Vendredi 12 mars 2021
Cheikh Arab Bouzgarene : un aller simple vers son destin
Communément appelé Cheikh Aarav, Arab Bouzgarene est né le 27 mai 1917, à Djemâa-Saharidj, village situé à une trentaine de kilomètres à l’Est de Tizi Ouzou.
Il passe son enfance et une partie de son adolescence dans son hameau natal.
En 1942, à tout juste 15 ans, il part à Alger où il rencontre El Hadj M’hamed El Anka dont il intègre la troupe.
Il émigre en France, en 1946, et rencontre plusieurs artistes. Notamment Cheikh El-Hasnaoui, Slimane Azem, Bahia Farah, Fatma Zohra, et bien d’autres.
En 1950, Cheikh Arab sort sa première chanson, Anfas anfas. C’est sur le thème de la séparation et de l’exil qu’il entame son parcours. Le succès est immédiat. Ce titre atteindra rapidement une popularité sans précédent. Elle est d’ailleurs reprise par de nombreux chanteurs. Parmi les nombreuses versions qui méritent le détour, citons la récente reprise du jeune Kamel Rayah.
Après avoir interprété plusieurs titres incontournables, il meurt le 2 avril 1988 et repose au cimetière de Massy (France).
Encore un artiste qui disparaît loin de sa terre natale sans que personne ne songe à rapatrier ses restes et lui ériger une monument à la mesure de son talent.
Il faut rappeler aux jeunes générations qu’émigrer, à l’époque, c’était laisser sa femme en pleurs et en détresse. C’étaient aussi des parents qui vous poursuivent jusqu’à ce que vous preniez place dans un taxi ou l’autobus pour vous souhaiter un bon voyage, un retour rapide, et surtout de l’avoir plein les poches. La plupart prennent le bateau, le périple en mer durant presque trois jours.
En son absence, au bout d’un an, on guettait l’autobus, quasiment chaque jour, dans l’espoir d’un retour illusoire.
Il faut aussi savoir qu’en ces temps-là, il n’existait pas de regroupement familial. D’ailleurs, les maigres moyens n’auraient pu le permettre. Les émigrés vivaient dans des chambres d’hôtel insalubres, avec pour meuble unique un lit, généralement sans chauffage et sans eau. Des toilettes communes très sales,…Ils travaillaient souvent à l’usine ou faisaient du porte-à-porte pour vendre des tapis.
Pour l’anecdote, le Gaulois de souche désignait souvent ces vendeurs de tapis par la formule avilissante « mon-zami » !
Leur unique passe-temps, c’était le tiercé du dimanche, l’illusion du gain facile en bandoulière, car l’unique rêve de l’émigré, c’était de faire fortune et rentrer pour construire une maison et vivre le restant de ses jours parmi les siens. Un rêve qui ne se réalise malheureusement quasiment jamais. L’artiste ne vivait jamais de son art. La plupart étaient ouvriers, comme tout le monde.
Cheikh Arab Bouzgarene laissera des œuvres indémodables telles que Yejreḥ wul, aray ulac, Chegeɛ-tass ad-yass, avec Bahia Farah, ou encore Am imezran. Titre réarrangé et popularisé par feu Matoub Lounès qui lui donna une forme beaucoup plus chaâbi que l’original, avec des paroles actualisées sur fond de message politique qui ne prête pas à la moindre ambiguïté. Sans prendre de gants Lounès assène : Taɛrab our tesɛi l-fayda ! À ce niveau, il faut avouer que Matoub avait une sacrée longueur d’avance sur nous tous.
Bien inspiré qui pourrait le contredire !
Il faut noter que Chegeɛ-tass ad-yass est devenu un grand classique du répertoire Châabi dans sa version arabe (m’chet, m3ak, m’chet…si mes neurones ne me jouent pas de mauvais tour).
Ci-après les paroles de Anfas anfas.
Ce qu’il y a de tragique dans ce premier succès, c’est le couplet prémonitoire de l’istixbar. C’est comme si, dans son subconscient, Cheikh Aarav savait déjà, à 33 ans, que Tuɛalin dayen : un aller simple vers son destin.
Istixbar :
Adruḥeɛ l’avion tref diyi
A-tɛala yissi
Waqila tuɛalin dayen
Rythmique :
Ah anfas anfas
Las Pigalle teḥkem fellas
A lbabur bu teflukin
I yebwin bu teɛyunin
Lwaḥc yeɣlid felli ṭlam
Ur s ɛiɣ ḥed s wissin
Ah anfas anfas
Las Pigalle teḥkem fellas
Albabur ṛuḥ fi laman
Awin yetcarigen aman
Siwdass eslam iwakcic
Ma dnak aqli diţaxmam
Ah anfas anfas
Las Pigalle truḥ ar ɣuras
Tabraţ id-yebwi u facteur
Tcerged sebɛa lebḥur
Yesetma ti maɛzuzin
Ay-nuḍen xaṛben aɣ lumur
Ah anfas anfas
Las pigalle ţruḥ ar ɣuras
Aya ruplan iggeni
Yebwin akic a lParis
Dɛum tas a tilawin
Ad yu ɣal bxir ɣuri