Jeudi 1 août 2019
Naoufel Ibrahimi El Mili : « Les pays du Golfe espèrent un chaos pour pouvoir jouer aux sauveurs »
Naoufel Brahimi El Mili. Crédit photo : Zinedine Zebar.
Naoufel Brahimi El Mili, docteur en sciences politiques, spécialiste du monde arabe et auteur de plusieurs ouvrages dont «le printemps arabe : une manipulation ?», ou encore «France Algérie 50 ans de d’histoires secrètes» tome 1 et 2 aux éditions Fayard, répond à certaines questions d’actualité dans cette phase historique que traverse l’Algérie
Le Matin d’Algérie : La position française par rapport aux évènements qui se déroulent depuis quelques mois en Algérie, ce mutisme inhabituel et cette hésitation à s’exprimer du gouvernement français, soulèvent des questionnements, qu’en pensez-vous ?
Naoufel Brahimi El Mili : La France est silencieuse depuis un certain nombre de semaines et tente de faire oublier son soutien jusqu’au-boutiste à Bouteflika.
C’est en France qu’a eu lieu la concertation qui a donné naissance au communiqué publié le lundi 11 mars 2019, attribué à Bouteflika, et qui a annoncé l’annulation des élections. C’est une décision anticonstitutionnelle prise en concertation avec la France. Ça n’a pas fonctionné.
Bouteflika démissionne, la France a préféré être silencieuse. Néanmoins la France a réagi par la voix de son ambassadeur accrédité à Alger à la décision de remplacer la langue française par la langue anglaise dans l’enseignement supérieur. Elle a regretté cette décision qui s’apparente plus à une annonce. Elle vise à chauffer à blanc les étudiants qui vont reprendre le chemin de l’université dès l’automne prochain. Car un tel remplacement, pour ne pas dire le grand remplacement, nécessite des moyens humains considérables. Les seuls pays en mesure de fournir des enseignants en langue anglaise, à un coût raisonnable, seraient l’inde et le Pakistan. Au-delà du fait que l’on s’éloignerait de la langue française, on se rapprocherait plus d’un anglais asiatique que d’un anglais traditionnel. L’expérience ancienne, qui a consisté à fait venir des enseignants égyptiens et syriens, pour l’enseignement de la langue arabe devrait nous servir de leçon. L’une des conséquences de cette décision a été l’islamisation de la jeunesse algérienne.
En optant pour une telle option en ce qui concerne la langue anglaise, on se retrouverait forcément face à des musulmans pakistanais ou indiens. On connaît la doctrine religieuse ambiante au Pakistan, moins celle de l’inde mais l’on peut logiquement penser qu’elles se rapprochent. Devant l’annonce d’une telle catastrophe, la France se devait de réagir comme beaucoup de responsables et d’intellectuels algériens. Je salue d’ailleurs, la chronique de Mohamed Kacimi, intitulée « le français est une langue algérienne ». La preuve est que cette échange se déroule dans la langue de Molière, pas dans celle de Shakespeare. On ne peut pas d’un coup de baguette magique chambouler un système éducatif qui a connu une suite d’échecs ; ce serait sa condamnation définitive.
Le Matin d’Algérie : Pourquoi voudrait-on chauffer à blanc les étudiants ?
Naoufel Brahimi El Mili : Le gouvernement Bedoui est celui qui cultive le marasme. Faut-il rappeler que le gouvernement Bedoui a été nommé par Bouteflika ? Il est toujours en place. Et c’est ce gouvernement-là qui met des bâtons dans les roues. C’est aussi ce même gouvernement qui a fait arrêter les manifestants. C’est le ministre de l’Enseignement supérieur qui a pris la décision de passer à l’anglais. Et ce dernier est sous les ordres de Bedoui. Intervenir sur un programme universitaire ce n’est pas le rôle du commandement de l’armée. Je refuse de le croire. L’armée n’est jamais intervenue sur un programme scolaire ou universitaire. Ce n’est pas dans ce contexte tendu, que l’armée va innover. C’est impossible et impensable selon moi.
Le Matin d’Algérie : Vous suggérez donc, que c’est le gouvernement Bedoui qui a ordonné l’arrestation des manifestants et pas l’institution militaire ?
Naoufel Brahimi El Mili : Oui quand on observe bien la chaîne de commandement. C’est la police qui a procédé aux arrestations et non la gendarmerie. C’est la police, à l’aide de ses pouvoirs judiciaires qui a criminalisé le délit.
