23 novembre 2024
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Les bonnes feuilles du livre : « Où va l’Algérie… » de Mohamed Sifaoui

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Les bonnes feuilles du livre : « Où va l’Algérie… » de Mohamed Sifaoui

Nous publions ici avec l’aimable autorisation des éditions du Cerf et de l’auteur des extraits de « Où va l’Algérie ?… » de Mohamed Sifaoui publié en France le 21 février.

À propos des frères Bouteflika

(…) Même si les discussions sont totalement secrètes, plusieurs sources parlent de réunions organisées entre les trois frères qui aboutissent à des décisions que Saïd se charge de transmettre et de faire exécuter. Dire que l’Algérie est gérée par une fratrie n’est donc guère excessif. Tantôt depuis le siège de la Présidence d’El Mouradia, où il a un bureau, d’autres fois à partir de la résidence médicalisée de Zéralda, où il a un autre bureau, le fameux « Saïd » – que d’aucuns n’appellent désormais que par son prénom – s’occupe quasiment de tout. « Il est à la fois le secrétaire particulier, le porte-parole officieux et le chef de la sécurité », précise une source algérienne ayant longtemps joué un rôle de sherpa dans le dispositif présidentiel avant d’être écartée par Saïd Bouteflika qui, depuis 2005, avait commencé par faire le vide autour de lui ne laissant que des « responsables » qu’il peut gérer et surtout diriger, sans disposer d’une quelconque légitimité, sinon celle que lui confère sa proximité avec un président amoindri et affecté dans ses capacités cognitives, donc de discernement. Attention ! Je ne dis pas que le premier magistrat du pays n’est pas conscient de ce qui se passe autour de lui, comme le prétendent certains, j’affirme que la fragilisation, pour cause de maladie, du premier Bouteflika est compensée par le second. En somme, c’est une situation inédite : le président algérien est bicéphale, il s’appelle à la fois Abdelaziz et Saïd Bouteflika. Ce n’est pas un coup d’État ni une usurpation de fonctions, c’est le lien fusionnel entre les deux qui s’est transformé en une sorte de « deux en un » institutionnel. Tous les connaisseurs de la famille le savent : le premier ne fait rien contre les intérêts du second et le second ne fait rien qui pourrait être en contradiction avec les volontés du premier. Il a trop de respect pour lui. Ce qui choque pour des raisons évidentes, c’est ce mélange des genres, c’est ce lien fraternel, qui s’est transposé au plus haut sommet de l’État. Probablement, jamais, nulle part ailleurs l’histoire politique ne propose un tel cas de figure. Y compris chez les Castro, entre Fidel et Raul la chose était différente. Là, à propos du sujet qui nous intéresse, même une feuille de papier à cigarette ne peut pas s’infiltrer entre Abdelaziz et Saïd. Un exemple éloquent : lorsqu’en juillet 2015, trois généraux-majors (Ali Bendaoud, sécurité intérieure ; Djamel Kehal Medjdoub, sécurité présidentielle et Ahmed Moulay Meliani, Garde républicaine) sont brutalement limogés à la suite d’une scabreuse affaire de tirs à la kalachnikov à l’intérieur de la résidence présidentielle que certains se sont empressés de lire comme « une tentative de coup d’État » – comme si en Algérie l’on pouvait imaginer un putsch sans déploiement de force et avec seulement quelques tirs de kalachnikov – le général-major Djamel Kehal Medjdoub, responsable de la Direction générale de la sécurité et de la protection présidentielle (DGSPP) a reçu un appel de Saïd Bouteflika. « Le Président te demande de rentrer chez toi ! », s’entendra-t-il dire par son interlocuteur au bout du fil. Il ne rencontrera jamais le chef de l’État et ne verra la confirmation de son limogeage qu’à travers un communiqué de la présidence lue à la télévision (…)

Bouteflika, dans l’incapacité de gouverner, mais suffisamment lucide pour rester au pouvoir

(…) Saïd Bouteflika, contrairement à ce qu’affirment certaines élucubrations, ne fait qu’appliquer les souhaits de son aîné. Un fin connaisseur des rouages du système algérien donne trois preuves tangibles qui montrent que c’est bien Abdelaziz Bouteflika qui – même considérablement amoindri – a toujours son mot à dire sur les grands sujets mais c’est Saïd qui transmet et exécute peut-être parfois en faisant du zèle ou des surinterprétations sur quelques dossiers. Il l’influence aussi – incontestablement – sur un certain nombre de sujets. Mon interlocuteur estime que « Premièrement, si Ahmed Ouyahia est encore chef du gouvernement, malgré l’inimitié que lui voue à la fois le chef d’état-major et à un degré moindre Saïd Bouteflika, c’est que le président continue de suivre les affaires importantes. Deuxièmement, les généraux emprisonnés durant l’automne 2018, sur ordre de Gaïd Salah, doivent leur libération à une décision du chef de l’État en personne.

