Bénin : le pouvoir de Patrice Talon face à la tentation de l’État sécuritaire

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Bénin : le pouvoir de Patrice Talon face à la tentation de l’État sécuritaire

Au Bénin, la tentative de coup d’État avortée du 7 décembre sert désormais de révélateur — et peut-être de prétexte — à une dérive sécuritaire inquiétante. Ce qui devait relever d’une enquête judiciaire ciblée tend à se transformer en vaste séquence d’intimidation politique, dans un climat de suspicion généralisée où l’opposition apparaît comme la principale cible.

Après l’arrestation d’une trentaine de personnes, majoritairement des militaires, le pouvoir du président Patrice Talon a rapidement étendu le champ de l’enquête à des figures civiles et politiques. La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET), juridiction déjà très contestée pour son manque d’indépendance, se retrouve une nouvelle fois au cœur du dispositif répressif.

L’interpellation puis la libération sous convocation de Chabi Yayi, fils de l’ancien président Boni Yayi et cadre du parti Les Démocrates, marque un tournant symbolique. Aucun chef d’accusation n’a été rendu public, mais le message politique est limpide : nul, pas même l’entourage d’un ancien chef de l’État, n’est à l’abri.

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Plus grave encore, des informations persistantes font état du retrait de la garde rapprochée de Boni Yayi, leader historique de l’opposition et ancien président de la République. Même en l’absence de confirmation officielle, le simple fait que cette hypothèse soit crédible en dit long sur le climat actuel. Toucher à la sécurité d’un ancien chef de l’État, dans un contexte de tensions politiques extrêmes, relève d’un acte lourd de conséquences, tant sur le plan institutionnel que symbolique.

La question que beaucoup se posent, au Bénin comme au-delà de ses frontières, est simple : le pouvoir dispose-t-il réellement d’éléments probants impliquant Boni Yayi dans le putsch manqué, ou assiste-t-on à une instrumentalisation politique de la justice ? À ce jour, aucune preuve, aucun acte judiciaire, aucune communication officielle ne vient étayer une quelconque implication directe de l’ancien président.

Ce silence nourrit l’hypothèse d’une stratégie bien rodée : maintenir une ambiguïté permanente, laisser prospérer les soupçons, affaiblir l’opposition par la peur et l’isolement, tout en se retranchant derrière l’argument sacralisé de la « sécurité nationale ».

Depuis plusieurs années déjà, le régime de Patrice Talon est accusé de verrouiller l’espace politique, de marginaliser l’opposition et de réduire les libertés publiques. Le putsch manqué du 7 décembre pourrait alors apparaître moins comme une rupture que comme une opportunité : celle d’accélérer un processus de concentration autoritaire du pouvoir.

À l’approche d’échéances électorales cruciales, le risque est immense. En criminalisant l’adversaire politique, en plaçant l’opposition sous surveillance permanente et en fragilisant les figures historiques du pluralisme béninois, le pouvoir joue avec le feu. L’histoire récente du continent africain montre que l’étouffement politique au nom de la stabilité débouche rarement sur la paix durable.

Le Bénin, longtemps présenté comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit la justice éclaire les faits avec transparence et indépendance, soit le pays s’enfonce dans une logique de peur et de répression, où toute contestation devient suspecte, et toute opposition potentiellement criminelle. Comme au demeurant la plupart des pays du Sahel, accaparés par des pouvoirs militaires autoritaires.

Mourad Benyahia 

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