Le Matin d’Algérie : Selon vous le gouvernement Bedoui agit à contresens de l’institution militaire ?
Naoufel Brahimi El Mili : Il fait du zèle. A partir d’une déclaration surprenante, qui est celle de l’interdiction du drapeau amazighe, on fait du zèle et on ternit l’image du commandement militaire. Il se trouve qu’à la date du 20 juin, jour de cette déclaration, l’image du commandement militaire était plutôt positive, à tort ou à raison, suite à l’arrestation du très peu populaire Ouyahia, Sellal et autres. Immédiatement après les arrestations de jeunes manifestants, l’image du commandement militaire est entachée. Ces arrestations, avec la qualification du délit comme criminelle, est l’œuvre du gouvernement Bedoui.
Le Matin d’Algérie : La France a gardé une réserve prudente depuis les dernières déclarations de son ministre des Affaires étrangères qui remontent au début du mouvement. Pourquoi ce silence selon vous ?
Naoufel Brahimi El Mili : La France est entre le marteau et l’enclume. Elle cherche à préserver sa position en Algérie. La France a réalisé que ses intérêts, fortement liés au système Bouteflika, notamment à travers les actions de Bouchouareb, qui était l’homme d’influence des Français dans le pouvoir algérien, étaient menacés. Elle tient à retomber sur ses pieds, sauvegarder ses ancrages. Ce qui devient assez complexe car on est entré dans une espèce de surenchère de part et d’autre de la Méditerranée. Les relations à haut niveau n’ont eu lieu qu’à la mi-juin lorsque Salah Goudjil s’est rendu à Paris, et lors de la rencontre à Tunis entre Macron et Bensalah, Président par intérim lors des funérailles de Béji Caid Essebsi.
Le Matin d’Algérie : Justement, que penser de la rencontre à Tunis entre Macron et Bensalah ?
Naoufel Brahimi El Mili : Qu’aurait on dit si Macron avait évité Bensalah ou que Bensalah avait évité Macron. Ils étaient dans la même capitale, la même salle ils ne pouvaient que se parler.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous une idée de la teneur de leurs discussions ?
Naoufel Brahimi El Mili : Je pense que dans de telles circonstances de deuil, étant des hommes politiques polis et avisés de part et d’autres, ce n’était que du convenu. Mais Macron, qui a le profil de quelqu’un qui veut changer le monde, plus que celui d’un agitateur, et dont le slogan est « le nouveau monde » a dû évoquer la reprise de la légalité. J’affirme cela en me basant sur les propos de l’ambassadeur de France, accrédité à Alger, qui a signalé l’urgence de l’élection d’un président légitime.
Le Matin d’Algérie : Mais cette déclaration a été rapporté par un média (Maghreb Emergent), faisant état d’un rapport transmis par l’ambassadeur de France au Quai d’Orsay dans lequel il préconisait l’élection d’un président afin d’éviter d’éventuelles dérives…
Naoufel Brahimi El Mili : A ma connaissance je n’ai pas lu de démenti, cette information est donc plausible pour ne pas dire vrai et parait logique. Un ambassadeur ne peut pas faire de déclaration à l’encontre d’une décision, prise conjointement, par le commandement militaire et le Président par intérim Abdelkader Bensalah.
Le Matin d’Algérie : L’Ambassadeur de France a été cité comme ayant pris part à une réunion avec deux ex-chefs des renseignements, Saïd Bouteflika et Zeroual sans que Paris ne trouve à redire…
Naoufel Brahimi El Mili : C’est faux et tellement gros ! On ne dément pas une information surréaliste. C’est le bon sens qui agit. Zeroual, depuis sa retraite, n’a rencontré aucun officiel français. C’est sa ligne de conduite. Il ne va pas prendre le risque de la changer à son âge. De part et d’autre, cela ne méritait aucun démenti.
Le Matin d’Algérie : De quelle nature sont les relations entre les dirigeants français et le pouvoir algérien actuel ?
