Samedi 29 juin 2019
XIXe marche : l’insondable bonne foi perdue
C’est une chaude journée et des forces de l’ordre hostiles qu’affrontent les marcheurs ce vendredi 28 juin. La traditionnelle marche de joie et de sourire se transforme en une piètre chasse au drapeau amazighe.
Dès le début de la journée des manifestants sont interpellés, les sacs fouillés, les drapeaux confisqués et les récalcitrants embarqués. Au niveau du siège du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) un militant explique : le bâtiment abritant le parti est encerclé dès 6 heures du matin ; vers 10h30 les manifestants qui scandent des slogans sont dispersés par des policiers à coups de tasers ; Fetta Sadat députée RCD est trainée sur l’asphalte avant d’être embarquée ; une élue RCD de l’APEW de Tizi-Ouzou ainsi que deux autres militants subissent le même sort.
Samira Messouci, élue APW du RCD arrêtée vendredi à Alger.
Les manifestants qui descendent la rue Didouche-Mourad, en cet ardent début d’après-midi, écarquillent les yeux en apercevant ce gigantesque dispositif policier déployé le long de la rue.
La place Audin, lieu de rencontre privilégié des manifestants, est occupée par les forces de l’ordre. Des véhicules de police sont disposés à la queue leu leu le long des trottoirs. Les marcheurs voient leur parcours se rétrécir au fil des semaines. Ils sont en colère et répètent leur détermination à ne pas cesser leurs marches jusqu’à la victoire d’un des deux belligérants : eux ou le pouvoir.
Le slogan « dawla madania machi 3askaria » (Etat civil et pas militaire) devient « dawla madania machi policia » (Etat civil et pas policier). On répete : « irhalou irhalou » (allez-vous en) ; « matkhaoufounech ya el3isabat » (vous ne nous faites pas peur les gangs).
Un jeune homme est interpellé par un groupe de jeunes policiers grâce à la technique de l’encerclement, qui consiste à encercler la personne et ainsi la séparer des autres, comme l’explique une dame ; elle précise par ailleurs que même durant les années 90 les éléments des forces de l’ordre n’avaient pas atteint ce degré de professionnalisme.
Une succession de 48 drapeaux nationaux représentant chaque wilaya du pays, rattachés les uns aux autres, constituent un étendard géant d’une centaine de mètres qui est porté par des jeunes de la place du 1er Mai jusqu’à la Grande Poste.
Ils chantent l’unité entre tous les Algériens et ils revendiquent leur amazighité. Au niveau de la Grande poste des gaz lacrymogènes sont tirés, ce qui crée un mouvement de panique. On larmoie, certains distribuent du vinaigre. Les drapeaux amazighe, dissimulés durant le parcours sont exhibés au milieu de la foule par les marcheurs afin d’éviter d’être appréhendés. Les policiers se fraient un chemin et les arrachent.
La cible principale reste le chef d’état-major. On invente d’autres expressions : « eliad fliad ennahou el 3issaba ou nzidou el Gaid »(main dans la main on enlèvera le gang mais aussi Gaid Salah) ; adieu Gaid Salah.
Le dernier discours du premier responsable de l’armée dans lequel il s’engage à accompagner le peuple dans la réalisation de ses aspirations est en décalage avec les agissements des forces de l’ordre.
Pendant que les jeunes joueurs de l’équipe nationale de football accomplissent une brillante prestation dans le pays d’El-Sissi, ébranlé par trois malheureux supporters algériens, hissent haut et fort les couleurs nationales, d’autres jeunes sont persécutés et enfermés pour port de drapeau dans celui de la révolution du sourire.
Les marcheurs redisent chaque semaine leur volonté. Ils se demandent s’ils sont entendus.
Ils commencent à avoir de sérieux doutes s’agissant des réels desseins de ceux qui les gouvernent. Sachant que le règlement de tout conflit entre deux parties dépend essentiellement de la bonne foi de chacun ils ne cessent de se poser cette légitime question : le chef d’état-major est-il de bonne foi ? Eux n’ont pas cessé de l’être ; ils ont appelé maintes fois le vieux général à les rejoindre. Ils ont gardé espoir jusqu’à la dernière seconde de le voir embrasser leur cause. Ils y ont cru.
Mais aujourd’hui, 28 juin, compte tenu de ce qu’ils ont vécu, la confiance n’est pas au rendez-vous. Le divorce entre les deux parties semble définitivement prononcé, l’insondable bonne foi du chef d’état-major semble en être la cause.