22.9 C
Alger
samedi 11 octobre 2025
AccueilIdéesLounis Aït Menguellet : entre senteurs de rose et odeur de poudre

Lounis Aït Menguellet : entre senteurs de rose et odeur de poudre

Date :

Dans la même catégorie

Belaïd At Ali : Berru (Tazmamt n°9, asebter 461)

Ala tamɣart d tislit i iqeddcen deg uxxam, sbeḥ...

Cartable ou sac à rien : le choix d’une profession

Depuis quelques années je ne cesse de constater dans...

Nora Preziosi face à l’affaire 13 Habitat : le coup politique de trop

Dans un long entretien accordé à La Provence, Nora Preziosi,...

Rabah Belamri In memoriam :  30  ans déjà

Rabah Belamri est né le 11 octobre 1946 à...
spot_imgspot_img
- Advertisement -

Après une tournée artistique captivante en Algérie, au Canada et dans la région parisienne, Lounis Aït Menguellet sera à Saint-Etienne ce samedi soir 11 octobre devant un public tout aussi attachant que les précédents.

Le Palais des congrès de la ville affiche complet depuis quelques jours déjà ! C’est que le poète chanteur-compositeur-interprète n’en est pas à son premier guichet fermé, c’est même, sans jeu de mot, une ritournelle.

Son œuvre, portée par un travail sérieux, un talent hors normes et des mélodies magnétiques, traverse tous les champs de la pensée contemporaine. Il a abordé tous les thèmes allant de la senteur de rose (tesḍelmeḍ-yi) à l’odeur de poudre (A mmi). C’est pourquoi ses concerts festifs et réflexifs attirent toutes les générations : hommes, femmes, jeunes et beaucoup moins jeunes accourent doctement comme l’on vient écouter avec ferveur une leçon inaugurale au Collège de France. On en ressort ragaillardi comme rassuré que notre culture, fragilisée et minorée par les politiques menées par les pouvoirs publics d’Afrique du nord, du Sahel et de France, résiste encore comme elle l’a fait depuis des millénaires.

Le parcours artistique et littéraire de Lounis Aït Menguellet se présente comme un signe, voire un garant, de notre survie. En allant à sa rencontre, en écoutant le jaillissement de ses sensations favorites, en prenant la mesure de son imaginaire débordant, son peuple ressent son répertoire telle une marque de pérennité de notre identité menacée d’extinction. 

Dans «Tesdelmed iyi », l’exemple mentionné plus haut, et il en existe des dizaines de cette nature, Lounis Aït Menguellet exprime un amour courtois, passionné mais éphémère. Il le proclame avec ardeur dans une société où l’amour est une zone de danger et dans laquelle il se crée, malgré les verrous, une marge significative de liberté. Le poète inaugure une création littéraire et artistique qui bouscule les mœurs. Il l’a fait sans concession mais dans un mode sans transgression. L’amour galant mais ardent longtemps contenu, trouve, dans le verbe menguelletien, un espace d’expression affranchie.

Ce poème dit tout l’amour incandescent qui habite une jeunesse brimée. Les premiers termes privilégiés de ce texte (tettwaqed, lkanun, urɣu, iɣed…) s’articulent autour d’une géographie sensorielle en ébullition : « cuisson, âtre, brûlure, cendre… » sont tous des mots qui se rapportent à l’incandescence.

Tout en annonçant la texture du poème au cœur duquel flotte une douceur naturelle (tislit bb-wanzar, l’arc-en-ciel), ces termes rougeoyants traduisent aussi les ressentis de Lounis Aït Menguellet intimement liés à la grammaire émotionnelle du monde kabyle. Un monde posé sur un brasier inextinguible au sens physique et psychique. La texture du poème procède par réseaux logiques, l’un étant toujours la conséquence de l’autre :

iɣed nni a’a yeddem waḍu, (Cette cendre dont le vent se charge)

ad t izraɛ sdat wexxam  (Au seuil de la porte il la sèmera)

ad yemɣi lwerd d yefsu (Fertilisées, des roses y écloront)

ad d imetel di ṣṣifa-m ( )… (et seront à ton image)

Le narratif ne peut être un simple récit, une simple suite de vers rythmés. C’est plus une trame traversée par des forces, des flux, une « co-naissance » où sujet et monde naturel spinozien s’entrelacent avec passion. Dans les compositions de Lounis Aït Menguellet, c’est devenu très tôt classique : chaque image, chaque figure de style se déploie dans un mouvement romanesque où la lumière éclaire mais aveugle où l’ombre protège mais assombrit. Tout se joue dans la rencontre, dans la circulation des émotions et dans la complexité des sentiments. Sentiments contenus que le surmoi contrôle exagérément jusqu’à en faire des pulsions obsessionnelles. « Lehwa s ed iḥeggun aẓar, d nek ad tt id yaznen fell-as » (Les perles de pluie qui ensemencent les racines -et, du coup, perpétue l’espèce- je les déverserais sur elle ». Chaque mot, chaque strophe, chaque figure de style est une irruption émotionnelle volcanique. Au second degré, couve toujours le feu. 