Le procureur militaire qui écoute les ordres de Gaïd Salah n’aurait jamais suivi une directive de Saïd Bouteflika. Enfin, si le même Gaïd Salah est toujours à son poste, c’est aussi une volonté d’Abdelaziz Bouteflika » (…) Si l’activité présidentielle est quasi-nulle, se résumant à de très rares apparitions et à des communiqués lus par des présentateurs des médias publics, il y a, cela dit, de temps à autre, des conciliabules en petits comités avec Abdelaziz Bouteflika, uniquement sur des sujets très importants. Outre les deux frères du Président, Nacer et Saïd, on dénote souvent la présence de conseillers comme Tayeb Belaïz, l’ancien ministre de l’Intérieur devenu « conseiller spécial », celle du chef du gouvernement Ahmed Ouyahia, voire un haut responsable chargé d’un département régalien, par exemple, Gaïd Salah. Le constat fait durant l’automne 2018 était-il encore valable à la fin de la même année au regard de la détérioration constante de l’état de santé du président ? Et sera-t-il toujours d’actualité au moment du scrutin d’avril 2019 ? Aujourd’hui, plusieurs commentaires commencent à accabler le frère cadet uniquement et à dédouaner Abdelaziz Bouteflika. Certaines voix pensent qu’il n’est plus responsable de rien. Je crois sincèrement que l’élément subjectif est en train de gagner les jugements de ceux qui ont de la peine pour ce vieillard amoindri, qui livre une image pathétique. Beaucoup préfèrent le voir comme un pantin seulement entre les mains de son cadet. C’est là un jugement de facilité. S’en prendre aujourd’hui à un frère (valide) en préservant l’autre (malade) est une approximation (…)

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Ali Haddad, marchés publics et soutien du clan

(…) L’homme d’affaires a même été autorisé à créer un groupe de presse (deux journaux, en 2009, l’un en arabe Waqt El Djazaïr et son alter ego francophone Le Temps d’Algérie et deux chaînes de télévision, en 2011, Dzaïr TV et Dzaïr News). Ali Haddad achète également l’un des plus prestigieux clubs de football algérois, l’USMA et, entre autres acquisitions, dans la foulée le très chic hôtel El Palace (ex-Ritz) de Barcelone. Un mythique cinq étoiles, situé au cœur de la capitale catalane. Il n’y aura probablement jamais – en tout cas pas sous le règne de Bouteflika – de preuves concrètes qui pourraient mettre en accusation Ali Haddad. Si son nom est mentionné dans les « Panama Papers » comme bénéficiaire d’une société immatriculée en offshores dans les îles vierges, la Kingston Overseas Group Corporation (KOGC), administrée par le même Guy Feite cité dans un précédent chapitre (voir p. 221) qui agit en qualité de fondé de pouvoir. Certains diront il n’y a pas de quoi fouetter un chat et expliqueront que toutes les grandes entreprises reçoivent des « aides » de la part des dirigeants politiques. Peut-être, sauf que l’on sait que le monde de l’entreprise privée, celui de l’argent ne fait pas souvent très bon ménage, à tout le moins sur un plan éthique, avec les élus et les institutions étatiques. Et d’ailleurs, Haddad est-il vraiment « blanc comme neige », comme le répètent certains de ses défenseurs ? À voir. Une enquête du quotidien Le Monde l’avait précisé : « le groupe a connu son essor avec l’avènement d’Abdelaziz Bouteflika, bénéficiant, d’après une lettre de présentation publiée sur le site du groupe et signée par Ali Haddad, de commandes publiques d’un montant global de près de 200 milliards de dinars (près de 2 milliards d’euros) au titre du seul programme complémentaire de soutien à la croissance économique (2005-2009) coïncidant avec le deuxième mandat du président – soit près de 5 % dudit programme.