Naoufel Brahimi El Mili : Même dans l’un des pires moments de l’histoire des deux pays, lorsque sous Giscard, une officine française a posé des bombes en Algérie, en décembre 1975, les relations n’ont pas été interrompues et elles ne le seront jamais. Des relations à minima subsistent quel que soient les conditions. Ce qui a changé en France, sous François Hollande et perduré sous Emmanuel Macron, c’est une implication plus franche des militaires dans la gestion de la politique arabe. Cette évolution a débuté lors du lancement de l’opération Serval, devenu l’opération Barkhane. Ce sont les militaires français qui soutiennent Idriss Déby, le président tchadien, au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle. Comme chacun le sait, il est maintenu grâce à l’appui des militaires français. Ces derniers, ont besoin de la logistique algérienne pour le Sahel. Ils titillent l’armée algérienne avec le G5 Sahel, qui est une force hétéroclite, officiellement de lutte contre le terrorisme, pour ne pas dire le contraire, mais qui quelque part tend à séparer l’Algérie du Sahel. Il y a comme une certaine ambivalence. La diplomatie française connait une cohabitation curieuse entre le Quai d’Orsay et le Ministère de la Défense français. Ils ne sont pas forcément au même diapason.
Le Matin d’Algérie : Que pensez-vous de la criminalisation du colonialisme français lancé par l’ONM ?
Naoufel Brahimi El Mili : C‘est un vieux projet, porté jadis, à bout de bras par feu Bachir Boumaza, président de la Fondation du 8 Mai 1945. L’ONM ne fait que le perpétuer. Le pied a été levé lors des négociations sur le traité d’amitié franco-algérien, durant le deuxième mandat de Bouteflika, qui s’est heurté à la loi française de février 2004 concernant les bienfaits du colonialisme. Ce qui a eu pour conséquence l’annulation du traité. A la fin du mandat de Sarkozy, les relations sont devenues exécrables. On réchauffe ce vieux plat en cas de nécessité politique mais on ne peut pas nier que Macron président se situe à posteriori, en contradiction avec Macron candidat, qui a bel et bien reconnu publiquement que le colonialisme était un crime contre l’humanité
Le Matin d’Algérie : Vous êtes donc, quelque part, pour la criminalisation du colonialisme ?
Naoufel Brahimi El Mili : Je suis surtout pour que l’ex-candidat Macron soit cohérent avec le Président Macron. Cette contradiction m’interpelle.
Le Matin d’Algérie : Les dirigeants français sont-ils en phase avec l’attitude adoptée par leurs homologues émiratis en ce qui concerne la question algérienne ? Attitude qualifiée, par bon nombre d’observateurs, comme négative et hostile à la protesta. Comment se positionnent-ils par rapport aux émirats s’agissant des évènements qui se déroulent en Algérie actuellement ?
Naoufel Brahimi El Mili : D’abord un peu d’histoire. Les Emirats arabes unis ont vu le jour en décembre 1971. Le Qatar devait être le 8ème émirat mais la famille Al Thani a refusé d’être sous la férule de Cheikh Zayed Al Nahyane. Il existait une frontière, séparant le Qatar des Emirats. Après la première guerre du Golfe, l’Arabie Saoudite a enclavé le Qatar et mordu sur le territoire émirati. Les Emirats depuis, sous le contrôle de Cheikh Zayed Al Nahyane, pour lequel l’Arabie Saoudite, traditionnellement pro-américaine, représentait une menace a été poussé à adopter une politique militaire pro-française. Ce qui a conduit à la création de la première base française dans le Golf, basée aux émirats. Face à la menace iranienne la position émiratie a évolué.
Les Emirats, ont fini par se coaliser avec l’Arabie Saoudite. Ils sont devenus, géographiquement, comme un immense porte-avions face à l’Iran. On en est là aujourd’hui. François Hollande et après lui Macron, pour des raisons de commande militaire et de budget ont joué le jeu des Emirats et de l’Arabie Saoudite. Depuis, MBS soutenu par les émiratis, a réussi la prouesse de faire le ménage au sein de la famille royale. Aujourd’hui, il y a un axe Arabie Saoudite – EAU au dépend du Qatar. La France joue sur cet axe-là qui intervient en Afrique du Nord. D’abord, en Egypte où le coup d’état de Sissi a été porté à bout de bras par les émiratis puis ensuite en Libye évidemment. La France laisse faire, pire que cela, elle est complice. En ce qui concerne l’Algérie les Emirats, afin d’étendre leur contrôle, ont intérêt à ce qu’un chaos partiel ou relatif s’installe en Algérie.
Le Matin d’Algérie : Ils n’auraient pas plutôt intérêt à voir émerger un régime autoritaire ?
Naoufel Brahimi El Mili : Ils espèrent d’abord un chaos pour pouvoir jouer aux sauveurs. En Egypte quand Sissi, a fait son coup d’état, ils ont débloqué 10 milliards de dollars. On ne peut intervenir que dans un pays faible et aujourd’hui l’Algérie n’est pas faible.
