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Karim Chikh : « C’est à nous de respecter tamazight pour qu’elle soit respectée par d’autres »

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Natif de Fenaia-Il Maten, en Basse-Kabylie (Béjaia), Karim Chikh est un ex-animateur à la Radio-Soummam. En tant qu’auteur et chercheur en patrimoine amazigh, il a beaucoup de livres à son actif. Chikh plaide pour une approche populaire participative en vue de la promotion de Tamazight.

Le Matin d’Algérie : On constate, ces derniers temps, une production littéraire très dense en langue berbère. Pensez-vous que le livre en Tamazight est en bonne santé, surtout avec l’avènement de l’internet et des réseaux sociaux ?

Karim Chikh : Déjà, pour commencer, j’apporte cette intéressante précision : vous venez de dire « langue berbère » et j’en conviens. En vérité, je préfère garder cette appellation telle quelle. D’ailleurs, je ne cesse de l’affirmer dans mes divers écrits, car, contrairement à ce que l’on pense, le mot « berbère » ne provient pas « nécessairement » de la terminologie latine « barbare » (sauvage) synonyme du «métèque» (l’étranger dans la Cité ou l’Agora), mais du mot amazigh « avervar», c’est-à-dire un soldat qui se couvre, du tibia jusqu’à sa tête, d’une tenue en acier. Cette tenue s’appelle «tavervart». Et ce mot est resté d’usage jusqu’à nos jours mais réservé uniquement à la couverture du bébé. Nos parents disaient par une sorte de croyance naïve en kabyle : « tavervart att-harev ghef mmi ». (Que cette couverture protège mon fils). Cela dit, la berbérité ou tamazight, c’est avant tout une culture de protection, de résistance, d’immunité contre le danger extérieur. Il suffit de revenir à la lutte des Berbères contre les Romains, par le biais de leur « maillage tribal » pendant plus de quatre siècles.

Le chercheur marocain Abdallah Laroui parle, à ce propos, de la tribu berbère, comme un nécessaire retour à soi. En cens sens, la tribu et la femme berbère sont les seuls gardiens séculaires de l’oralité. Je ferme ici la parenthèse, pour revenir à votre question. Sachez bien que le problème ne se limite pas aux réseaux sociaux, soit comme tremplin ou comme handicap au développement de tamazight, mais se situe ailleurs. Nous avons oublié, à mon sens, notre culture de dialogue ou plutôt de discussion dans le giron familial sur les dictons, les devinettes et les jeux du divertissement au tour du kanoun (un brasier creusé dans le sol pour se réchauffer en hiver).

Autrefois, on trouve dans chaque maison « takwatt ukwras » (un coin pour les livres). Soit, des petits espaces aménagés dans le mur « el k’der », où l’on met des bouquins, des documents de toute sorte, de la vieille paperasse. C’est un trésor familial pour se ressourcer, même si l’oralité avait pris depuis longtemps l’ascendant sur les esprits. 

Tout cela a malheureusement disparu, suite à la culture de l’individualisme et de l’assistanat ayant gangrené notre société. Aujourd’hui, un livre est devenu comme de la « camelote», quelque chose de vraiment accessoire ou « inutile », qui ne servirait plutôt à rien chez certains esprits, alors que, pour éditer un livre, ça coûte vraiment les yeux de la tête et aussi, c’est un véritable parcours de combattant (aspect éditorial)…

Le Matin d’Algérie : Justement pour les difficultés éditoriales, où se situe précisément le problème ? Est-ce un obstacle uniquement matériel ou cela relève-t-il d’autre chose ?

Karim Chikh : Sincèrement, c’est un tout. Il y a d’abord, le côté pécunier parce que pour éditer un livre, il va falloir dépenser de l’argent, parfois des grosses sommes juste pour l’imprimeur. Certains auteurs empruntent de l’argent pour éditer, ce qui est grave ! Et puis, il n’y a pas de garantie de rendement (lectorat sûr), même si l’écrit est en lui-même intéressant : peu de salons littéraires, peu de rencontres en librairies, peu de promotion, la censure, etc. Ajoutons à cela, le regard quasi « méprisant » de la société vis-à-vis des producteurs d’idées et le peu d’encouragement étatique du travail de recherche en patrimoine amazigh. C’est pour cela que, je dis toujours aux auteurs que je croise de ne pas regarder si leur livre leur rapporte de l’argent ou non, mais de penser plutôt à ce qu’ils vont laisser pour les générations à venir.

