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« L’affaire Ben Barka » : un demi-siècle de mensonges mis à nu

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Dans L’Affaire Ben Barka : la fin des secrets, Stephen Smith et Ronen Bergman livrent une enquête monumentale qui retrace, archives inédites à l’appui, les coulisses d’un crime où se croisent espions, barbouzes et diplomaties parallèles. Une plongée saisissante dans la fabrique du mensonge d’État.

Soixante ans après la disparition de Mehdi Ben Barka, l’ancien leader de la Tricontinentale, ces deux écrivains lèvent le voile sur l’un des mystères les plus obscures de la politique franco-marocaine. Pas seulement, il met en lumière des interconnexions jamais révélées jusqu’à présent.

Secret-défense

« A 12h15, l’opposant marocain et l’étudiant Azemouri tournent au coin de la rue du Dragon et du boulevard Saint-Germain en direction de la brasserie Lipp. Lopez qui reconnaît Ben Barka malgré son accoutrement, le signale à Souchon. L’inspecteur s’avance pour aborder l’opposant marocain devant l’hôtel Taranne. Il exhibe sa carte de police et lui demande s’identifier à son tour – ce que Ben Barka fait- avant de l’inviter, d’un geste en direction du porche de l’hôtel, à sortir du flot des passants. Azemouri s’apprête à montrer également son passeport et à suivre le mouvement, mais l’inspecteur lui dit : « Non, pas vous. Voulez-vous nous laisser un instant ? »… C’était la dernière fois que l’étudiant allait voir Ben Barka.

En fait, Mehdi Ben Barka, figure charismatique de l’Istiqlal était attiré en ces lieux. On lui « vend » une participation centrale dans un film militant, intitulé Basta. Un piège en réalité. Deux policiers viennent à sa rencontre. Quelques minutes plus tard, il disparaît. Ben Barka espérait une monarchie constitutionnelle, voire renverser le roi Hassan II, mais celui-ci avait toujours un coup d’avance.

Depuis, l’affaire le secret-défense et la raison d’Etat ont prévalu depuis 60 ans. L’assassinat de Ben Barka aura été entouré toutes ces années de fantasmes d’espionnage, de silences officiels, de dénis politiques les plus cyniques et de mensonges. Chaque génération croit toucher au cœur du mystère… avant que les ombres ne se referment. Il nous apprend notamment que Ben Barka travaillait pour le StB, les services secrets de la Tchécoslovaquie. D’ailleurs l’exploitation des archives de ces services aura été capitale dans la découverte d’un pan entier du parcours du leader marocain.

Brillant, Mehdi Ben Barka était un électron libre. Il croyait à son étoile. Il volait de capitale en capitale dans cette époque des années 60 où les pays nouvellement indépendants entendaient s’organiser et s’affranchir des anciennes tutelles coloniales.

Raconter l’indicible

Avec L’Affaire Ben Barka : la fin des secrets, les deux journalistes Stephen Smith et Ronen Bergman relèvent un défi que d’autres ont jugé irréalisable : démêler soixante années d’intox, de manipulations et de secrets partagés entre Paris, Rabat, Tel-Aviv et… Prague. Leurs sources ? Des archives restées verrouillées des décennies, des témoignages confidentiels de première main, et des documents issus d’administrations qui, longtemps, n’avaient aucun intérêt à rouvrir le dossier. Ce livre est un travail de longue haleine. Ecrit à l’américaine, avec des histoires invraisemblables dans ce récit central haletant qu’est l’enlèvement puis l’assassinat de Ben Barka.

Le résultat ressemble à une fresque d’espionnage où chaque détail compte. Un récit où l’on voit apparaître, comme sur une carte secrète, les ramifications d’une opération bien plus structurée que ce que l’on imaginait jusqu’ici. L’Affaire Ben Barka : la fin des secrets, nous apprend beaucoup de choses sur les régimes qui se piquent d’être démocratiques, mais surtout qu’on ne fraye pas avec les services étrangers sans risquer d’en payer le prix le plus élevé.

Le rôle des services marocains… et l’ombre incoupçonnable du Mossad

Hassan II était prêt à tout pour faire taire son ancien enseignant de mathématiques. Il aurait même proposé à l’Algérie de l’échanger avec le colonel Sadek qui s’était réfugié au Maroc en 1964 pendant la guérilla que menait le FFS contre le régime de Ben Bella et Boumediene. Toutefois, si Ben Barka était soutenu sous Ben Bella ce ne sera plus le cas après le coup d’Etat du 19 juin, selon les auteurs de ce livre.