Le Matin d’Algérie : vous insinuez donc que les Emirats œuvrent pour un chaos afin de pouvoir intervenir ?
Naoufel Brahimi El Mili : Je ne saurais vous décrire la manière avec laquelle ils s’y prennent, en revanche si l’on se réfère à leurs antécédents égyptiens, libyens, sans parler du Yémen qui est une problématique à part, c’est leur logique et leur démarche. Un chaos à minima, partiel, qui affaiblirait le pays serait le bienvenu afin de leur permettre d’intervenir. Un chaos massif déstabiliserait le Maroc, grand allié de l’Occident, ainsi que la Tunisie et provoquerait des flux migratoires. Ce n’est dans l’intérêt de personne.
Le Matin d’Algérie : Comment les pays du Golfe, hormis les Emirats, perçoivent la protesta algérienne ?
Naoufel Brahimi El Mili : Historiquement le terme hirak est apparu en mai 2007 au Yémen, un mouvement séparatiste outil, qui se dénomme El Hirak El Djanoubi. Ce terme yéménite, et on sait ce qu’est devenu le Yémen, a été téléchargé depuis plus de deux ans, par les chaines satellitaires golfiotes au Maroc pour qualifier les révoltes dans le Rif marocain. Il porte une connotation séparatiste qui est occulté, même un peu trop. Il a été téléchargé par les chaînes satellitaires de la même façon pour qualifier ce qui se passe en Algérie. L’idée de la monarchie wahhabite et des Emirats se résume ainsi ; les populations d’Afrique du nord ne sont pas arabes ; leur origine berbère est incontestable ; on introduit une logique séparatiste, particulièrement au Maghreb dans lequel les fédéralistes pourraient prendre le relai. Ils ont la conviction que le ciment qui liera toutes ces futures entités et qui renforcera l’autorité de l’Arabie Saoudite sera l’islam. L’Arabie Saoudite joue sur le leadership religieux. Que l’on veuille ou non, l’Arabie Saoudite abrite, sur son territoire, la Mecque. Ce qui lui confère incontestablement une centralité religieuse.
Le Matin d’Algérie : En fin de compte, les séparatistes jouent-ils le jeu de l’Arabie Saoudite et des Emirats ?
Naoufel Brahimi El Mili : Oui, involontairement. Une fois la déferlante religieuse arrivée aux portes de ces petites entités, soutenues par les pétrodollars, la combattre sur un territoire morcelé serait quasiment impossible. Cependant grâce à une intégrité territoriale la résistance serait plus aisée.
Le Matin d’Algérie : Passons à l’actualité nationale. Vous savez que l’on parle beaucoup de dialogue. Un panel qui se dit ne pas représenter la protesta a été mis en place afin de tenter une sortie de crise, en servant d’intermédiaire entre la présidence, l’état-major, la société civile, les partis politiques, ce qui ne semble pas très clair et paraît plus ou moins flou pour le commun des mortels ; quelle est votre appréciation ?
Naoufel Brahimi El Mili : Cette question est floue car le pouvoir algérien a toujours été opaque. L’opacité y est une règle. C’est cette précieuse opacité qui a permis au pouvoir de survivre. Ensuite la difficulté de trouver un panel dénote de l’inexistence de corps intermédiaires. Le corps intermédiaire ès qualités aurait dû être la centrale syndicale ou d’autres centrales. Mais l’UGTA sous le sinistre Sidi Said s’est décrédibilisée. Les associations de la société civile ont été ignorées par le pouvoir durant de longues années. Donc il n’y a pas de corps intermédiaire. Selon moi, la protesta du 22 Février n’est plus le même que celle des derniers vendredis. Le 22 Février le mot d’ordre était pas de cinquième mandat ensuite pas de quatrième mandat bis. Bouteflika est parti, et là fort de cette victoire, qui en est une effectivement, on a adopté des positions maximalistes pour dire système dégage.
Le Matin d’Algérie : Etes-vous contre le dégagisme ?