On doit assumer notre tâche d’éclaireurs, de veilleurs et de vigiles de notre identité. J’avoue que, pour moi, l’écriture en tamazight et pour tamazight est avant tout un acte de résistance…

Le Matin d’Algérie : A travers vos émissions à la Radio Soummam, on découvre un homme de culture tout terrain. Vos reportages attirent, il est vrai, par la variété des sujets traités en lien avec le patrimoine amazigh. Quel est votre bilan personnel de toutes ces années d’exercice professionnel (évolution des mentalités, intérêt des gens pour Tamazight, qualité des moyens mis à la disposition de ceux qui s’intéressent à la culture berbère, etc.) ?

Karim Chikh : Je reste, à vrai dire, très optimiste pour l’avenir, quoique je sois un peu pessimiste pour le présent. Je crois que c’est Jacques Berque qui avait dit cela un jour sur l’Algérie et je trouve son constat compatible pour le cas de tamazight. J’ai fait certes beaucoup d’émissions à la radio, j’ai arpenté le terrain pour collecter les paroles de bergers, de paysans et d’hommes de culture, j’ai fait de mon mieux pour piocher dans notre patrimoine ancestral, mais je pense avec toute modestie que je suis en deçà des attentes. Cela est d’autant plus vrai que le terrain est encore vierge pour celui qui voudrait faire des recherches sur le terrain.

Cela dit, ce n’est pas derrière son bureau ou par téléphone qu’on puisse avancer. Nos vieilles et nos vieux, nos paysans, nos bergers sont là pour nous accueillir chez eux, mais aussi pour nous inciter à aller vite en besogne. D’ailleurs, je profite de cette occasion pour leur rendre hommage, car, c’est grâce à eux et à mon Nagra, mon poste d’enregistrement, que je suis arrivé à collecter des milliers de mots kabyle usuels, parfois en voie de disparition. Bref, on doit aimer sa propre langue, s’attacher à sa culture, en faire des cérémonies et des rituels avec. C’est à nous de respecter la langue Tamazight pour qu’elle soit respectée par d’autres, et c’est à nous de lui créer des moyens pour la rendre accessible pour les non-berbérophones. Un défi majeur, certes difficile, mais pas impossible !

Le Matin d’Algérie : Revenant sur votre parcours d’auteur et votre fameux calendrier berbère, on a appris que vous avez récemment publié un autre livre qui va dans le même sens que le précédent. Pouvez-vous nous le présenter brièvement? Et puis, quelle est la nouveauté apportée ?

Karim Chikh : Effectivement, je ne cesse de produire malgré le manque de moyens financières (rires…). Aussi suis-je toujours sur mes travaux de recherche sur l’ancien calendrier berbère à 13 mois, 7 saisons, 9 rites culturels. Actuellement, j’envisage une suite de travaux à propos de ce calendrier que j’ai, en quelque sorte, «réinitialisé». Dans cette deuxième partie, on retrouve 21 temps dans le cycle de jour et de nuit, vingt-et-un jours de cycles de travaux agricoles, quatre temps durant l’année, je les cite : le temps des labours de 98 jours, le temps d’hibernation de 70 jours, le temps de la fertilité de 56 jours et le quatrième temps des récoltes de 140 jours. En outre, j’ai préparé deux livres sur les neuf rites culturels : « Nnayer » et « Iwejiven », qui s’ajoutent à ceux sur « Aderyis » et « Azenzi ». Cela dit, sur les neuf rites, j’en ai étudié quatre, auxquels j’ai consacré des livres. Les cinq autres qui restent, j’envisage de les préparer, courant 2026.

Le Matin d’Algérie : Karim Chikh est une voix respectable dans la radio. Vous-mêmes, vous vous définissez comme berger autodidacte. Est-il facile aujourd’hui de se dire « chercheur indépendant » sans une affiliation académique claire?