Plus loin dans son œuvre, à l’opposé des panoramas enivrés, nous retrouvons, à titre d’exemple : a mmi (mon fils !), un condensé de sa poésie engagée. Le dialogue intergénérationnel, est ici, une métaphore des tensions entre idéal et réalité, entre tradition et modernité. La forme dialoguée donne au poème un ton solennelle voire dramatique à la manière du Cid de Corneille. À chaque strophe, on s’attend à l’irruption d’une discorde. Il est question, dans ce poème dense, d’une confrontation entre deux visions du monde, d’un cadre de réflexion sur deux modèles opposés de gouvernance. Chacun des personnages expose les principes sur lesquels il entend fonder sa stratégie de conquête du pouvoir.

Mmi-s (Le fils)

A baba ad xedmeɣ lxiṛ   Père, je serai un bienfaisant

Ad iliɣ d bab n lḥeq       Et un arbitre intègre

Medden ukk a ten sɛuɣ deffir Le peuple sera derrière moi

Lmeqsud nebɣa a t nelḥeq Nous atteindrons nos idéaux

Baba-s (le père)

Dɣa ma txedmeḍ akken Du coup, si tu agis ainsi

Ziɣ a mmi ur tessineḍ ara C’est que, mon fils, tu n’es pas à la hauteur

Qbel ad d tbaneḍ a k ççen Tu es broyé avant même que tu ne te montres

Lateṛ ik ur d ittban ara Nulle trace de toi ne survivra

Chacun élabore les actions à mener. Chacun joue, comme dans une profession de foi de prétendants au pouvoir, sur les aspirations qui sous-tendent ces actions. Leurs méthodes respectives expriment les fondements de la pensée politico-philosophique en cours comme elles montrent la nature des rapports sociaux et politiques en jeu en Algérie comme ailleurs. Les deux conceptions se font face : le rêve utopique d’un fils idéaliste et la réalité cruelle d’un père réaliste. Le contrat social comme une adhésion à la volonté collective tel qu’il est imaginé par Jean-Jacques Rousseau se heurte au pacte de servitude qui implique l’aliénation des libertés publiques et individuelles à un souverain absolu ayant le droit de vie ou de mort sur tous comme décrit par Etienne de La Boétie ou Nicolas Machiavel.

En apparence, les figures poétiques s’entrechoquent avec amour. En réalité elles invitent l’auditeur ou le lecteur à scruter non seulement le sens littéral et abstrait, mais surtout à y voir les gestes concrets, les images, les rythmes et les articulations du langage qui fondent la profondeur et la portée du texte. Tout se passe comme si on assistait à une lutte de l’envers et de l’endroit, à une lutte entre Tajmaɛt, institution traditionnelle, pacifique et consensuelle paradoxalement représentée par le fils et l’institution politique moderne autocratique et effroyable incarnée par le père.

Sous les lumières tamisées du Palais des congrès, Lounis Aït Menguellet apparaîtra calmement pour concilier ces contradictions. D’un pas assuré, silhouette calme dans la lumière dansante de la scène, il lèvera les bras au ciel pour saluer la foule. Il s’accordera à la rumeur changeante du public, ce souffle collectif suspendu entre respect et émotion, réserve et cris de joie. Alors, sa voix s’élèvera, grave et familière. On croira voir les montagnes respirer derrière lui, sentir le parfum des roses et l’odeur de la poudre. Jeunes et vieux auront leur lot d’émotions parfois diamétralement opposées.

Devant lui, les visages s’ouvriront gaiement comme l’entrée des villages (Tudrin). Chacun y lira sa part de joie, de gravité et d’espérance. D’un chant à l’autre, le Maitre imposera le silence comme il laissera surgir l’euphorie. « Le rouge et le noir » s’y épouseront… Merci Lounis, Merci Malika Sidous de l’association Numidya pour cette belle rencontre.

Hacène Hirèche

Dans la même catégorie

Belaïd At Ali : Berru (Tazmamt n°9, asebter 461)

Ala tamɣart d tislit i iqeddcen deg uxxam, sbeḥ...

Cartable ou sac à rien : le choix d’une profession

Depuis quelques années je ne cesse de constater dans...

Nora Preziosi face à l’affaire 13 Habitat : le coup politique de trop

Dans un long entretien accordé à La Provence, Nora Preziosi,...

Rabah Belamri In memoriam :  30  ans déjà

Rabah Belamri est né le 11 octobre 1946 à...

Dernières actualités

spot_img

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici