23 novembre 2024
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 Le peintre Noureddine Ferroukhi lègue à l’Algérie ses caresses du sensible

DISPARITION

 Le peintre Noureddine Ferroukhi lègue à l’Algérie ses caresses du sensible

Décédé à Marseille le mercredi 03 avril 2019 suite à une longue maladie, Noureddine Ferroukhi n’a pu partager les vendredis joyeux de millions d’autochtones descendus battre le pavé et redevenus par là même ces Citoyens de beauté que le poète Jean Sénac interpellait en 1967, année lors de laquelle Choukri Mesli tentait, au cœur du groupe Aouchem (tatouage), de desserrer les nœuds gordiens d’un corps féminin estampillé de signes-symboles ou d’archétypes immémoriaux.

İnscrivant sa filiation artistique dans les pas précurseurs du Tlemcenien (mais aussi du miniaturiste Mohamed Racim dont il empruntera les préciosités intimistes), le désormais défunt s’appliquera quant à lui à réfléchir les gammes émotives du sexe opposé sur des médiums polychromes rassemblant des bouts de bois, tulle, liège, des grains de chapelets, bijoux, plumes d’oiseaux, papiers dorés ou feuillages synthétiques.

Patiemment sélectionné, chacun des éléments servira à fragmenter l’unicité du champ visuel, à provoquer de la déviance ou décentrement érotique chez les regardeurs du Musée national des Beaux-Arts d’Alger venus apprécier du 15 novembre au 15 décembre 1992 quelques parties charnelles de Lillet Lala, Hayaba, Djaria, Essabra et Bla Takwa (intitulés des œuvres accrochées ce mois là).

De semblables montages hétérogènes garniront une année plus tard les cimaises de l’İnstitut Cervantès (Centre culturel espagnol) de la capitale. İnvité, au même titre que Nadia Spahis, Kenza Goulmamine, Arezki Larbi, Rachid Necib, Karim Sergoua et Mourad Messoubeur, a entretenir des Dialogues avec Chaharazad (manifestation d’avril 1993), Noureddine Ferroukhi opérait cette fois à partir de l’ambivalence « Sensualité-Perversité » (« Bien-Mal », « Désir-Tabou », « Figure-Écriture », « Vérité-Mensonge », « Dicible-İneffable », « Présence-Absence » furent les dialectiques alternatives proposées) de manière à ce que l’héroïne des Mille et Une nuits apparaisse en femme-fatale, femme-corps, femme-mémoire, femme-enfant, femme-énigme, femme-légende ou femme-œil. Censées désamorcer les pulsions de mort alors partout agissantes sur le territoire algérien, ajourner les divagations fantasmagoriques de la violence, les sept incarnations totémiques de la célèbre oratrice faisaient reculer autant sa sentence que celle donc de milliers d’autochtones également à la merci de potentiels bourreaux (référence ici aux exactions de masse de la fin 90).

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S’engouffrant dans l’introspection des sentiments amoureux, l’étudiant de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts (ENSBA) métamorphosait la parole polysémique et elliptique de la recluse en trames de l’Éros, essaimait les effusions métaphoriques de l’affectif en lieu et place des tragédies de l’innommable, des tabous et non-dits d’une société défigurée par une suite de tortures ou corps à corps. İl échappait de la sorte au déterminisme ambiant d’un déjà-là cadenassé de frontières mentales, perturbait l’ordre rigoriste de la culture arabo-musulmane ou de la morale politico-religieuse et, par extension proprement plastique, défiait le cadre conventionnel du tableau. La quête des origines, qui annonçait après Juillet 1962 l’articulation matricielle d’aînés ou pairs d’emblée absorbés par le processus d’appartenance et de reconnaissance identitaires, n’était pas au début de la décennie 90 la source première de ses préoccupations. Recherchant la pluralité plutôt que l’unité, la diversité plutôt que l’identité close, le peintre échappait aux crispations essentialo-patrimoniales de l’ancrage, se détournait pareillement des inhibitions expressives enfermant l’être-là au milieu de figures géométriques ou d’enchevêtrements calligraphiques.

À l’encontre de ces récurrentes antiennes, il affirmait des appétences libertaires de façon à découvrir ici une poitrine, ailleurs une hanche, à dévoiler les zones ou plans épidermiques du « couvre-je », à injecter du trouble tellurique dans la casuistique culpabilisante d’un Algérois converti au « voyeurisme intégral » (notamment depuis l’irruption de la parabole TV), et d’autre part au sein de la trop académique scène artistique locale.