Karim Chikh : Je n’en sais rien ! Mais une chose étant sûre : le berger est, de mon point de vue, la seule véritable source, dans la mesure où il est en lien permanent avec la nature. Jour comme nuit, il est à l’écoute des échos de son environnement et de son cosmos. C’est pourquoi, mes travaux de recherche s’inspirent de ceux des bergers dont je fais partie. Bien évidemment, je suis autodidacte par rapport aux professeurs et aux académiciens qui avaient cherché, crée, inventé en leurs langue maternelle.

Devant eux, je ne suis qu’un novice d’autant que mes modestes travaux ne sont qu’un prélude, voire une sorte d’introduction à la recherche. Néanmoins, et c’est douloureux de le dire, à ce jour, avec tamazight, il n’y a que des traductions du français vers le berbère. C’est un amer constat à souligner en gras. Depuis maintenant une dizaine d’années de l’officialisation de Tamazight, et plus d’une trentaine d’années de l’entrée de cette langue-là dans le secteur éducatif, je suis navré de dire que c’est presque un désert en matière de recherche scientifique ! La faute à qui ? Je n’en sais rien ! Les slogans creux et le folklore nous tuent à petit feu, alors qu’on doit nous retrousser les manches pour aller de l’avant. Tamazight, c’est le travail continu sur le terrain. Et plus rien d’autre !

Pour l’académie, c’est à mon sens les autodidactes qui doivent former, en premier lieu une académie, parce que notre langue sort à peine de son oralité millénaire pour rejoindre le gotha des langues écrites. Parmi ces « autodidactes », on trouvera à coup sûr écrivains, poètes, chanteurs, artisans, hommes du verbe, citoyens ordinaires de tous bords, etc. C’est une fois que tous ces gens-là donnent, chacun son savoir, que viendra la tâche des linguistes, bien entendu, ceux qui travaillent à 100/100 en langue berbère sans traduction ni interférence avec les autres langues (arabe ou français dans notre contexte). Ces linguistes vont étudier ce qui est dit et décidé par l’académie, comme l’avait fait notre grand linguiste Dr-Hanouz.

Ce dernier avait, pour rappel, créé une académie en 1964, en faisant participer toutes les couches de la société berbère à savoir, entre autres, manœuvres, chauffeurs, poètes-troubadours, chanteurs, etc.

Toutes ces personnes-là travaillaient avec leur langue maternelle, chaoui, kabyle, chenoui, mozabite, rifain, etc. C’est cela le génie, c’est cela la richesse, c’est cela le savoir-faire créateur ! Je m’adresse, à partir de cette tribune qui m’est offerte aujourd’hui, à toutes les universités d’Algérie, en particulier celles de Vgayet, Tizi-Ouzou, et Tuviret pour qu’elles ne marginalisent ni ne mésestiment les travaux de recherche des autodidactes ! C’est un appel du cœur pour ressusciter au quotidien les saveurs de Tamazight de nos ancêtres ! Une donnée importante à prendre en considération, comme le font, d’ailleurs, toutes les universités dans le monde civilisé qui accueillent les autodidactes avec honneur dans leurs centres de recherche…

Propos recueillis par Kamal Guerroua.

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5 Commentaires

  1. Monsieur Karim Chikh est un très grand homme humble d’une grande utilité pour la recherche académique en langue berbère, s tutlayt tamaziɣt. Bravo à toi ⵉ ⴳⵎⴰ , aag’ma , mon frère.

  2. «peu de salons littéraires, peu de rencontres en librairies, peu de promotion, la censure, etc. Ajoutons à cela, le regard quasi « méprisant », ça résume un peu ce qu’un état souverain fait, encourage, cultive pour sa langue et sa littérature … Ça résume également ce l’absence d’un état se reconnaissant en notre civilisation fait, censure, l’interdit, dévalorisation, mine es bases matérielles d’une culture, langue …
    Pour le reste, il y a toujours cette approche quasi péché original mortel consistant à réduire les rituelles de notre religion berbère en de simples coutumes. Cette approche ´coutumière’ est d’ailleurs encouragé par l’Etat avant qu’ils ne délégue cette guerre aux abrutis islamistes. Depuis, ils ne manquent pas une occasion pour tenter de bannir l’âme de la berberité: sa religion. Et quand les nôtres suivent, c’est le début de notre renoncement. Prendre la religion des ancêtres pour des coutumes conduit à tout les charcutages imaginables tel les interprétations qu’on fait du calendrier berbère, ces rituels qui remontent à l’antiquité.
    Pour ce qu’est des contes et fables kabyles, dont certains correspondent à la virgule près celle de l’antiquité gréco-romaine, c’est nos amputer carrément de nos attachés méditerranéens. Tout comme une bonne part de notre patrimoine matériel et linguistique.

