Mardi 9 mars 2021
Moh Saïd Oubelaïd, destin dramatique d’un patriote authentique
Qui n’a pas, un jour ou l’autre, fredonné « Ay itbir siweḍ-asen slam i warrac akw n tmurt-iw », ce refrain du tube intemporel «Idurar Leqbayel» de Moh Saïd Oubelaïd ?
Dans les années 1960, il était diffusé sur les ondes de la chaîne 2 plusieurs fois par jour, matin après midi et soir, tant la structure émotionnelle qui la compose ne peut laisser insensible ou indifférent.
Quelques éléments biographiques
Moh Saïd Oubelaïd est né en 1923, dans la commune de Bounouh (Tizi-Ouzou). Exclu de l’école après une querelle avec un fils de Caïd il se consacre aux travaux des champs et devient berger, à l’instar des jeunes de son âge non scolarisés.
À l’âge de 15 ans, il rompt avec ce train de vie pour atterrir à Alger où il travaille comme garçon de café à El-Harrach où il fait la connaissance de Dahmane El Harrachi.
Au mois de juin 1946, il quitte sa famille et embarque pour la France par bateau, pour une traversée de trois jours. C’est à Issy-Les Moulineaux (Dans le 92) où son frère aîné gérait un café qu’il entra de plain-pied dans le monde de la chanson.
Là-bas (ici) en terre d’exil, il travaille dur et s’occupe des activités politiques en tant que militant du PPA (Parti du Peuple Algérien).
Alors qu’il vit à Issy-les-Moulineaux, il tombe amoureux d’une Française avec qui il fonde une famille. De cette union naissent cinq enfants.
En 1953, il enregistre cinq disques à la maison Philips dont « Barka-k tissit n crab (Mets fin à la consommation d’alcool) ». Selon lui, l’alcool empêchait la prise de conscience révolutionnaire.
Il fut le premier chanteur algérien à être édité par la prestigieuse maison Philips. Il enregistre ensuite chez Pathé-Marconi.
Militantisme de première heure
Après le déclenchement de la guerre de libération nationale, il revient au pays pour rejoindre le maquis. Krim Belkacem le réoriente vers la communauté émigrée : « Toi, tu ne dois pas être au maquis, tu es chanteur et tu peux te déplacer à ta guise en France ; la Révolution a besoin de toi là-bas pour sensibiliser par le verbe et aider avec l’argent » lui dit-il.
En bon militant de la cause nationale, il repart une nouvelle fois à Paris où il devient patron d’un café qu’il transforme en lieu de rencontre de tous les artistes, et servait également de gîte pour les militants du FLN. Il eut des démêlés aussi bien avec les militants du Mouvement National algérien qu’avec la police française, qui l’arrêta en 1958, alors qu’il était accompagné de son fils Amar (4 ans), faisant des achats au monoprix de Boulogne-Billancourt. Il passe deux ans dans les prisons de Boulogne-Billancourt, d’Annaba et de Constantine.
Tous ses biens furent saisis par la police française, et sa femme et ses enfants furent pris en charge par la Croix Rouge française.
Il n’est autorisé à revenir en France qu’à la fin des années 1960.
À l’indépendance, il se consacre pleinement à l’art en produisant une multitude de chansons, dans lesquelles il chante la misère, les souffrances de ses compatriotes, la nostalgie et l’amour. Parmi ses nombreux succès, son inclassable : « Idurar Leqvayel», un titre, un refrain qui ne prend pas une ride plus de 50 ans après, et que nous vous proposons ci-après.
Un hommage, sous forme de périple, à la Kabylie dans lequel il met en relief les affres qu’elle a subies durant la guerre de libération. On se demande d’ailleurs comment telle chanson explicite de la lutte pour la liberté sur le terrain n’avait pas été censurée par les affidés de Boumediene et le clan d’Oujda, eux qui voulaient faire croire, à qui voulait les entendre, que le pays acquit son indépendance grâce à leurs combats aux frontières.