Le capital social du groupe, qui était de 1,5 milliard de dinars en 2004, est passé à 8,8 milliards de dinars en 2009, tandis que son chiffre d’affaires, qui s’élevait à 7 milliards de dinars en 2006, a frôlé la barre des 39 milliards de dinars en 2014, et atteint 41 milliards de dinars en 2015 ». Disons, de manière factuelle, l’ETRHB est devenue un partenaire important de l’État et particulièrement du clan Bouteflika. Même si plusieurs sources affirment que c’est Haddad qui prend en charge, financièrement parlant, la fratrie, il n’y a rien qui le prouve. Je pense qu’à l’heure actuelle personne n’est en mesure de démontrer matériellement l’existence d’une corruption qui toucherait le président ou son frère. En revanche, on peut s’interroger légitimement sur les passe-droits et les facilitations diverses et variées accordées à Ali Haddad et le clientélisme dont il fait l’objet. Par exemple, l’entreprise s’est engagée à achever la construction d’un stade de football, celui de Tizi Ouzou (en Kabylie), lancée en 2002 et prévu pour accueillir plus de 50 000 spectateurs à partir de 2016. Or, les travaux ne furent entamés qu’en 2010 et rien n’indiquait à la fin de l’année 2018 qu’il serait livré avant 2020 (…)

Les frères Kouninef et les Bouteflika

« (…) Durant les années 1980, ce précieux ami, marié à une Suisse, possède quelques biens à Genève où il a un pied à terre. Lorsque Bouteflika débarque, il n’a pas d’argent et pire, le président Chadli Bendjedid, informé de ses malversations financières lorsqu’il était chef de la diplomatie algérienne, lui propose l’impunité s’il rembourse ne serait-ce une partie du pactole qui a disparu, soit près de l’équivalent aujourd’hui de 600 000 euros, reliquat des budgets annuels des ambassades que Bouteflika reversait, avec l’accord de Boumediene, selon ses dires, dans une caisse secrète destinée à soutenir les « mouvements révolutionnaires ». Version que ni la Cour des comptes, ni les services algériens ni la présidence n’ont jamais validée. Toujours est-il contraint de rembourser, c’est Ahmed Kouninef qui fera, pour lui, un appel aux dons, en 1984, auprès de plusieurs de ses relations dans le monde des affaires en Europe et en Algérie. Des personnes fortunées mettront la main à la poche. C’est cette quête qui lui permettra de rendre au Trésor public une partie de la somme (…)

Anis Rahmani, le larbin du système

« …) Lorsque j’ai quitté l’Algérie à la fin des années 1990, il y a de cela vingt ans, Mokeddem (Anis Rahmani NDLR), qui devait avoir 25 ans, était employé par le quotidien El Khabar d’abord, Al-Shourouk ensuite, et gagnait entre 200 à 300 euros par mois approximativement, soit l’équivalent de deux fois le SMIC algérien. Issu d’une famille modeste de l’est du pays, aucun héritage ne lui était connu, ni celle qui sera plus tard son épouse et sa future associée. Il vivait chichement et devait multiplier les piges sous pseudonymes auprès de journaux arabophones étrangers. Sa seconde vie, celle qui fera de lui un milliardaire (en dinars algériens) à la tête d’un groupe de presse très influent, va débuter en 2005. Après trois semaines de soins à l’hôpital militaire du Val-de-Grâce et presque autant à l’hôtel Meurice où Saïd et quelques membres de la « famille régnante » étaient installés, l’entreprenant Mohamed Mokeddem aurait fait, selon plusieurs sources, « le pied de grue pour croiser le frère du président » qui commençait à gagner de l’ampleur. « Normal », pourrait-on penser, un journaliste doit aller à la « pêche de l’info ». (…)