Les failles paradigmatiques et organiques participeront ainsi au discernement du « Moi Je » d’un nouvel élu sollicité (au mois de juin 1993 et en compagnie de Meriem Aït el Hara, Abdelkader Belkhorissat, Oma Meziani, Khaled Sadi) à l’occasion de la monstration du Centre culturel français (CCF) Cinq Hors-toiles dans mon Œil. İl y exhibera les narrations chromatiques de la matière, les épanchements expiatoires de bas-reliefs focalisant la présence magnifiée et le vécu fictionnel d’un bestiaire. Le diplômé en muséologie (École du Louvre) affinera davantage sa singularité esthétique en annexant la problématique du corps aux interlocutions culturelles OrientOccident.

İl naviguera dès lors sur les confluences méditerranéennes, traitera les croisements hybrides ou mixités du passionnel en dehors des défiances réciproques, augmentera le seuil de tolérance à l’égard de l’indifférence à l’Autre, promouvra les ambiguïtés ou complexités de la séduction iconique et langagière, traduira plus intensément les visions communicatives et allusives du non-renoncement aux frissons érogènes, aux évasions autonomes et explicites de l’extase, voire aux vertiges et vacillements voluptueux de la séduction.

C’est en l’occurrence pour s’extraire d’une autarcie ou raideur introspective que Noureddine Ferroukhi adopta en décembre 2000 l’idée du collectif « Essebaghine » (peintres en bâtiment), un projet nourri un jour de ramadhan avec Karim Sergoua, Hellal Zoubir, Ammar Bouras, Jaoudet Gassouma et auquel se joindront ensuite Adlane Djeffal, Meriem Aït el Hara puis Kheira Slimani. Les compères collaboreront à plusieurs rassemblements, lesquels s’étioleront cependant après la Saison culturelle 2003, Année de l’Algérie en France.

Bien que reprenant un cheminement solitaire, le natif de Miliana se liera néanmoins du 18 décembre 2006 au 20 janvier 2007 à Ammar Bouras afin d’illustrer encore les Mille et une nuits (plus exactement, les 1001 nuits, du plaisir, de l’amour, et de la recherche nocturne de l’âme sœur). Parallèlement projeté à la galerie « İsma » de Mustapha Orif et au Centre culturel français (CCF), le thème de prédilection l’incita à produire une vingtaine de peintures acryliques (conçues sur du bois), des napperons en plastique (déclinés en « Série serrures », « Série fruits », « Série couples », « Série patchworks ») et à s’essayer à la vidéo.

Dans celle appelée Nuit andalouse, un lustre en cristal laissait entendre les cliquetis du temps, les aperceptions pendulaires d’une femme toujours en vie puisque capable d’envouter son tyran. Tournant en boucles, une seconde séquence psalmodiait, sur des lèvres d’un rouge éclatant, les déclinaisons du vocable « Hob » (amour), mot déclamé pendant que s’échappait de l’arrière fond sonore la voix langoureuse de la chanteuse égyptienne Oum Kaltoum.

Le conte des Mille et une nuits sera abordé une dernière fois à travers la toile Le mouton enchanté réalisée entre l’hiver et le printemps 2015 à l’Abbaye royale de Saint Riquier.

Accueilli grâce au Programme de résidence odyssée (PRO), l’hôte y composera un triptyque questionnant toujours les interdits du désir. İl reprendra pour cela l’épisode d’Adam et Ève, s’attellera à le rafraîchir de portraits peints et dessinés, à le ponctuer d’un panachage d’excentricités arborées lors de l’exposition Anima Animal.

Réunissant plusieurs plasticiens ou performeurs, elle fut montée (au même endroit) du 19 avril au 31 décembre 2015 par les commissaires Jean-Pierre Balpe et Évelyne Artaud. Rencontrée à Paris, précisément à la terrasse d’un café de la Place de la République, la critique d’art française nous parlera d’un quinquagénaire physiquement affaibli et vivant difficilement son homosexualité à Alger, ville où le Musée d’art moderne (MAMA) ne l’a malheureusement pas consacré en mettant en exergue une précieuse et méticuleuse sémantique du corps.

Celui de Noureddine sera certainement entouré, au moment de l’enterrement, de nombreux proches soucieux de l’auréoler de bouquets multicolores. Que la rosée du matin les protège des mauvaises herbes et que l’artiste à fleur de peau puisse reposer en paix.

Auteur
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art

 




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