Si l’on savait que les services marocains étaient au cœur de l’affaire, Smith et Bergman mettent en lumière un acteur resté dans l’ombre : le Mossad, le service de renseignement israélien. Loin d’un simple rôle périphérique, l’agence israélienne aurait participé à la logistique de l’opération, offrant moyens, expertise et couverture. Une collaboration née d’intérêts géopolitiques précis, à une époque où le Maroc et Israël entretenaient déjà des liens secrets. En contrepartie de cette implication logistique du Mossad, selon les auteurs, le roi Hassan II a offert à Israël les enregistrements de la réunion de la Ligue arabe qui a eu lieu le 13 septembre 1965 à Casablanca.

Cette révélation dit toutes les compromissions de l’époque. Ce n’est plus seulement l’histoire d’une disparition orchestrée par un régime autoritaire, mais celle d’une alliance stratégique qui déplace les frontières du récit.

La France, collatérale ou complice ?

On s’en doutait. Le livre le démontre : la France ne pouvait pas ne rien savoir. Entre services intérieurs débordés, police embarrassée et sommets de l’État tétanisés par la situation, Smith et Bergman dessinent une France coincée entre prudence diplomatique et compromissions tacites. Le récit, précis, montre comment un enlèvement en plein Paris a pu être rendu possible par une accumulation de renoncements.

Au fil des pages, l’image de la Ve République se fissure. Le « mystère Ben Barka » cesse d’être un accident de l’histoire : il devient un révélateur brutal des zones grises du pouvoir gaullien. Le livre rappelle le parallèle avec l’enlèvement du colonel Argoud, un des chefs de la sinistre OAS, en Allemagne vers la France.

Un livre qui bouscule la mémoire

Plus qu’une enquête, L’Affaire Ben Barka : la fin des secrets agit comme un électrochoc mémoriel. Il rétablit le rôle d’acteurs longtemps relégués au second plan — comme les généraux Ahmed Dlimi, Oufkir ou Chtouki (pseudonyme) — et propose une relecture de l’affaire qui oblige à dépasser les récits officiels. On y découvre un réseau d’intérêt qui, jusqu’à aujourd’hui, a réussi à masquer ses responsabilités. Il nous rappelle les basses œuvres de Hassan II. Le roi était prêt à tout pour garder son royaume : tirer sur les manifestants comme à Casablanca, ouvrir les pires centres de tortures, comme Tazmamart…

Le livre de plus de 500 pages publié chez Grasset ressuscite des parties ignorées de Mehdi Ben Barka : un intellectuel brillant, un stratège politique redouté, un homme dont l’aura révolutionnaire dépassait largement les frontières du Maroc.

Un polar bien réel

Ce qui frappe dans le travail de Smith et Bergman, c’est sa puissance narrative. Les deux auteurs passent au scalpel les moindres faits et détails. Toute la galaxie de personnages aussi interlopes les uns que les autres est présentée avec force détails. L’ouvrage se lit comme un roman noir international : faux papiers, voitures banalisées, rendez-vous clandestins, filatures, rivalités de services secrets… Mais ici, tout est vrai. Ou plutôt : tout est documenté, recoupé, vérifié. Comme pour ne pas laisser le moindre doute, les deux auteurs donnent leurs sources dans une partie « Note » particulièrement copieuse.

Ce livre est un vrai pavé dans la marre des pratiques sombres des services de renseignement. Faut-il s’en étonner ? Bob. Mais il nous oblige à regarder avec plus d’acuité les rapports qui régissent les régimes. Il brise, peut-être pour la première fois, un mur de silence qui survivait à tous les pouvoirs.

Et surtout, parce qu’il rappelle que Ben Barka n’a jamais été seulement une victime : il fut une voix qui dérangeait d’abord Hassan II mais aussi certaines capitales. Avec sa disparition, il y a eu celle de la Tricontinentale mais aussi une certaine idée de l’opposition marocain au règne du roi du Maroc. Maintenant qu’un important coin du voile est levé sur cet assassinat, quelle suite donner ?

Le Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka a été réactivé par Bachir Ben Barka, le fils du leader marocain afin de connaître toute la vérité. « Les éléments d’information existent. Au Maroc, où des témoins et des acteurs directs de cet assassinat sont encore en vie et refusent de parler. Aux Etats-Unis, où les dossiers de la CIA sur l’affaire sont volumineux. En France enfin, où le secret défense a toujours empêché la divulgation des documents permettant d’analyser le degré d’implication de l’Etat et des services secrets », avait-il déclaré au journal Le Monde

Yacine K.

L’Affaire Ben Barka : la fin des secrets, Stephen Smith et Ronen Bergman, Grasset éditions

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