Le démantèlement du DRS

« (…) Au regard de la situation sécuritaire, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, et surtout aux frontières, le DRS (re)devenait, pour le président, un indispensable allié. Il s’était évertué d’ailleurs à envoyer des messages à tout le monde et à rappeler que sa génération avait fait son temps et qu’il « était foutu » (il dira lors d’un discours à Sétif en mai 2012, Tab Ejnani. Une expression qui signifie en arabe dialectal : « mon jardin est cuit », voire « je suis cuit »). C’est dans ce contexte qu’allait surgir une dramatique affaire qui allait bouleverser l’échiquier militaire algérien : celle de la prise d’otage de Tiguentourine à Aïn Amenas, du 16 au 19 janvier 2013. Après plusieurs années de préparation – on le saura plus tard – le groupe terroriste, « Les signataires avec le sang », de Mokhtar Belmokhtar, très actif dans la région sud-est du pays, s’était replié à proximité de la frontière algéro-libyenne pour lancer son attaque, avec une quarantaine d’islamistes lourdement armés, contre le site gazier où il s’était retranché, pendant trois longues journées, tout en retenant de force plusieurs dizaines de civils, notamment des étrangers. 39 d’entre eux, de plusieurs nationalités, y ont perdu la vie. Parallèlement, lors des différents échanges de coups de feu et surtout durant l’assaut final, 29 terroristes ont été tués par l’armée algérienne et cinq autres seront arrêtés vivants. Sur fond de malaise entre la présidence et le DRS, c’est Gaïd Salah qui avait pris en main la gestion de l’opération avec le concours du chef de région de l’époque le général Abderrazak Chérif (l’un de ceux qui seront écartés en 2018 à la suite de l’« affaire cocaïne »). Il a voulu devancer les sections du Scorat, le Service de coordination opérationnelle et de renseignement antiterroriste et du GIS, le Groupe d’intervention spéciale, alors sous la tutelle du DRS, afin d’éloigner, le plus possible, le patron du Scorat, le général Abdelkader Aït Ouarabi dit Hassan (emprisonné depuis 2015 dans le cadre d’une autre scabreuse affaire) et son chef Mohamed Mediène (…) Une soixantaine de ses cadres sont ainsi mis à la retraite. Plusieurs officiers, en poste à l’étranger, sont rappelés et renvoyés chez eux, sans autre préavis, alors qu’ils avaient à peine 56 ou 57 ans. Certains se sont retrouvés avec des retraites dérisoires et n’étaient même pas prêts, y compris sur le plan personnel, à un changement aussi brutal, soulignera « Gorge profonde ». Leur seul tort était d’avoir servi dans des directions qui devaient être neutralisées. Le général Layachi Chenafi dit « Chafik », qui était jusque-là en charge des affaires économiques au sein du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), avait été envoyé à la retraite dès janvier 2014. C’est son service qui, sous l’autorité du général Mediène, menait les enquêtes sur les « crimes financiers ». Pour « Gorge profonde », Toufik en personne lui a demandé, quelques mois plus tard, de quitter l’Algérie : « le clan présidentiel voulait lui faire la peau et le jeter en prison sous n’importe quel motif» (…)

Tartag raconté par ses pairs

« (…) « Gorge profonde » s’est rapproché du général Bachir Tartag, qui ne digérait pas sa mise à l’écart de la DSI, et il lui fait croire que c’est son chef, le patron du DRS, qui avait souhaité, en juillet 2014, son départ à la retraite et non pas le président. Pour le récupérer, il lui propose un poste de « conseiller » auprès du chef de l’État. Naturellement, il ne se fera pas prier. En occupant cette nouvelle fonction, Tartag avait désormais une seule mission : permettre au président de s’approprier le DRS et de pousser l’énigmatique Toufik vers la sortie. Le « conseiller » fraîchement nommé connaît parfaitement la « maison DRS », expliquera « Gorge profonde ». Il est passé par la DCSA, la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée, il a dirigé le CPMI, le Centre principal d’investigation militaire, chargé de la lutte antiterroriste durant les années 1990 et enfin, d’autres petits services, avant de prendre la tête de la DSI et donc de la Sécurité intérieure. Il livre à Abdelaziz et à Saïd Bouteflika tous les fonctionnements et toutes les nuances du service. Mais de plus, il désigne les collaborateurs les plus proches de Toufik et évoque toutes les missions dont il a connaissance.

Parmi eux, le général Aït Ouarabi, dit Hassan, patron du Scorat. Pour Tartag, c’est une aubaine, cet officier supérieur était l’un de ses propres adjoints, lorsqu’il était colonel au CPMI et qu’il avait sous ses ordres le lieutenant-colonel Hassen. Le courant n’est jamais vraiment passé entre les deux hommes. « Question de caractère », dira « Gorge profonde », avant d’ajouter « mais aussi d’éthique et de méthode » (…) Ce « témoin inattendu » mise désormais sur l’avenir et jure que le système Bouteflika est aujourd’hui définitivement terminé. Pour lui, c’est une question de quelques mois. Il n’y aura, d’après « Gorge profonde » ni coup d’État, ni violences, c’est la biologie qui s’apprête à faire son travail. Pour lui, le « cœur des services algériens est déjà passé à autre chose »

 




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