Naoufel Brahimi El Mili : Non, je suis contre le dégagisme outrancier. Car il ne faut pas rêver. S’attendre à ce que les tenants du pouvoir remettent les clefs aux repentants de la protesta, que l’on a du mal à cerner est une utopie. Il faut rentrer dans une phase de dialogue. J’interprète les appels au dialogue lancés par le pouvoir et la présidence ou le commandement militaire, comme étant un signe de fragilité. Plus le pouvoir appelle au dialogue plus il se fragilise. Et à cet instant c’est le moment de négocier. Il ne faut pas pousser le pouvoir dans ses derniers retranchements. Un pouvoir aux abois ne négocie plus. C’est ce moment critique de rupture qu’il faut éviter
Le Matin d’Algérie : Donc d’après vous il faudrait se mettre autour d’une table et négocier. Mais de quoi exactement ? D’une présidentielle ? D’une période de transition ?
Naoufel Brahimi El Mili : Une période de transition consiste à désigner, en dehors des urnes, deux trois ou cinq personnes respectables afin de gérer cette période. Au sommet de l’Etat comme à celui l’entreprise quand il y a trois chefs il y a zéro chef. L’objectif d’une telle transition est de débattre de la constitution. L’exemple tunisien est édifiant. Il a coûté au pays deux ans et demi d’économie dont la Tunisie ne s’est pas relevé. Le temps c’est de l’argent. Rentrer dans une constituante et perdre trois ans à l’économie algérienne, déjà affaiblie par vingt ans de gabegie et un genou à terre semble être un pari risqué. Alors qu’aujourd’hui, le pouvoir est fragile et disposé à donner des garanties de transparence. Bien sûr tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait d’abord libérer les détenus d’opinion, avant d’entreprendre un quelconque dialogue.
Le Matin d’Algérie : Le gouvernement Bedoui également paraît être un obstacle de taille ?
Naoufel Brahimi El Mili : Oui, effectivement le gouvernement Bedoui pose problème. Mais je pense et j’espère que dès lors que des négociations sérieuses et crédibles verront le jour le gouvernement Bedoui s’effacera. Je n’aime pas faire du name droppping (donner des noms), mais je suis surpris que l’on ait oublié de faire appel à une personne respectable et respecté tel qu’Ahmed Djebbar. Professeur émérite et unique trilingue de la garde rapprochée de feu Mohamed Boudiaf lors de son accession à la présidence du HCE en 1992, il avait dans ses cartons le projet de deuxième république. Tout le monde attribue cette idée au candidat Ghediri, mais il faut rendre à César ce qui appartient à César. Ce sont les équipes de Boudiaf qui ont été les premières à travailler sur ce projet et il me paraît judicieux de les consulter.
Le Matin d’Algérie : Un panel de treize personnes a été annoncé et l’on se retrouve aujourd’hui avec à peine 5 personnes ; des personnalités comme Taleb Ibrahim, Bouchachi, Mokrane Aït Larbi, Mouloud Hamrouche ont décliné l’invitation. Ces défections ne discréditent-elles pas le dialogue ?
Naoufel Brahimi El Mili : D’après ce que j’ai compris certains noms ont été cités dans le panel sans qu’ils soient consultés. Le refus est logique quand on impose le dialogue a des personnalités sans les concerter. C’est une maladresse, une faute de goût et une manœuvre curieuse. Bien sûr, certaines d’entre elles ont refusé parce qu’elles sont animées d’ambitions personnelles légitimes ? De plus le dégagisme dans lequel campent un très grand nombre de hirakistes effraie beaucoup de personnalités : c’est à dire je pointe mon nez, on me traite de traître. Ce qui refroidit les gens.
Le Matin d’Algérie : Pour conclure, comment voyez-vous l’issue de cette crise ?
Naoufel Brahimi El Mili : Cette crise peut devenir plus complexe à la rentrée sociale. Personne ne parle d’économie. Je n’ai entendu aucun membre du panel y faire allusion. Les étudiants qui devront se soumettre à la décision d’étudier en langue anglaise et qui seront inquiets pour leur devenir verront leur mécontentement croître et leur colère gronder de plus belle. Le ralentissement de l’économie durant ces dix derniers mois est annonciateur de crises financières dans les ménages. Et là, le fameux silmya silmya risque de ne plus être d’actualité.
Le Matin d’Algérie : Et l’attitude de la France par rapport à cette situation ?
Naoufel Brahimi El Mili : La France observe, dans plusieurs villes françaises l’existence du hirak à travers des rassemblements pacifiques. C’est le fait de binationaux. Ce sont aussi des électeurs français et la France regarde dans ce sens-là. Je rappelle tout simplement que tous les candidats sérieux ont fait le voyage à Alger : François Hollande et Emmanuel Macron. Ce qui leur a réussi. Donc ils ne vont pas froisser cet électorat qui est considérable.