    • Cher compatriote « @Bon pour moi » , s’il vous plait qu’entendez vous par « les rituelles de notre religion berbère » ou par « la religion de nos ancêtres » ? Pouvez vous , si çà ne vous prend pas trop de temps nous expliciter ces notions. Merci à vous et mes respects.

      • La société kabyle est foncièrement paysanne avant qu’une forme de modernité superficielle imposée ne détruisent des pans entiers de ce qu’elle est. Son calendrier, ses rituels religieux, sa culture matérielles et même sa langue ses sont profondément marqués par la ruralité. Jusqu’aux années 80, hormis les quelques apports des émigrés, il n’y a pas grand qui a changé par rapport à l’époque libyco-romaine dirais-je. La culture matérielle par exemple est restée la même, l’architecture et des pans de la religion, j’y viens.
        Ceux qui sont nés à cette époque se souviennent des offrandes qu’on faisaient pour favoriser les semailles, avoir un hiver neigeux et pluvieux, une bonne récolte, les offrandes à but prophylactique pour favoriser le bien, la santé et tant de chose qu’on désire avoir ou, au contraire, éloigner le mal … Ces rituels se retrouvent plus ou moins identiques dans les sociétés méditerranéennes. Celles-ci ont la chance d’avoir sauvegardé tout ça par la littérature; nous, nous avons la chance d’avoir de les vivre, de les avoir vu survivre.
        Quand à la religion des ancêtres, elle a survécu en tant que telle sous le nom d i3essassen – les Mânes des romains. M. Karim Chikh cite d’ailleurs ‘takwats », ces sortes de boites encastrées dans les murs et où l’on posaient la part, symbolique, des ancêtres en récoltes annuelles. Takwats, c’est ni plus ni mojns ce que les romains appelaient ‘cavea’ (prononcer Kaweya). C’est le même mot et le même usage d’ailleurs. Des divinités universelles, celle que je connais et qu’on vénéraient était le dieu de la pluie; c’est dire l’importance de l’eau sous nos latitudes et le lien organique qu’il y a entre notre religion et la nature.
        Bon, c’est là un petit bout de ce qui faisait notre religion: non écrite, sans clergé. L’islam depuis toujours, et l’état avec ses énormes moyens depuis l’indépendance combattent à tous les niveaux. Et ils se disent gardiens de la tradition et de l’héritage des ancêtres.
        Ces rituels sont marqués dans le calendrier berbère agraire. Le calendrier julien que notre ami Karim Chikh ne reconnait pas en tant que tel est celui sur lequel s’adosse le calendrier agraire. Les mois portent les noms de divinités greco-latines : Yennayer (Januarius), Furar (Februarius), Meghres (Martius), Ivrir (Aprilis), Mayyu, (Maius), Yunuyu (Iunius),… C’est dire qu’effacer ces références, c’est nous amputer d’une partie de nous même. Certains de nos rituels se rapportent à ce calendrier. Ce n’est pas pour rien que l’héritage romain est officiellement diabolisé. Et comme l’état et ses islamistes tentent d’effacer la part latine de notre identité et héritage, on entend les barbus islamistes se mettre en mode assassins à l’occasion de chaque début d’année, à l’occasion de chaque Yennayer.
        Le souci est que des gars sans doute bien intentionnés, comme Mas Chikh, jouent leur jeux sans le savoir.

  3. « notre grand linguiste Dr-Hanouz. …Ce dernier avait, pour rappel, créé une académie en 1964 ».
    Etes-vous sûr, monsieur Chikh, que « notre grand linguiste » a créé une académie en 1964 ? Si oui, elle s’appelle comment ?

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