La polémique a traversé Marseille avant de rebondir sur le terrain judiciaire. Le film Sacré-Cœur, docu-fiction à thématique chrétienne, devait être projeté le 22 octobre au Château de la Buzine, cinéma municipal du 11ᵉ arrondissement. À la dernière minute, la mairie a décidé d’annuler la séance, invoquant le principe de laïcité et la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État.
Selon l’équipe municipale conduite par Benoît Payan, un lieu public géré par la collectivité ne peut servir à la diffusion d’un film à contenu religieux, au risque de brouiller les frontières entre culture et culte. La décision, présentée comme une mesure de neutralité, a pourtant suscité un tollé immédiat.
Censure ou application stricte de la laïcité ?
Le sénateur Stéphane Ravier (Reconquête) et les producteurs du film ont dénoncé une atteinte à la liberté d’expression et saisi en urgence le tribunal administratif. Pour eux, interdire un film en raison de sa thématique spirituelle revenait à pratiquer une forme de censure idéologique contraire aux libertés fondamentales.
Le 25 octobre, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille leur a donné raison. Dans son ordonnance, il rappelle que « la seule diffusion d’une œuvre cinématographique susceptible de présenter un caractère religieux dans un cinéma municipal exploité en régie ne porte pas, par elle-même, atteinte au principe de laïcité ». Autrement dit, la laïcité ne peut pas être invoquée pour exclure toute représentation artistique de la foi dès lors qu’elle n’équivaut pas à une reconnaissance d’un culte par la commune ni à une aide publique à une activité religieuse.
La liberté culturelle réaffirmée
Cette décision oblige la mairie à reprogrammer la projection du film avant le 28 octobre. Elle marque un rappel juridique fort : la neutralité religieuse des institutions publiques n’interdit pas à la culture de questionner le sacré, ni de faire une place au spirituel dans le champ artistique.
Sacré-Cœur est un docu-fiction qui mêle reconstitutions historiques et témoignages contemporains. Le film retrace l’histoire de la basilique emblématique de Paris, son rôle symbolique dans la foi catholique, et les tensions sociales et politiques qu’elle a suscitées au fil des décennies. À travers des séquences immersives, il explore la spiritualité, la dévotion et le rapport entre histoire, architecture et mémoire collective.
Un débat symbolique à Marseille
Au-delà du cas juridique, la polémique révèle la sensibilité du sujet dans une ville comme Marseille, mosaïque de croyances et de mémoires. La droite et l’extrême droite y ont vu une victoire contre une « laïcité punitive », tandis que la majorité municipale défend toujours une lecture stricte du cadre républicain.
Cette affaire illustre la confusion fréquente en France entre neutralité et effacement du religieux. La laïcité, principe d’équilibre, garantit à la fois la neutralité de l’État et la liberté de conscience des citoyens. En confondant neutralité et exclusion, la mairie a pris le risque d’un excès de zèle, transformant un débat administratif en controverse politique.
Entre censure et liberté, la ligne de crête reste fine. Cette décision judiciaire rappelle surtout que la culture, dans un État laïque, demeure un espace d’expression et de dialogue — y compris quand elle évoque le sacré.
Mourad Benyahia

