Le recueil La gloire infinie de l’instant éphémère de Youcef Zirem, publié chez les Éditions du Net, s’impose comme une œuvre poétique d’une rare intensité. Chaque mot y semble animé par une nécessité intérieure : urgence de dire, de transmettre, de témoigner. Ce n’est pas simplement un livre de poésie : c’est une traversée de l’âme humaine, un journal intime universel, un cri doux lancé à la face du monde.
L’exil comme condition humaine
L’exil occupe une place centrale. Non pas seulement géographique, mais aussi intime et culturel : errance affective, fracture identitaire, déracinement intérieur. Zirem évoque les douleurs de l’arrachement, les silences de celui qui a quitté, mais aussi les réinventions possibles dans l’ailleurs. L’exil devient métaphore de la condition humaine : toujours en quête, jamais tout à fait chez soi.
Mémoire et transmission
La mémoire irrigue chaque page. Souvenirs des êtres aimés, des lieux disparus, des instants suspendus : Zirem convoque parents, amis, maîtres à penser, et leur rend hommage avec tendresse. Ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit, mais d’un acte de fidélité : garder vivants ceux qui ont façonné son regard sur le monde. La mémoire devient résistance à l’oubli, geste de transmission, source de lumière.
Ses parents, Lâaldja et Lhadj Ali, apparaissent comme des piliers affectifs et spirituels. Leur présence infuse le recueil d’une douce clarté. À travers eux, l’auteur rend hommage à la filiation, à cet héritage invisible qui façonne l’être. Ces portraits vibrent, respirent, dialoguent avec le présent.
Amour et spiritualité
L’amour, dans ce recueil, relie, sauve et élève. Zirem l’écrit avec pudeur et intensité, comme une force qui irrigue l’existence malgré les blessures. Les femmes, les mères, sont célébrées avec délicatesse, conférant à ses mots une puissance presque mystique.
La spiritualité traverse l’œuvre comme un fil discret mais constant. Jamais dogmatique, elle demeure ouverte, interrogative, vibrante. Zirem cherche le sacré dans le quotidien : dans un geste, un regard, une rencontre. Il évoque Dieu, la foi, le doute avec une sincérité désarmante. Sa spiritualité est celle d’un homme en marche, en quête de sens, en dialogue avec l’infini.
Portraits et hommages
Les proches occupent une place essentielle : ses sœurs Souad et Feirouz, ses frères Hamza, écrivain en italien ; Kamel, enseignant et journaliste ; Zakaria, homme spirituel ; Mohand Chérif, écrivain, poète, psychologue, éditeur ; Khaled, poète et penseur. Son ami d’enfance Khelifa, tragiquement disparu, est également évoqué. Chacun devient figure de mémoire, pilier de son univers.
Parmi les influences littéraires et spirituelles, Zirem revendique la filiation de Djallal Eddine Rumi, maître soufi du XIIIᵉ siècle, dont l’intériorité et la ferveur résonnent dans sa quête poétique. Christian Bobin et René Char nourrissent également son écriture, entre lumière du quotidien et densité fragmentaire. Ses lectures dans le Sahara, Faulkner, Sabato, García Márquez, ont façonné sa vision de l’homme, oscillant entre tragique et beauté.
Enfin, la littérature algérienne tient une place fondatrice : Mouloud Mammeri, Jean El Mouhoub Amrouche, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Malek Ouary. Porteurs de mémoire et de dignité, ces auteurs résonnent dans son œuvre comme des voix tutélaires.
Le poème « Brahim »
Parmi les textes marquants, Brahim célèbre une amitié silencieuse et essentielle :
« Brahim, frère d’ombre et de lumière,
Tu marches sans bruit dans les couloirs du cœur,
Offrant ton souffle aux jours sans éclat,
Comme un feu doux qui ne réclame rien. »
L’image initiale, « frère d’ombre et de lumière », évoque une personne complète, capable d’accompagner dans l’épreuve comme dans la joie. Le « cœur » devient espace intime traversé avec respect. Brahim est décrit comme une présence discrète, généreuse, qui soutient sans attendre. Son silence contient des chants, sa discrétion des révolutions tendres. La dernière ligne, « l’ami que l’on ne cherche pas, parce qu’il est déjà là », résume la profondeur de ce lien : évidence affective, fidélité muette, certitude inébranlable.
Ce poème rend hommage à ces êtres discrets qui transforment nos vies par leur simple manière d’être. Il célèbre la beauté du silence et la grandeur de l’âme humble.
Magnifier le quotidien
Ce qui frappe dans ce recueil, c’est la capacité du poète à magnifier l’ordinaire. Une main tendue, un regard, une promenade deviennent instants sacrés. Zirem saisit ces éclats avec une sensibilité rare, rappelant que la grandeur réside dans l’infime. Sa poésie est gratitude, contemplation, pleine présence.
Loin de se complaire dans la douleur, il transforme l’exil et la solitude en sources de lucidité et de compassion. Il évoque injustices et violences avec dignité, jamais vindicatif. Ce regard apaisé, parfois mélancolique, élève toujours vers la lumière.
Une voix singulière et universelle
L’écriture de Zirem est à la fois épurée et lyrique. Elle évite l’artifice tout en gardant une musicalité qui invite à la contemplation. Accessible, dense sans être obscure, elle permet à chacun d’entrer dans son monde avec émotion.
Ce recueil rend à la parole poétique sa vocation première : relier. Relier vivants et morts, exilés et racines, lecteurs et intériorité. À partir d’une expérience singulière, Zirem fait vibrer des cordes universelles : besoin d’amour, quête de sens, douleur de l’absence, joie d’un instant. Il nous rappelle que la poésie n’est pas un luxe, mais une nécessité.
Un livre-refuge
Dans un monde saturé de bruit et de vitesse, La gloire infinie de l’instant éphémère devient refuge. Un espace où respirer autrement, penser autrement. La poésie y résiste à l’oubli, à l’indifférence, à la déshumanisation. Elle restaure du sens là où le langage s’use, et réenchante le quotidien en révélant sa beauté discrète.
Ce livre est bien plus qu’un recueil : c’est une offrande. Il invite à ralentir, à écouter, à ressentir. Il nous rappelle que l’instant, même fugace, peut contenir toute la gloire du monde.
Brahim Saci
La gloire infinie de l’instant éphémère, Les Éditions du Net, 2025