22 novembre 2024
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Éloge de Kateb Yacine

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Éloge de Kateb Yacine

« Ces religions ont toujours joué un rôle néfaste. Il faut s’y opposer avec la dernière énergie. On les voit maintenant à l’œuvre. On les voit en Israël, en Palestine, on les voit partout. Ces trois religions monothéistes font le malheur de l’humanité. Ce sont des facteurs d’aliénation profonde. Voyez le Liban. Ça se passe devant nous. Regardez le rôle des chrétiens, des musulmans et des juifs. Il n’y a pas besoin de dessin. Ces religions sont profondément néfastes et le malheur de nos peuples vient de là. Le malheur de l’Algérie a commencé là. Nous avons parlé des Romains et des chrétiens. Maintenant, parlons de la relation arabo-islamique ; la plus longue, la plus dure, la plus difficile à combattre. » Kateb Yacine

Le confinement n’y est pour rien. Je ne vais pas mettre le fait que je me réveille après 7 heures sur le dos de cet enfermement. Depuis quelques temps, je n’arrive pas à sonner le branle-bas de combat et à me stimuler pour me mettre à la verticale plus tôt que ça. Aujourd’hui encore, je me suis levé un peu plus tard que d’habitude. Je n’arrive pas à m’inciter pour me lever plus tôt.

Il faut dire que j’ai du pain sur la planche pourtant : un roman commencé il y a quelques mois qui stagne, des poèmes à réunir pour une future publication en recueil, des textes à solliciter des poètes que j’aime pour monter une anthologie suite à la demande insistante et très amicale d’Amar Ingrachen, mon éditeur, des livres à lire et sur lesquels j’ai pris du retard, des mails à écrire… Sincèrement, il n’y a aucun argument qui me permette de me dédouaner et d’accepter le fait que je me lève aussi tardivement.

L’arôme du café que je ne manquerai pas de prendre avant toute autre chose devrait plutôt m’aiguiller. La tartine de pain suédois que je prends me permettra d’être en forme. Je devrais donc tout logiquement me réveiller plus tôt et profiter des journées ensoleillées pour travailler et avancer.

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Qu’est-ce qui me plonge dans cette habitude à me réveiller à des heures indécentes ? C’est le fait que la temporalité a été balayé par le confinement, que le rythme des jours a été amoindri par l’enfermement et l’on a l’impression que c’est le même jour qui se répète indéfiniment. 

J’ai même poussé le vice à relire quelques pages de Nedjma après avoir relu le texte sur Kateb écrit par Mohamed Kacimi et ce texte est un pur diamant. J’ai relu un extrait de Nedjma et je n’arrive toujours, comme beaucoup certainement, à comprendre comment ce jeune homme a pu arriver à cette perfection avec un premier roman et rester au sommet de la littérature nord-africaine par la suite.

Depuis ce monument qui n’a jamais été égalé, le sieur Kateb, que j’ai eu le privilège de fréquenter grâce à Tahar Djaout, a eu des coups de gueule sublimes sur le pouvoir algérien et sur la religion qui étouffent toute possibilité de s’en amender. Il est impossible de nommer Kateb si je ne suis pas dans le dithyrambique ou l’éloge ou le panégyrique. Mais lire Nedjma pour la combien de fois, même pendant le confinement, non, je n’en ai plus le courage. Je ne lirai pas Nedjma aujourd’hui ni dans les jours à venir. J’écouterai la voix de Kateb Yacine sur YouTube et suivrai ses pas sur les chemins escarpés de la littérature maghrébine ou ceux, plus abrupts, de cette religion qui étouffe toute créativité. 

Je ne lirai pas Nedjma aujourd’hui. Je lirai ce poème juste extraordinaire (tiens, de nouveau la célébration et l’encensement, je vous avais bien prévenu !) qui parle de La Kahina, la prêtresse, la sorcière, la devineresse… Jugez-en vous-même !

« Les Arabes m’appellent Kahina, la sorcière.

Ils savent que je vous parle, et que vous m’écoutez

Ils s’étonnent de vous voir dirigés par une femme.

C’est qu’ils sont des marchands d’esclaves.

Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre.

Pour eux, la plus belle fille n’est qu’une marchandise.

Il ne faut surtout pas qu’on la voit de trop près.

Ils l’enveloppent, la dissimulent comme un trésor volé.

Il ne faut surtout pas qu’elle parle, qu’on l’écoute.

Une femme libre les scandalise, pour eux je suis le diable.

Ils ne peuvent pas comprendre, aveuglés par leur religion

 

Ils m’appellent Kahina, ils nous appellent berbères,

Comme les Romains appelaient barbares nos ancêtres.

Barbares, berbères, c’est le même mot, toujours le même

Comme tous les envahisseurs, ils appellent barbares

Les peuples qu’ils oppriment, tout en prétendant les civiliser

Ils nous appellent barbares, pendant qu’ils pillent notre pays. »

Non, aujourd’hui, je ne lirai pas Nedjma, je lirai ce poème sur La Kahina, je l’apprendrai par cœur, je me délecterai de chaque mot, je pèserai chaque phrase, j’apprécierai l’exaltation qui s’y trouve, le souffle impossible à tamiser. J’en ferai mon sanctuaire pour la journée et les journées à venir. Je ne lirai donc pas Nedjma aujourd’hui mais me calerai dans les mots de Kateb Yacine pour lui signifier de nouveau cette sorte d’allégeance qui habite beaucoup d’entre nous et lui dire que son message a porté, qu’il porte encore, bien au-delà de l’immense talent qu’il a toujours eu. Et le remercier encore et encore d’avoir été – et d’être toujours !

Auteur
Kamel Bencheikh, écrivain

 




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