et toujours résister. Cette patience, il est vrai, est beaucoup plus facile pour des personnes comme moi qui ont de très longue date une sécurité de vie en France.
C’est pourtant ceux-là qui doivent garder la flamme de la torche allumée. Ils le font avec leur cœur, sans trop de risques (en tout cas pas immédiats), c’est certain, mais avec une forte conviction que c’est la seule arme qu’il reste à l’étranger. Puis un jour, si ce bout du tunnel arrive, nous serons suivis par des dizaines de milliers de fuyards vers la dictature qui retournerons leur veste en donnant l’explication la plus vielle du monde pour les compromis, « nous avions voulu lutter de l’intérieur du système ».
Une écrasante majorité d’Algériens aiment Tebboune, mes camarades actuels sauront trouver la voie du pardon pour ceux qui sont encore récupérables. Ils les convaincront peut-être.
Mais qu’ils ne comptent pas sur moi, je n’ai jamais prétendu avoir cette grande vertu du pardon. C’est hélas mon vilain défaut.
Boumediene Sid Lakhdar