Fin tragique
Certainement déçu des allures d’une indépendance confisquée, lui qui s’était consacré corps et âme à la lutte de libération, il quitte la Kabylie et séjourne en France jusqu’en 1980.
Les dernières années de sa vie dans son pays, il les passe dans des conditions difficiles. Un drame familial l’ayant obligé à quitter les siens, il se retrouve livré à lui-même, vivant dans des hôtels, menant une vie de troubadour, sans la moindre considération ou prise en charge par les autorités (un moudjahid de plus qui n’a jamais bénéficié du butin de guerre confisqué par le clan d’Oujda) jusqu’à sa mort dans des conditions troubles.
Son corps a été découvert le 3 mars 2000 au lieu-dit sidi Koriche, à proximité d’Azeffoun.
Selon les témoignages de nombreux citoyens, rapportés par des quotidiens algériens, notamment dans l’édition de Liberté du lundi 6 mars 2000, Moh Saïd Oubelaïd aurait été assassiné. Son corps n’a été retrouvé, de façon fortuite que quatre jours plus tard, à moitié enseveli, au bord de la mer.
Il sera inhumé, après une enquête et formalités d’usage, le dimanche 5 mars, dans son village natal.
« Idurar Leqbayel », Monts de Kabylie
Colombe, porte-leur mon salut
À tous les enfants de mon pays
Ceux des monts de Kabylie
Là où mes frères sont tombés
Lethnine Issers Chabet
Face à la brise de la mer
Là tu trouveras la vérité
Du sacrifice pour la patrie
Salue-les tous de ma part
Enfants jeunes et vieillards
Les fils de Tizi-Ghenif
N’oublie pas de les inciter
Diplomatie dignité et humilité
Souk-El-Had et Beni-Amrane
Que d’adversité ils ont subit
Villages transformés en ravins
Ô mon pays que j’aime tant
Ô toi qui m’est très cher
Ton nom c’est Dra-El-Mizan
Que d’hommes dignes tu as enfanté
Contrée qui a bien lutté
C’est beau de chanter pour toi
Par-delà la montagne
De Tazmalt entame ta promenade
Aux monts de la Soummam
Là où la lutte a commencé
D’Akbou à Béjaïa
Ses hommes sont incroyables
Essuie-leur les larmes
Lave-les de leurs blessures
Continue vers le mont Haizer
Bouira et Palestro
À Boghni, passe par la plaine
Vers Maâtkas et Mirabeau
Combien pour la liberté sont tombés
Quand nous pensons à eux nous pleurons
Sans oublier Ath Smail
C’est ma bourgade j’y suis né
Je te prie de te presser
Rends visite à ceux que j’aime tant
Ben-Abderahmane, le saint
Nous sommes malades guéris-nous
Continue vers Ait-Kouffi
Ath-Ali et M’3ala
Ath-Mendes Ath-Bouɣardan
Vers El-Thnine tout droit
Mechtras et les Ouadhias
Surplombant Ighil-Imoula
Continue encore vers Bouaddou
Oumeri se trouvait là
Tu arriveras à Ath Ouacif
Les combats y furent extrêmes
Visite-les, tu arriveras
Au patelin de Beni-Douala
D’Ath Irathen à Michelet
Là il y a eu des balles par giclées
De Tassaft à Ath Yanni
C’est le pays d’Amirouche
Dieu, faites qu’il soit préservé
Des asticots qui peuvent le ronger
Tu iras à Azazga
D’Azzefoun à Ath Idjer
Ils ont mis l’ennemi en déroute
Ils lui ont fait boire le fiel
Sois avec eux, ô Seigneur
Grande est l’aide du Ciel
Arrivé à Tizi-Ouzou
Aux gradins du stade assieds-toi
Au match de la JSK tu assisteras
Ses joueurs volent comme des oiseaux
Combien son nom est cher
De sa gloire nous sommes fiers.